L’année 2022 a été bouleversée par la guerre en Ukraine dont l’onde de choc a atteint l’économie à travers la résurgence d’un phénomène oublié depuis une génération : l’inflation. Dans ce contexte, peu de réformes structurelles ont été observées, si ce n’est une directive européenne qui affectera en profondeur la TVA sur les œuvres d’art.
Un contexte inédit d’inflation met en lumière l’importance pour les contribuables des mécanismes d’indexation des paramètres contributifs de prélèvements fiscaux. Leur non-indexation produit mécaniquement un effet d’alourdissement de la charge fiscale – la progression « à froid » – dès lors que les revenus ou les valeurs du patrimoine rattrapent la courbe de l’inflation. En France, si les limites de tranches du barème ou différents avantages en matière d’impôt sur le revenu sont indexés annuellement, il n’en va pas de même pour la fiscalité sur le patrimoine (impôt sur la fortune immobilière, droits de succession et de donation). Une hausse cachée de la pression fiscale est dès lors à anticiper.
Seules la Suisse, au niveau cantonal, et l’Espagne pratiquent encore une imposition annuelle de la fortune globale même si les œuvres d’art ne sont pas systématiquement imposables. En Espagne, cet impôt – dont l’État central ne fixe qu’un cadre – relève des communautés autonomes qui peuvent en aménager les règles. Ainsi, Madrid ne lève pas d’impôt sur la fortune de ses résidents. Cependant, le législateur espagnol vient d’adopter une contribution exceptionnelle nationale sur la fortune portant sur les années 2022 et 2023. Son régime et notamment son barème sont, en substance, un décalque des règles de l’impôt régional. Le montant de ce dernier vient d’ailleurs s’imputer sur le montant de la contribution exceptionnelle pour éviter la double imposition. Cette nouvelle contribution vise donc essentiellement à rattraper les contribuables madrilènes qui échappent à l’imposition régionale de la fortune [lire le JdA n° 600 du 2 décembre 2022].
La question de l’impôt sur la fortune a encore fait irruption dans la campagne présidentielle en France, mais le résultat des élections nationales semble écarter, pour l’heure, le risque d’un retour sur la suppression de l’ISF au cours de ce quinquennat.
La fiscalité successorale française, qui ne prévoit pas d’exonération pour les œuvres d’art, figure toujours parmi les plus lourdes notamment en ligne directe, avec un taux marginal de 45 % et des abattements à la base d’un montant significativement réduit en 2012 et non revalorisé depuis (100 000 €). La fiscalité successorale varie fortement entre les États. Un nombre important d’entre eux ne l’applique pas du tout ou, en tout cas, pas en ligne directe (Chine, Hongkong, Singapour, Luxembourg, certains cantons suisses…) alors que d’autres États, comme l’Italie, pratiquent des taux très modestes (Italie : 4 ou 8 %). Dans certains États, les taux d’imposition, du moins en ligne directe, s’approchent des taux français, mais généralement c’est sous réserve d’abattements plus généreux, qui permettent d’exonérer une part importante des successions (Royaume-Uni : 325 000 £ [367 000 €] ; Allemagne : 400 000 €). Rappelons que, en 2017, les États-Unis ont doublé l’abattement applicable sur la masse successorale avant partage, qui s’établit désormais à 12 920 000 $ [11,7 M€] (il est indexé sur l’inflation). Plus rarement, quelques législations offrent un régime d’exonération totale ou partielle pour certaines catégories d’œuvres d’art (Espagne, Allemagne, Italie). Si les donations sont généralement imposées comme les successions, une illustration contraire est donnée par la Belgique où les donations mobilières, dont celles des œuvres d’art, sont faiblement taxées à l’inverse des successions.
Au cours de la campagne présidentielle Emmanuel Macron a proposé de relever l’abattement en ligne directe à 150 000 € et à 100 000 € pour d’autres transmissions familiales. Les lois financières de fin d’année 2022 n’ont cependant pas intégré de mesures en ce sens.
Le montant de la charge fiscale pesant en France sur les revenus des particuliers reste élevé, en comparaison internationale, mais pas forcément exceptionnel, plusieurs États atteignant des niveaux assez comparables (Espagne, États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique…).
Un alourdissement est même à constater au Royaume-Uni où la limite de la tranche marginale d’impôt sur le revenu de 45 % a été abaissée de 150 000 à 125 140 £ [de 170 000 à 141 369 €]. De plus, le Royaume-Uni taxera plus lourdement les plus-values de cession de biens meubles dont les œuvres d’art. Jusqu’alors seules les plus-values excédant 12 300 £ [13 891 €] par an étaient imposées. Cette limite est abaissée à 6 000 £ [6 777 €] à partir d’avril 2023 et doit encore l’être à 3 000 £ [3 388 €] en 2024.
Sur ce point précis des plus-values de cession d’œuvres d’art réalisées par les particuliers, la France offre au contribuable un choix entre une taxe forfaitaire de 6,5 % sur le prix de vente et une imposition proportionnelle de la plus-value de cession à un taux de 36,2 %, comprenant l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, mais sur une assiette égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition, diminuée d’un abattement pour durée de détention. Cette faculté d’arbitrage représente un avantage pour le collectionneur français par rapport à la fiscalité espagnole, américaine ou britannique mais, de toute façon, elle ne résiste pas à la comparaison avec une exonération pure et simple des plus-values mobilières réalisées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé (Belgique, Italie, Suisse, Singapour, Hongkong…) ou une exonération acquise au terme d’un délai de détention bref (un an au plus : Allemagne, Luxembourg…).
Le taux français de l’impôt sur les sociétés de 25 %, une donnée importante pour les marges des intermédiaires du marché de l’art, se situe désormais dans une fourchette moyenne internationale. On retrouve ce taux de 25 % en Belgique, en Espagne et à partir d’avril 2023 au Royaume-Uni qui appliquait jusqu’alors un taux de 19 % acquis grâce aux baisses successives engagées depuis 2010. Aux États-Unis, l’initiative de l’administration Biden d’augmenter l’impôt sur les sociétés de 21 à 28 %, soit de revenir sur la moitié de la baisse opérée sous la présidence Trump en 2017, a échoué devant le Congrès.
En France, conformément à la promesse électorale d’Emmanuel Macron, la loi de finances pour 2023 a engagé la suppression sur deux ans, d’ici 2024, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont on ne trouve d’équivalent qu’en Italie (IRAP). Cet impôt de production frappe la valeur ajoutée, qui est un solde intermédiaire entre le chiffre d’affaires et le bénéfice. Cette assiette est donc plus large que le bénéfice et il arrive parfois que même des entreprises déficitaires soient exposées à la CVAE. Pour 2023, le taux maximal de CVAE a été baissé de moitié à 0,375 % poursuivant ainsi la baisse de 1,5 à 0,75 % déjà engagée par la loi de finances pour 2021. C’est une évolution importante de la fiscalité locale car, aujourd’hui, si la plupart des artistes sont exonérés de CVAE en tant qu’ils sont exonérés de cotisation foncière des entreprises (CFE), les deux impôts étant liés, ce n’est pas le cas ni des galeristes ni d’autres intermédiaires du marché de l’art.
La loi de finances pour 2023 a également prorogé de trois ans le dispositif permettant aux entreprises de déduire fiscalement sur cinq ans le prix d’acquisition des œuvres d’artistes vivants, qui devait s’éteindre fin 2022.
D’une manière plus générale, les règles françaises en matière de TVA restent assez favorables aux acteurs du marché de l’art, du moins en comparaison européenne. Ainsi, les deux taux spécifiques au marché de l’art français (5,5 % sur l’importation des œuvres d’art et les ventes directes des artistes) sont parmi les plus bas de l’Union européenne, ce à quoi s’ajoute la possibilité pour les intermédiaires d’asseoir, sous certaines conditions, la TVA (au taux de 20 %) sur une marge forfaitaire de 30 % du prix de vente. Évidemment, pour favorables qu’elles soient, ces règles ne résistent pas à la comparaison avec Hongkong (pas de TVA du tout) ou avec un port franc (Genève, Singapour…).
Cependant, des modifications importantes au régime français de TVA sur les objets d’art sont à prévoir à la suite de l’adoption par l’Union européenne de la directive du 5 avril 2022 modifiant la directive TVA (de 2006). En fonction des orientations que prendra le législateur français aux fins de transposition de la directive, qui doit intervenir d’ici fin 2024, notre régime de TVA deviendra soit encore plus favorable aux acteurs du marché de l’art, soit il leur sera moins favorable qu’aujourd’hui, le strict statu quo n’étant pas tenable.
Il faut souligner que si la directive TVA énumère, en son annexe III, les opérations pouvant bénéficier d’un taux réduit, il appartient aux États membres de choisir d’inscrire ou non cet avantage dans leur législation. À cet égard, la directive d’avril 2022 procède à une réforme en profondeur des taux réduits de TVA dans l’Union en incluant ceux intéressant spécifiquement le marché de l’art. En substance, elle donne plus de souplesse aux États en élargissant le catalogue des opérations qui peuvent bénéficier du taux réduit de TVA (soit, en France, 5,5 % ou 10 %). Actuellement, c’est-à-dire avant la transposition de la directive d’avril 2022, c’est la TVA au taux normal de 20 % qui s’applique par défaut aux œuvres d’art. Par exception, la TVA à l’importation et celle qui frappe les ventes directes des artistes est de 5,5 % (il en va de même pour les ventes par des assujettis-utilisateurs dont on ne traitera pas dans le cadre restreint de cet article). La possibilité d’appliquer le taux réduit à ces opérations ne résulte pas de l’annexe III à la directive TVA, mais de son article 103. Or ce dernier est supprimé par la directive d’avril 2022. Cependant, la même directive inscrit désormais à l’annexe III de manière générale « la livraison des objets d’art, de collection et d’antiquité ». Le législateur français aura donc le droit de soumettre toutes les opérations sur les objets d’art, sauf celles soumises au régime de la marge, au taux réduit de 5,5 %. Il faut souligner que même en l’absence de généralisation du taux réduit à toutes les opérations sur les œuvres d’art, la directive d’avril 2022 autorisera toujours la France à maintenir le taux réduit de TVA à l’importation (article 1, 5, b), mais c’est moins sûr pour le taux réduit sur les ventes directes des artistes qui ne sont plus expressément visées par la directive TVA. Sur ce dernier point deux interprétations sont envisageables : dans un sens, qui peut le plus peut le moins, à savoir si la France peut appliquer le taux réduit à toutes les opérations sur les objets d’art, elle pourrait le faire également sur une catégorie de celles-ci ; dans le sens opposé cependant, le principe de neutralité de la TVA pourrait être interprété comme interdisant aux États d’avantager une catégorie d’opérations seulement (ventes directes des artistes) au détriment d’opérations similaires (autres ventes d’objets d’art).
En plus de sécuriser l’application du taux réduit aux ventes directes des artistes, la généralisation du taux réduit à toutes les opérations sur les objets d’art apporterait également une solution à un autre problème créé par la directive d’avril 2022. En effet, la directive TVA permettait jusqu’alors, sur option, de calculer, au moment de la revente, la TVA de 20 % non pas sur le prix de vente, mais sur la marge, y compris lorsque l’objet d’art a été importé ou acheté à un artiste, avec l’application du taux réduit de 5,5 %, et non seulement en cas d’acquisition à un particulier non assujetti à la TVA. Or, en vertu du 20e alinéa de l’article 1 de la directive d’avril 2022, l’option pour le régime de la marge ne serait désormais possible que dans l’hypothèse où l’achat ou l’importation étaient imposés au taux normal. Après cette modification, l’option – qui suppose un relèvement des taux sur les objets d’art à 20 % – ne présentera plus d’intérêt par rapport à l’application du droit commun, à savoir de la déduction de la TVA à 20 % ou à 5,5 % supportée à l’achat et de la revente avec une TVA à 20 % sur le prix total. Cette solution de droit commun est cependant nettement moins favorable aux galeristes que l’actuelle possibilité de combiner taux réduit à l’achat avec l’application du régime de la marge à la revente (lire le JdA n° 607 du 17 mars 2023). À cet égard, la généralisation du taux réduit permettrait non seulement de surmonter cet écueil, mais produirait un résultat encore plus favorable aux marchands que le régime existant, qui rappelons-le n’est plus tenable car non conforme à la directive TVA modifiée. Le marchand appliquerait alors le régime général en déduisant la TVA à 5,5 % supportée à l’achat et en soumettant la revente à une TVA à 5,5 % sur le prix total. Le régime de la marge, qui ne serait techniquement pas abrogé car il résulte de la directive, perdrait de son intérêt pour les livraisons d’objets d’art, de collection et d’antiquité, y compris en cas d’acquisition à des particuliers, et ne serait probablement plus utilisé en pratique, sauf peut-être lorsque la marge est calculée de manière forfaitaire.
La solution est donc à Bercy et au Parlement car un retour au statu quo exigerait un accord unanime des États membres pour l’adoption d’une nouvelle directive modificatrice. En tout cas, quelle que soit l’orientation prise, le régime français de TVA sur les œuvres d’art subira prochainement son évolution la plus importante depuis la transposition de la 7e directive TVA de 1994.
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Le bilan annuel de la fiscalité du marché de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°610 du 28 avril 2023, avec le titre suivant : 2022 : inflation et réforme de la TVA sur l’art