Derrière la stabilité apparente du haut du classement, la hiérarchie relative est encore une fois bousculée, mettant en évidence le dynamisme de certains musées et les difficultés des autres.
Que les grands musées parisiens – le Louvre, Orsay, Beaubourg – figurent en tête de liste n’est pas une surprise. C’est le contraire qui eût été étonnant. Sept musées parisiens dans le top 10, c’est un de plus que l’an dernier et cela confirme l’hypertrophie de la capitale, dans la culture comme dans le reste. Entre les grands établissements nationaux, les musées de la Ville de Paris et les musées privés, Paris abrite plus de 60 musées d’art dont la moitié est classée dans notre palmarès.
Si Paris n’est plus la capitale de la création (quoique !) et encore moins la capitale du marché de l’art, elle affiche la plus grande densité de musées de toutes les grandes métropoles. Dès lors, elle attire les touristes en grand nombre.
Le Louvre, Orsay et Beaubourg : on prend les mêmes...
Une manne dont le premier bénéficiaire est le Louvre, le plus grand musée du monde, à la notoriété si forte que la marque a été louée à Abou Dhabi plusieurs millions d’euros. Le Louvre occupe la tête du classement depuis la première édition en 2004. Même la baisse de 1 % du nombre de ses visiteurs en 2007 n’a pas affecté son classement. Une baisse imputable à des expositions temporaires moins grand public qu’en 2006. Praxitèle est moins « vendeur » que Ingres.
À part cela, le Louvre c’est une suite de superlatifs. La plus grande superficie, la plus large collection, l’effectif le plus important, les ressources les plus abondantes. Depuis son émancipation de la RMN, le Louvre carbure au Red Bull. Impérialisme pour les uns, conséquence de la mondialisation pour les autres, la politique de développement d’Henri Loyrette, son directeur, est tout sauf statique. Celui-ci a bien compris que le nerf de la guerre c’est l’argent ; aussi, il fait levier de tout son poids pour collecter l’argent des mécènes, louer ses œuvres et sa marque, vendre son savoir-faire.
Le Louvre Abu Dhabi est le symbole le plus bling bling de cette stratégie. Comment le lui reprocher ? Les fonds recueillis permettent d’entretenir un site gigantesque, de réaménager les salles, de mieux mettre en valeur certains départements. Il reste que cette hyperpuissance contraste singulièrement avec la situation de l’immense majorité des musées qui voudraient bien que leur grand frère partageât un peu plus ses ressources. Car après tout, disent certains, le Louvre appartient à la collectivité publique.
Mais dans cette course symbolique, le Louvre n’est pas invincible. L’écart avec ses deux poursuivants que sont Orsay et le Centre Pompidou s’est resserré et ne tient plus qu’à un fil. Car, contrairement au Louvre, ces deux établissements, qui sont tout aussi actifs que leur aîné, enregistrent une fréquentation en hausse et supérieure à la moyenne. Beaubourg rate même la première place de peu, en raison de l’absence d’audioguides. « La faute à l’inertie », se lamente le nouveau patron du Centre, Alain Seban, qui a découvert cette anomalie en prenant ses fonctions. Il a demandé à ce qu’il y en ait pour l’exposition « Traces du Sacré » et réfléchit à leur généralisation pour toutes les collections. Des collections permanentes qui ont enfin retrouvé l’intégralité des deux étages qui leur sont consacrés après de nombreux travaux.
Le musée Guimet n’est pas très loin non plus, solidement accroché à sa quatrième place. La baisse du nombre de visiteurs et un récolement plus ancien que ses devanciers l’empêchent de monter sur le podium cette année. Les Arts décoratifs se maintiennent avec panache à la cinquième place, tirant bénéfice de la fin des travaux de rénovation, de l’ouverture d’un restaurant et d’une fréquentation en hausse record de 36 %. Mais il leur faut impérativement réaliser un récolement pour rester bien classés en 2009.
Le Quai Branly et Versailles : de sérieux prétendants au podium
Comme nous le soulignions l’an dernier, le Quai Branly pourrait bien venir bousculer la hiérarchie des musées parisiens. Entré directement à la 12e place dès sa première année, il gagne 5 places cette année. Il lui suffit de ne pas faire l’impasse sur trois quatre des questions du palmarès pour rejoindre le trio de tête. Avec 1,4 million de visiteurs, en hausse de 55 % par rapport à 2006, la fréquentation approche de la capacité maximale, que Stéphane Martin estime entre 1,8 et 2 millions. Le directeur du Quai Branly a dû élargir les horaires d’ouverture pour répondre à la demande. Une réussite incontestable, même s’il affirme prudemment qu’un ou deux ans sont encore nécessaires pour « mettre la fusée sur son orbite ».
Pourtant quatrième dans le sous-classement Dynamisme, le château de Versailles ne pointe qu’à la 37e place au classement général, perdant 10 rangs. Il est pénalisé par une communication vers le public encore trop « Ancien Régime », ni programme, ni newsletter et, plus encore, par des lacunes dans le travail scientifique de base sur les collections : ni inventaire informatisé, ni récolement, ni salles de documentation. Versailles est un monstre et il faut au moins un ancien ministre pour le dompter. Poursuivant le travail de Christine Albanel, Jean-Jacques Aillagon restaure les lieux emblématiques, comme par exemple à la galerie des Glaces rouverte en 2007, tout en soignant tant bien que mal l’accueil calamiteux des 5,3 millions de visiteurs (en hausse de 12 %). En priorité : une zone d’accueil et des toilettes !
Les grands musées de région sont au coude à coude
Comme on le voit, la taille peut être un avantage (le Louvre), mais aussi un inconvénient (Versailles). Il n’est pas étonnant que les grands musées de Beaux-Arts en région, qui présentent une taille optimale compte tenu de l’agglomération qui les porte, soient bien placés dans le palmarès. Rouen (7e), Lille (9e), Nancy (11e), Lyon et Amiens (13e), Nantes (18e) occupent des places d’honneur tout aussi notables que la quinte parisienne. Rouen et Lille se tiennent dans un mouchoir de poche par le nombre de points.
Malgré un petit accident dans la fréquentation, Rouen gagne une place : un accueil excellent (4e) et une conservation sérieuse (6e). Laurent Salomé, son directeur, affirmait dans le Journal des Arts en 2005 : « Nous évitons toujours avec soin les choses outrageusement connues. » Ce choix courageux lui a joué des tours. Alors qu’en 2006 l’exposition sur les peintures de Florence attirait 88 000 visiteurs, celle de 2007 sur la mythologie de l’Ouest américain n’en attirait que 35 000. D’où la baisse de 39 % du nombre total de visiteurs.
Le palais des Beaux-Arts de Lille a fait le choix des expositions prestigieuses, telle que la rétrospective Philippe de Champaigne en 2007. Un pari gagnant puisque la fréquentation a augmenté de près de 9 %, mais au prix d’une inflation des coûts. Avec 1,3 million d’euros, Lille a le plus gros budget en région pour les expositions temporaires.
Le musée des Beaux-Arts de Lyon dispose de tous les atouts pour occuper les premières places. C’est l’une des plus belles collections, dont 9 500 œuvres sont exposées sur 18 600 m2, soigneusement cajolées par 16 conservateurs. La forte mobilisation qui lui a permis d’acquérir La Fuite en Égypte de Poussin témoigne de son rayonnement. Et du reste ses compétences scientifiques lui ont fait gagner 35 places dans le classement Conservation. Mais, à ce niveau du classement, l’absence d’audioguides et de programme d’activité et une petite baisse du nombre de visiteurs (l’exposition Géricault avait boosté la fréquentation en 2006) font perdre de précieux points.
Bienvenu chez les Ch’tis (de Roubaix)
Mais à l’instar des sorties cinéma de 2008, c’est un outsider venu aussi du pays des Ch’tis qui rafle la mise des musées en région : le musée d’Art et d’Industrie de Roubaix. Il gagne 10 places au classement général pour faire jeu égal avec les Arts Décoratifs de Paris et chipe la deuxième place à Orsay du sous-classement Dynamisme, talonnant de 2 points le Louvre. La convivialité de cette ancienne piscine et le rythme soutenu des expositions temporaires sont les deux ADN du lieu. Des chromosomes portés par une population roubaisienne qui fait véritablement corps avec « son » musée (lire interview p. 34).
La comparaison avec la « révélation » du palmarès 2006, le musée des Beaux-Arts d’Orléans (19e) permet de comprendre les ressorts de l’enquête. Roubaix et Orléans sont de taille à peu près équivalente : même nombre d’habitants (à ceci près que Roubaix bénéficie d’une agglomération urbaine beaucoup plus étendue), même superficie, même nombre de tableaux. Tous les deux sont aidés par des « amis du musée » très actifs et parmi les plus nombreux. Pourtant Roubaix attire 15 fois plus de visiteurs payants et reçoit de ce fait onze fois plus de recettes commerciales. L’explication de ces écarts est à chercher du côté du nombre d’expositions grand public. Plus un établissement organise d’événements fédérateurs, plus il alimente le flux des visiteurs, mais aussi celui des mécènes qui privatisent les lieux (21 soirées à Roubaix contre 2 à Orléans), voire financent des acquisitions. Mais si Orléans occupe une respectable deuxième place par la qualité de son accueil, il perd de nombreux points au général en raison de l’absence d’inventaire informatisé et d’un récolement.
L’importance du tourisme dans les villes de moins de 20 000 âmes
Le classement des musées des villes de moins de 20 000 habitants met une fois encore en évidence l’importance du tourisme dans la bonne santé des musées. Céret (2e dans le classement des villes de moins de 20 000 habitants/41e dans le classement général), Fontainebleau (3/51), Pont-Aven (4/54), Giverny (6/62), Péronne (7/64), Le Touquet (10/70), tous ces noms évoquent des villes touristiques. Ces musées reposent en grande partie sur un public extérieur pour qui ils sont l’objet principal de leur visite dans la région. Le cas le plus caricatural étant le musée du Président Chirac (8/67) à Sarran (300 habitants) en Corrèze. Un musée entièrement financé par le conseil général, un ancien fief UMP qui vient de passer à gauche...
Giverny (500 habitants) est un cas un peu à part. C’est le musée d’Art américain qui est classé, et non pas la maison de Claude Monet (non classée). Le premier tire parti de la seconde et récupère, grâce à ses expositions grand public et à sa charmante cafétéria, le public venu d’abord visiter la maison du maître de l’impressionnisme. Avec près de 100 000 visiteurs par an, surtout en saison, il accueille plus de monde que le musée Guimet à Paris. Musée privé, il est question qu’il passe sous tutelle du département.
L’Historial de la Grande Guerre à Péronne n’est pas un musée des Beaux-Arts. Mais il a toute sa place dans ce palmarès par la dimension culturelle et les représentations de la guerre qu’il expose. Là aussi, il est probable que les 74 000 visiteurs (en baisse de 13 %) ne sont pas venus que pour visiter la charmante ville de Péronne en Picardie (9 000 habitants).
La situation de la tête de liste de ce sous-classement des villes de moins de 20 000 habitants, le musée Matisse au Cateau-Cambrésis, ressemble un peu à celle de Péronne et illustre une fois encore le dynamisme du Nord. À 90 km de Lille, dans un environnement plutôt rural, la ville natale de Matisse, 7 500 habitants, réussit à attirer dans son musée 70 000 visiteurs dont 40 % de touristes. Comme Péronne, un gros bataillon du public est constitué de scolaires : plus de 40 %. Ce jeune musée (1952) s’est véritablement constitué grâce aux donations Matisse, Herbin, et cette année (officiellement) Tériade. Les œuvres offertes par Alice Tériade, la veuve de l’éditeur, sont estimées à 42 millions d’euros. Du coup, les collectivités locales ont accepté de financer l’agrandissement des lieux en 2002. Il offre presque tous les services attendus aujourd’hui par le public lui offrant une belle 17e place du classement Accueil. Et il mène une politique active et pointue d’expositions temporaires. Un vrai cas d’école qui démontre que sans atouts particuliers une ville peut propulser son musée dans le top 25 des grands musées d’art.
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Les surprises du palmarès des musées 2008
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°604 du 1 juillet 2008, avec le titre suivant : Les surprises du palmarès des musées 2008