Les archéologues de l’Inrap ont mis au jour les fragments d’un sublime jubé polychrome du XIIIe siècle, enfoui dans les décombres de la cathédrale, dont les plus beaux éléments sont exposés au Musée de Cluny, à Paris.
Une tête de Christ aux yeux clos, une autre au regard bleu. L’une de ses mains, clouée sur la croix. Son buste transpercé. La lanterne de son arrestation, dans le jardin des Oliviers, où Judas le trahit par un baiser qui le désigne aux soldats. Les bustes des larrons crucifiés à ses côtés. Des segments de frise végétale, aussi, des dais représentant des éléments d’architecture… Ces fragments d’un ancien jubé de Notre-Dame, trente au total, exhumés à l’occasion des fouilles archéologiques menées dans la cathédrale pendant sa restauration, révèlent le passé polychrome de la cathédrale, aujourd’hui effacé.
Les cendres de Notre-Dame après l’incendie d’avril 2019 n’avaient pas encore refroidi que, déjà, les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) se rendaient à son chevet. Tout au long de la restauration, une cinquantaine d’archéologues et de spécialistes ont mené un programme de diagnostics et de fouilles archéologiques au sein de l’édifice et à ses abords. Leurs découvertes documentent 2 000 ans d’histoire de Notre-Dame et de l’île de la Cité. La découverte des fragments du jubé est la plus spectaculaire. En 2022, entre le chœur et la nef, les archéologues ont en effet mis au jour quelque 1 035 fragments d’éléments sculptés polychromes d’un jubé du XIIIe siècle, démoli au XVIIIe pour répondre aux nouveaux usages liturgiques. « L’enfouissement de ces vestiges a permis la préservation de leur polychromie ; leur découverte est d’autant plus incroyable qu’on ne possède aucune représentation iconographique de ce jubé », souligne l’archéologue de l’Inrap Christophe Besnier, qui a dirigé les fouilles. Si quelques fragments de ce jubé avaient déjà été mis au jour au XIXe siècle à l’occasion de travaux entrepris par Eugène Viollet-le-Duc, ils avaient rapidement perdu leur polychromie. Certains ont été conservés au dépôt lapidaire de la cathédrale, en plein air, jusqu’aux années 1970, d’autres – une dizaine – au Musée du Louvre.
« L’enjeu est de comprendre la structure du jubé », explique Damien Berné, conservateur en chef du patrimoine au Musée de Cluny et commissaire de l’exposition. Pour l’heure, les chercheurs ont établi que celui-ci figurait notamment des scènes de la Passion, soulignées par des frises végétales habitées de petits animaux, ainsi que par des éléments de microarchitectures, comme des colonnes, des clochetons ou des pinacles, qui représenteraient une réduction, ou une mise en abyme, de la cathédrale.
Avant d’être présentés au public, les 30 fragments du jubé exposés au Musée de Cluny, qui comptent parmi les plus beaux exhumés par l’Inrap, sont passés entre les mains des spécialistes, qui ont pu stabiliser leur polychromie. « Cette dernière était d’une très grande fragilité, car la substance qui permettait de lier les pigments à la pierre s’est désagrégée pendant des siècles d’enfouissement. Il était absolument nécessaire de stabiliser les couleurs avant de les exposer », explique Damien Berné. La stabilisation de l’ensemble des fragments exhumés est en cours. L’Inrap, dans le cadre d’un Projet collectif de recherche (PCR), bénéficie de quatre ans pour les étudier, notamment pour mieux comprendre l’iconographie et la structure du jubé, en lien avec des partenaires universitaires, les musées, le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) ou encore le C2RMF, Centre de recherche et de restauration des musées de France. Une fois la polychromie stabilisée et les études menées, peut-être ces fragments seront-ils exposés dans ce « musée de la cathédrale » qu’Emmanuel Macron a appelé de ses vœux lors d’une visite du chantier de restauration ?
La science au service des couleurs de Notre-Dame
Le Musée de Cluny ne se contente pas d’exposer plus beaux fragments polychromes du jubé de Notre-Dame. Il révèle aussi les couleurs perdues de la cathédrale. L’étude des vestiges de linteaux du portail du Jugement dernier, déposés au XIXe siècle, a ainsi permis de retrouver d’importantes traces de polychromie. « Elles nous ont permis de restituer des couleurs très franches, qui étaient très efficaces et visibles de loin », décrit Damien Berné, commissaire de l’exposition. De même, les statues des portails ou de la galerie des rois, présentées au Musée de Cluny, étaient toutes peintes. Des fantômes d’inscriptions permettent également aux chercheurs d’identifier certaines figures anonymes, à l’instar d’un roi de l’Ancien Testament qui pourrait être Salomon. En outre, le LRMH, en collaboration avec le Commissariat de l’énergie atomique (CEA) à Saclay, a mis au point un procédé de datation au carbone 14 des couleurs grâce au crottin de cheval utilisé pour la fabrication du blanc de plomb, qui servait à combler les pores de la pierre avant la pose de la polychromie. « Nous espérons ainsi raconter une histoire de la polychromie tout au long du XIIIe siècle au sein de la cathédrale », résume Damien Berné.
Marie Zawisza
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Les couleurs exhumées de Notre-Dame
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°781 du 1 décembre 2024, avec le titre suivant : Les couleurs exhumées de Notre-Dame