Église

Les secrets des pierres de Notre-Dame

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 24 septembre 2024 - 1037 mots

PARIS

Le Musée national du Moyen Âge de Cluny, à Paris, conserve des fragments sculptés de la cathédrale, dont les têtes monumentales de rois et des éléments du jubé. Après une grande campagne d’étude et de restauration, ces pièces médiévales révèlent leurs secrets dans l’exposition « Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame », annonçant la réouverture prochaine de « la vieille dame ».

1. Destructions séculaires

En 2019, l’incendie de Notre-Dame de Paris a braqué les projecteurs sur le sort mouvementé du monument emblématique de la capitale et plus largement de l’histoire de France. Ce terrible accident n’est pourtant que le dernier rebondissement en date du destin de ce vaisseau de pierre millénaire. Avant même la Révolution française et son cortège d’actes de vandalisme, la cathédrale a en effet régulièrement été dégradée. Comme l’art médiéval n’était guère apprécié au XVIIIe siècle, le grand architecte Jacques-Germain Soufflot détruisit sans scrupule le portail central consacré au Jugement dernier, afin d’agrandir l’entrée pour faciliter les processions. Les sculptures monumentales qui coiffaient le portail sont alors déposées. Elles n’intégreront le Musée de Cluny qu’en 1853, en pleine période romantique qui se passionne pour le Moyen Âge, singulièrement pour l’art gothique, et pour Notre-Dame en particulier. Dans le sillage du roman de Victor Hugo (1831), les vestiges du monument sont enfin considérés avec les égards qu’ils méritent.

2. Cathédrale martyrisée

Parmi les innombrables monuments victimes des destructions révolutionnaires, Notre-Dame occupe une place à part. Son emplacement central, son histoire intimement liée au pouvoir royal et son abondante iconographie font d’elle l’une des cibles de prédilection des vandales. Alors que le culte est interdit en 1793, l’édifice est pillé et saccagé. Il échappe in extremis à la destruction pure et simple, car il est transformé en temple de la Raison (temple athée). Sa proximité avec le quai Saint-Bernard, qui sert alors de port aux vins, influe sur sa reconversion puisque l’église devient l’improbable entrepôt des « vins de la République ». Si les murs sont, plus ou moins, sauvés, le décor sculpté est en revanche presque entièrement mutilé. L’objectif est clair : il s’agit d’effacer des symboles qui rappellent trop l’Ancien Régime, mais aussi de récupérer de précieux matériaux de construction. Cette déprédation n’est d’ailleurs pas l’œuvre d’une foule en colère, mais le travail d’entrepreneurs en bâtiment.

3. Rois de France ?

On le sait, la Révolution a coupé les têtes à tour de bras. Y compris celles de rois imaginaires. Croyant voir dans la galerie des rois les portraits des souverains de France, les révolutionnaires se sont acharnés sur ces effigies les décapitant et les mutilant. Il s’agissait en réalité des rois de l’Ancien Testament et plus précisément de la tribu de Juda, les ancêtres de la Vierge Marie. Ces têtes ont connu un destin des plus rocambolesques puisqu’elles ont été achetées par Jean-Baptiste Lakanal, un pieux catholique qui souhaitait leur offrir une digne sépulture. Il les a enterrées dans les fondations de l’hôtel particulier qu’il se faisait construire rue de la Chaussée d’Antin. En 1977, c’est la découverte du siècle : les travaux sur ce site devenu, depuis, propriété de la Banque de France du commerce extérieur exhument ces précieux vestiges. L’événement met le public et les chercheurs en émoi. Les têtes sont restaurées, étudiées et exposées aux quatre coins du monde avant d’intégrer le Musée de Cluny.

4. Matériau utilitaire

Les sculptures monumentales ornant la cathédrale sont donc systématiquement descellées et traînées sur le parvis devant Notre-Dame. Si les têtes et d’autres fragments sont jugés peu exploitables et abandonnés à l’état de gravats sur le site, les éléments de grand format sont en revanche vendus aux enchères pour être réutilisés comme matériau de construction. Les statues ne connaissent toutefois pas toutes un sort similaire. Les sculptures du portail sud vivent ainsi une étonnante seconde vie puisque ces douze grandes statues représentant saint Étienne entouré d’apôtres et de saints locaux ont été décapitées avant d’être reconverties en bornes. Elles servaient à ceinturer l’espace du marché au charbon qui se tenait rue de la Santé. Leur réutilisation dans l’espace public les a paradoxalement sauvées de la destruction totale puisqu’elles ont ainsi été repérées et mises à l’abri dans le dépôt lapidaire de la Ville de Paris. Elles ont ensuite été données au Musée de Cluny dès sa création en 1844.

5. Chef-d’œuvre gothique

Être ringard lui a sauvé la vie ! Difficile à croire, mais ce chef-d’œuvre du Moyen Âge a été jugé démodé au XVIIIe siècle. Cet Adam étonnamment sensuel a en effet été déplacé du transept car passé de mode. Cette mise à l’index lui a paradoxalement permis d’échapper au vandalisme et d’être une des plus belles sculptures de Notre-Dame conservées à ce jour, voire de l’art français tout court. Il a ensuite rapidement été identifié comme une pépite et exposé au Musée des monuments français qui réunissait les plus importantes sculptures du pays. Son caractère exceptionnel réside entre autres dans son absence totale de vêtement : la représentation de la nudité étant rarissime au Moyen Âge. Sa finesse d’exécution et son iconographie sont tout aussi exceptionnelles. Le personnage biblique adopte en effet la posture bien connue de la Vénus pudique de Praxitèle (IVe siècle av. J.-C.) avec son hanchement suggestif et sa main couvrant l’entrejambe. Son visage d’inspiration antique rappelle par ailleurs les sculptures d’Apollon.

6. Redécouverte miraculeuse

Le sauvetage de la cathédrale après l’incendie de 2019 a suscité un vaste chantier de restauration, mais aussi d’étude du monument. L’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) a été associé à ces travaux d’une envergure exceptionnelle. Les archéologues ont fait des découvertes presque miraculeuses sur le site, à commencer par la mise au jour de très nombreux éléments du jubé médiéval dans un état de conservation inespéré. Le jubé, c’est-à-dire la clôture sculptée séparant le chœur liturgique de la nef, avait été détruit sous Louis XIV. Un millier de fragments lapidaires composant ce mur du XIIIe siècle avaient été inhumés sous le pavement de la zone du transept. Cet immense puzzle se compose de personnages, d’éléments architecturaux, ainsi que de décors végétaux. Ces sculptures, pour certaines de très grande qualité, ont de plus conservé leur polychromie d’origine. Les plus belles pièces de cette découverte exceptionnelle sont présentées au sein de l’exposition du Musée de Cluny.

À voir
« Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame »,
Musée de Cluny, 28, rue du Sommerard, Paris-5e, du 19 novembre 2024 au 16 mars 2025, www.musee-moyenage.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°779 du 1 octobre 2024, avec le titre suivant : Les secrets des pierres de Notre-Dame

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