PARIS [06.04.12] – Les présentations et débats sur le numérique dans les lieux culturels auxquels ont participé près de 330 professionnels attestent de la multiplicité des expériences, s’agissant notamment des réseaux sociaux et des audioguides. PAR MARIE HABERT
Les troisième rencontres nationales Culture & Innovations(s), organisées par le Club Innovation & Culture / CLIC, et animées par son directeur, Pierre-Yves Lochon, se sont déroulées mercredi 4 avril dans l’auditorium Boris Vian de la Grande Halle de la Villette. Tous les ans, ces rencontres sont l’occasion, pour les professionnels des musées et des lieux culturels français, d’échanger sur les nouvelles pratiques numériques et les nouveaux outils technologiques qui peuvent être mis au service de la culture. Le succès grandissant de ces rencontres témoigne de l’importance d’une veille en ce qui concerne les nouvelles technologies appliquées à la culture et au patrimoine. Avec 330 participants cette année, le CLIC enregistre une hausse de près de 45 % de fréquentation de ses rencontres.
Le thème de ces troisième rencontres était l’impact du numérique sur les trois temps de la visite culturelle : avant, pendant et après. 21 intervenants et trois tables-rondes thématiques ont permis d’aborder cette question bien trop vaste pour être traitée en une seule journée. Florence Berthout, directrice générale de l’Etablissement Public du Parc et de la Grande Halle de la Villette, a annoncé dans les premiers mots introductifs de la journée qu’il fallait « jouer la mobilité à l’heure du tout numérique ».
Usages variés des réseaux sociaux par les institutions culturelles
La première table-ronde de la journée a révélé les usages très variés des réseaux sociaux et plateformes communautaires par les institutions muséales dans la conquête et la fidélisation du public. Actuellement, un internaute sur deux en France est connecté à Facebook (chiffre Ipsos MediaCT 2011) mais seulement 37 % d’entre eux suivent une marque. En parallèle, 40 % des institutions muséales et lieux culturels français possèdent une page sur Facebook. Ils sont moitié moins nombreux à avoir créé un compte Twitter mais leur part est en augmentation. Les résultats de l’étude CLIC France 2011 révèlent que sur 150 musées et lieux culturels français, 120 sont présents sur au moins un réseau social (soit 80 %). Sur ces 120 musées et lieux culturels, 67 % d’entre eux sont présents sur la plateforme Facebook et 38 % utilisent un compte Twitter.
Les réseaux sociaux sont de véritables outils de communication pour aller vers le public. Bien qu’encore frileuses sur certains projets (en particulier ceux concernant un partage de contenus culturels en ligne), les institutions françaises multiplient les « événements » sur ces réseaux sociaux pour fidéliser leur public internaute et conquérir de nouveaux publics.
Au musée du Louvre, l’évènement « Fan du Louvre », organisé le 23 mars dernier, a permis à l’institution d’aller à la rencontre de son public Facebook. 1000 fans de la page Facebook du Louvre ont été sélectionnés et invités à se rendre gratuitement à la nocturne du musée, et bien que seulement la moitié d’entre eux se soient réellement rendus au musée ce soir là (car les fans sélectionnés ne pouvaient pas venir accompagnés), l’expérience fut un succès pour le musée. Pour Niko Melissano, chargé des réseaux sociaux du musée du Louvre, « l’évènement a permis au Louvre de transformer des internautes en visiteurs du musée ». L’évènement a permis à la fois de fidéliser des visiteurs qui connaissaient déjà le musée et de faire venir de nouveaux publics (certains fans de la page Facebook du Louvre, bien que parisiens, n’étaient encore jamais venus au musée !).
Le LaM (Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut) de Lille a accompagné sa réouverture en septembre 2010 d’une forte présence sur les réseaux sociaux. En 2010, un événement organisé sur la page Facebook de l’institution devait permettre au musée d’attirer de nouveaux publics, en particulier celui étudiant. 150 personnes se sont rendues au musée pour l’occasion. En 2011, les équipes du LaM ont renouvelé cette opération mais ont décidé « d’externaliser » l’événement. Plutôt que d’être présentée sur la page Facebook du musée, l’évènement a été créé sur la page d’un étudiant. Les résultats de cette action de communication menée par une personne extérieure au musée ont été positifs. La fréquentation de l’événement a triplé : 450 étudiants se sont rendus au LaM pour la nocturne organisée uniquement à leur attention. Benoit Villain, responsable du service des projets éducatifs et culturels, assure que « l’étudiant (chargé d’organiser l’événement sur sa page Facebook) n’a pas été perçu comme une personne du musée. Et que les étudiants ont très bien compris qu’ils s’agissaient d’un évènement du LaM ».
A Rennes, Les Champs Libres se sont également dotés de comptes Twitter et Facebook pour communiquer avec son public internaute. Ces réseaux sociaux, ainsi que le site internet des Champs Libres, sont utilisés pour partager des contenus en ligne (contenus culturels, informations pratiques sur la programmation, etc.), collecter les impressions des visiteurs en retour d’une visite, et mettre en ligne les contenus des visiteurs-internautes. Pour certains évènements, « plus les visiteurs-internautes du site internet sont nombreux, plus il y a de visiteurs physiques aux Champs Libres », confie Anthony Cocherie, chargé de communication multi-supports aux Champs Libres avant d’ajouter que les réseaux sociaux ont permis à l’équipement « d’aller plus facilement vers d’autres publics ».
le Centre Pompidou propose lui aussi de nombreux projets, utilisant notamment les réseaux sociaux, pour participer à la démocratisation de la culture et des arts. « La stratégie des réseaux sociaux est axée sur les contenus », annonce Gonzague Gauthier, chargé de projets numériques au Centre Pompidou. Alors qu’un grand projet de base de données sur l’art moderne et contemporain vient d’être lancé par le Centre Pompidou, l’équipe du Centre Pompidou utilise les réseaux sociaux non par pour diffuser directement des contenus mais pour amener l’internaute à venir vers ces contenus, qu’ils soient en ligne (base de données ou sites internet) ou dans le musée.
Ces quatre expériences muséales d’utilisation des réseaux sociaux témoignent de la diversité des usages qui en sont faits par les institutions culturelles. Avant la visite, les réseaux sociaux sont plutôt un outil d’accroche des internautes qui a pour objectif de les faire venir physiquement dans les musées (Louvre) et/ou de les amener à consulter des contenus culturels en ligne (Centre Georges Pompidou). Pendant la visite, Facebook et Twitter sont encore peu présents mais la multiplication des tablettes numériques et des smartphones individuels devraient voir évoluer l’usage de ces réseaux au cours de la visite culturelle. En fin de visite, ils permettent surtout un retour des visiteurs ; ils deviennent alors moyens de prescription pour les internautes et observatoires du public pour le musée.
En fin de journée, Yves Armel Martin, directeur de Museolab / Centre Erasme, revenant sur ces expériences muséales des réseaux sociaux, a noté que « la place dans l’organigramme des personnes responsables des réseaux sociaux au sein des institutions peut expliquer, en partie, l’usage qui est fait de ces réseaux ». En effet, placés tour à tour dans les pôles communication, marketing, web, développement culturel quand ils ne sont pas gérés par une cellule spécialisée, les réseaux sociaux sont successivement outil de communication, de médiation, de diffusion de contenus culturels, etc.
Outils numériques d’aide à la visite dans les musées
Consacrée à la médiation mobile dans les musées, la seconde table-ronde de la journée a permis de confronter plusieurs expériences de médiation muséale par audioguides et/ou sur support individuel mobile. Alors que l’étude CLIC France 2011 révèle que 30% des institutions sont dotées de bornes interactives et 21% de dispositif multitouch, une importante progression des dispositifs mobiles de médiation est également enregistrée au sein des institutions françaises. Si les QR Codes et la RFID sont encore peu présents et concernent respectivement 14% et 8% des musées et lieux culturels interrogés, les audioguides connaissent une progression importante dans leurs formes, contenus et utilisation. L’étude révèle en effet que l’audioguide est l’outil d’aide à la visite le plus repandu dans les musées et se retrouvent dans 75% des cas.
Outils traditionnels de médiation, les audioguide voient leur contenu évoluer : un tiers d’entre eux proposent à présent des vidéos et des images (on parle alors de visioguides) et dans un cas sur quatre ils sont téléchargeables directement en ligne sur smartphones. La diversité des contenus (sons, vidéos, images) et le multilinguisme des audioguides contribuent au renforcement de l’accessibilité des collections des musées et du patrimoine.
Au Palais des Beaux-Arts de Lille, une nouvelle génération d’audioguides a été mise en place pour la visite des collections permanentes. L’objectif premier de ces audioguides était de « contextualiser » une centaine d’œuvres (sur les 1500 présentées). Proposé en quatre langues et en langue des signes, le visioguide du musée propose une dizaine de parcours de visite. Florence Raymond, attaché de conservation du patrimoine du musée, rappelle que « ces audioguides sont des outils individuels d’aide à la visite qui ne remplacent pas la médiation humaine proposée dans le musée mais qui viennent en complémentarité de celle-ci ». Compris dans le billet d’entrée du musée, le modèle des audioguides « nouvelles génération » du musée des Beaux-Arts de Lille reflète bien le constat de l’étude CLIC France 2011 concernant le prix de vente de ces nouveaux outils d’aide à la visite. Dans presque 35% des cas, l’audioguide est compris dans le prix du billet d’entrée du musée, et 40% des musées le proposent gratuitement.
A la Cité de l’Espace de Toulouse, depuis février 2011, le projet européen CHESS permet aux équipes de la Cité de développer un nouvel outil mobile d’aide à la visite. Le contenu de la nouvelle application, qui pourra être téléchargée sur smartphones et tablettes numériques, a été élaboré à partir d’études très poussées concernant le déroulement de la visite culturelle. L’application est une offre interactive à la fois « indoor » et « outdoor », conçue pour le public individuel familial. Parmi les nombreux besoins auxquels doit répondre cette application, celui de constituer un stock personnalisé de contenus au cours de la visite apparait comme le plus intéressant. Il doit permettre aux visiteurs de constituer une sorte d’album-souvenir de sa visite tout en leur permettant de repartir avec des informations complémentaires. L’application fournit aussi des informations pratiques sur la Cité de l’Espace. « Ce nouvel outil s’inscrit comme un service aux utilisateurs » annonce Christophe Chaffardon, responsable Education de la Cité de l’Espace. Car bien que support de contenus culturels scientifiques, l’application se veut avant tout une aide au bon déroulement de la visite sur place.
A la Cité des Sciences et de l’Industrie, l’exposition Gaulois, une expo renversante, propose aux visiteurs possédant un smartphone d’écouter gratuitement 14 commentaires sonores accessibles à partir de QR Codes ou par NFC. Pour Universicence, et en particulier pour Claude Farge, directeur des Editions du Transmedia, « cette webapp constitue une offre numérique transversale pour le visiteur », donc complémentaire des autres installations de médiation de l’exposition. Gratuite, l’application n’est cependant accessible qu’aux visiteurs possédant un smartphone.
La médiation mobile est aujourd’hui en plein essor dans les musées. Mais le temps de la technologie est rarement celui de la culture ! La création des contenus culturels à intégrer dans les nouveaux supports technologiques prend du temps et certaines technologies peuvent apparaître obsolètes alors qu’elles viennent tout juste d’intégrer la sphère muséale et patrimoniale. En parallèle, des inquiétudes concernant la multiplication des écrans dans ces sphères sont bien compréhensibles. Qu’advient-il de la médiation humaine lorsque le visiteur se pare de ses écouteurs et fixe son écran ? Les yeux fixés sur sa tablette ou son smartphone, le visiteur prend-il le temps de regarder les œuvres qu’il a en face de lui ? Les musées ont certes une responsabilité, qui n’est pas de limiter mais de doser habilement la façon dont les contenus culturels doivent être présentés, quantitativement et qualitativement, sur ces « écrans », mais le visiteur est également libre et reste toujours maître de sa visite. Il peut choisir à tout moment de débrancher son écran, de quitter un parcours préétabli par l’audioguide, etc.
Avec la mobilité et l’interactivité, c’est également la notion de plaisir qui doit être associée à la culture. Les trois exemples précédents illustrent bien cette nouvelle direction que prennent les outils d’aide à la visite, qui n’est pas de prémâché ou de simplifier la visite de public, mais bien de rendre celle-ci plus agréable, plus fluide, plus naturelle. Au début de la journée, Conxa Rodà, responsable de la stratégie et de l’innovation au Museu Nacional d’Art de Catalunya de Barcelone, avait d’ailleurs rappelé à l’assistance que le numérique devait être utilisé « pour faire de la visite une expérience », avant de présenter plusieurs bonnes et mauvaises intégration du numérique à de projets culturels internationaux.
Le numérique, un investissement pour la culture
Dans la troisième et dernière table-ronde, les intervenants ont abordé les questions relatives au financement des projets et aux partenariats à envisager pour les mener à bien. Bien qu’aucun modèle économique du numérique n’a pu être véritablement établi à la fin de ces rencontres, la table-ronde a néanmoins permis de récapituler les différents moyens de financer un projet culturel numérique et de générer des recettes, car la culture n’est pas incompatible avec la production de richesses financières qui ne sont finalement que des retours sur investissements qui pourront être réinvestis dans de nouveaux projets. 4 types de financement ont été identifiés : le budget propre de l’institution, une aide publique exceptionnelle, l’appel à des mécènes, et la mutualisation. Souvent, comme en témoignent les projets présentés, c’est la combinaison de deux types de financement qui permet au projet de voir le jour.
Le réseau INmédiats, constitué de six centres de sciences sur le territoire français, a pour mission de développer l’innovation numérique et la médiation dans le domaine scientifique sur l’ensemble du territoire français. Le projet a réussi à se constituer en 2011 un budget de 31 millions d’euros. Lauréat du Grand Emprunt en septembre 2011, dans le cadre de l’appel à projets « Développement de la culture scientifique et Egalité des chances » du Programme des Investissements d’Avenir, INmédiats a obtenu 15 millions d’euros d’aide de l’Etat. Les 16 millions d’euros restant viennent des différents financeurs habituels des six centres de science qui ont décidé de mutualiser cet argent (public et privé) pour mener à bien leur projet national.
Au musée du Louvre, les mécènes sont la force de financement des projets culturels globaux comme des projets numériques particuliers, bien que les entreprises spécialisées dans la technologie numérique ne soient pas toujours les premiers ou les seuls à participer à la mise en place de nouveaux outils de médiation numérique. La part du mécénat est très importante dans les projets du Louvre. Ainsi, deux-tiers des 2 millions d’euros qui ont été nécessaires pour la refonte du site internet du musée proviennent de mécènes. Les mécènes partenaires du musée n’apportent pas seulement un financement numéraire mais aussi un mécénat de compétences. Le cabinet Accenture met par exemple des consultants à disposition des équipes du Louvre pour les aider à mener à bien certains projets.
Au musée du Quai Branly, comme au musée du Louvre, le mécénat est une forme classique de financement de projets culturels et/ou numériques. Les expériences du musée du Quai Branly témoignent, eux, de la diversité des motivations des mécènes qui ne sont pas toujours attirés par le projet numérique, ou qui au contraire trouvent dans ce type de projet la possibilité de participer à une expérience muséale nouvelle, autre que la mise en place d’une exposition temporaire. Le mécénat technologique est un autre type de mécénat en nature. Des entreprises proposent parfois au musée des contenants technologiques. Le musée du Quai Branly s’est parfois retrouvé dans la position paradoxale de refuser ce type de mécénat car la création des contenus coûtait beaucoup trop cher.
Enfin, pour les musées et lieux culturels, la billetterie en ligne est également une ressource financière importante. La vente de tickets d’entrée, mais également de produits culturels et dérivés, etc. sont une source de revenus que les institutions ne doivent pas négliger, d’autant plus que 78% des internautes sont des cyberacheteurs (chiffre Ipsos MediaCT 2011). L’exemple de la vente du catalogue de l’exposition Monet, au Grand Palais, illustre bien cette nouvelle opportunité de vente pour les institutions muséales. 39 000 albums papier ont été vendus à la boutique du musée, et 5 500 e-albums ont été achetés en ligne sur l’Apple Store. Les e-albums représentent 10% des ventes totales du catalogue de l’exposition. Pour l’exposition Monet, la mobilité des visiteurs possédant un smartphone a été exploitée pour proposer aux visiteurs des contenus payants. Des zones wifi bridées à l’entrée et à la sortie de l’exposition leur permettaient de télécharger respectivement l’audioguide et le catalogue de l’exposition !
L’agence smArtapps, spécialisée dans la médiation culturelle sur supports mobiles a présenté à la fin de cette table-ronde, un modèle économique pour les applications mobiles. L’agence a en effet réalisé les applications mobiles de visite guidée des quatre dernières expositions temporaires du musée Jacquemart André. Cette collaboration continue sur deux années entre l’agence et le musée a permis de mettre en évidence deux phénomènes. En premier lieu, les revenus générés par la vente des applications ont été de plus en plus importants alors que les visiteurs n’ont pas été plus nombreux à venir aux expositions. Cela témoigne de l’équipement progressif des individus en smartphones ou autres écrans mobiles. Deuxièmement, le développement des applications a coûté de moins en moins cher grâce à la standardisation de la production (réduction de 50% des coûts en passant de 4 000 à 2 000 euros par application). Ce premier modèle économique est ficelé par le partage des revenus qui place le musée et le développeur-concepteur sur un pied d’égalité en ce qui concerne l’intéressement au succès de la vente de l’application.
Si le temps du colloque n’a pas permis de développer la question de l’investissement humain, dans la création des contenus, l’investissement sur les réseaux sociaux ou dans la médiation dans les musées et lieux culturels, tous les intervenants admettent que celui-ci est indispensable et que l’investissement financier dans les outils/installations numériques de médiation, de communication, de marketing, etc. n’est compatible qu’avec un investissement dans l’humain.
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Les 3e Rencontres du CLIC ont confirmé le fort développement du numérique dans les lieux culturels
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