Depuis quelques années, l’art contemporain prend ses aises sous les lambris dorés et les pierres anoblies par le temps et la grande histoire. L’embellie est significative cette année où jamais les manifestations de ce type n’auront été aussi nombreuses. Et l’été promet d’être chaud avec « Les Visiteurs », soit vingt monuments nationaux qui jouent la carte « jeune » en accueillant les œuvres du Fnac,
le Fonds national d’art contemporain.
Un chat en short de bain nonchalamment allongé sur un sofa, fumant une cigarette dans les appartements des filles du roi à Versailles. Une horde d’orangs-outangs déchaînés « ruinant » l’intérieur bourgeois de Victor Hugo. La métamorphose de sainte Marthe en monstre dans le château de Tarascon ou des portraits énigmatiques à Cheverny. Soit, par ordre d’apparition : Alain Séchas pour « Versailles Off » et Jean-François Fourtou, invités d’une nuit blanche très particulière en 2004, Guillaume Pinard, pensionnaire malicieux en 2003 du château du roi René, et Shanta Rao, invitée par « Images au Centre » la même année, voici quelques-uns des exemples réussis du mariage très en vogue de l’art contemporain et du patrimoine. Si les deux premiers ont joué nettement la carte de la provocation envers le public et surtout envers les conservateurs de ces vénérables maisons, une irrévérence assumée et joyeuse, arme acérée et terriblement efficace pour convaincre un public venu principalement bénéficier de la gratuité des lieux, Pinard, lui, s’est longuement enfermé dans le château pour réussir l’osmose parfaite. La réécriture de la légende de la Tarasque avec son univers graphique fantasque et enfantin plongea les lieux majestueux dans une ambiance fantastique, leur offrant une métamorphose des plus crédibles. Le monument de Tarascon a pris goût à ces aventures parfois rocambolesques et accueille ainsi chaque année des artistes et leur exposition. Quant à la manifestation « Images au Centre », elle s’emploie depuis quatre saisons à attirer le public régional dans cette multitude de châteaux qui constituent tout au plus un décor. En commandant à des artistes contemporains des campagnes photographiques sur ces témoignages de l’Histoire et leur vie actuelle, le festival a réussi son pari. Et que dire de celui lancé par « L’art dans les chapelles », manifestation bretonne qui signe en 2005 sa quatorzième édition d’un dialogue fécond entre art contemporain et patrimoine religieux.
Cure de jouvence, cure de respectabilité
Longtemps, la France s’est plu à couver, protéger, mettre sous cloche son patrimoine. Mais voilà, aujourd’hui cet héritage est un peu encombrant : plus de 40 000 bâtiments de toute nature bénéficient d’une protection et parmi eux plus de 14 000 sont classés. Dès lors, il fallait donc trouver un moyen de faire vivre ces morceaux d’histoire. Une fois la vogue du son et lumière passée, une fois le circuit touristique bien installé – Chambord affiche 711 000 visiteurs, Carcassonne 362 000 (tous deux monuments nationaux) tandis que Chenonceau comptabilise 850 000 visiteurs, les Hospices de Beaune 440 000 – quel pouvait être le « salut » ? Pour Oiron (ill. 3), sublime ensemble des xvie et xviie siècles voulu par un grand écuyer de François Ier puis acheté par la Montespan en 1700, il s’agit bien d’une renaissance. Propriété de l’État depuis 1943, l’encombrant héritage périclitait jusqu’à la décision prise au début des années 1990, d’installer en ses murs extraordinaires, un cabinet de curiosité contemporain baptisé Curios et Mirabilia (ill. 1, 2). Une fusion magistralement réussie entre passé et présent, la démonstration tranquille d’une transmission à travers les âges, d’une mémoire de l’art actuel pour certains thèmes classiques. Oiron atteste avec ses 25 914 visiteurs annuels, du bien-fondé de cette entreprise, de son intérêt historique et artistique en dehors de toute logique événementielle. L’art du xxe siècle redécouvre ses racines avec délectation, accepte ses filiations sans didactisme, assume pédagogiquement une continuité qu’il convenait auparavant de renier par souci de modernité.
Prise de rendez-vous
Avec « Les Visiteurs », vingt monuments nationaux, des châteaux de Cadillac en Gironde, Azay-le-Rideau en Touraine ou la Motte-Tilly en Champagne-Ardenne à la villa Savoye du Corbusier (ill. 4, 5), de la chapelle des Carmélites toulousaine au monastère royal de Brou, « prêtent » leur histoire pour une relecture à la lueur des œuvres contemporaines. Et il ne s’agit pas de forcer la main à un public venu pour l’Histoire avec un grand H, ni même de le braquer, point d’irrévérence ici. Juste le respect et la mise en valeur du contexte, teinté tout de même d’espièglerie. Au château d’If (ill. 10), marqué de l’empreinte du comte de Monte-Cristo, la vidéo de Rodney Graham, Vexation Island (ill. 11), anti-récit d’un naufrage, y est projetée en toute logique. À Châteaudun (ill. 13, 14), en regard de la salle de justice seigneuriale du XVIIe siècle, le tribunal de Fabrice Gygi se déploie naturellement (ill. 12).
Rapport élémentaire, assurément, anecdotique, non. Juste un tremplin pour se rendre compte que l’époque actuelle n’a rien oublié, qu’elle traverse sans cesse les mêmes tourments et ressasse les mêmes interrogations. Redécouvrir à la faveur des œuvres d’art contemporain patiemment rassemblées par le Fnac, l’histoire des illustres lieux qui les accueillent momentanément. On aimerait que la greffe prenne, que l’heureuse rencontre se métamorphose en Pacs. Une visite comme on vit un flirt, une jolie « excuse » pour revisiter des monuments qui ont bien une vie après l’Histoire.
« Les Visiteurs, œuvres d’aujourd’hui dans les monuments nationaux » se déroule du 25 juin jusqu’à l’automne. Les manifestations sont recensées sur le site www.monum.fr ou www.culture.fr et au 01 44 61 21 50. « L’art dans les chapelles 2005 », 14e édition, art contemporain et patrimoine religieux en Morbihan et Pays de Pontivy a lieu du 2 juillet au 11 septembre, www.artchapelles.com « Images au Centre », 5e édition, du 25 septembre au 27 novembre. Le programme sur www.imagesaucentre.com
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Le Fnac investit les châteaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°571 du 1 juillet 2005, avec le titre suivant : Le Fnac investit les châteaux