La vente controversée d’instruments de bourreaux aura bien lieu

Par Armelle Malvoisin · lejournaldesarts.fr

Le 28 mars 2012 - 922 mots

PARIS [28.03.12] - Des associations de défense des droits de l’Homme s’insurgent et entendent manifester contre la vente aux enchères prévue le 3 avril par la maison de ventes Cornette de Saint Cyr de la collection d’instruments de torture de l’ancien bourreau de la république française Fernand Meyssonnier. Mais la vente qui n’apparait pas illégale, aura bien lieu. PAR ARMELLE MALVOISIN

Décédé en 2008, Fernand Meyssonnier, exécuteur des arrêts criminels de 1957 à 1961, avait réuni pendant 30 ans des objets, documents et archives se rapportant à la peine capitale et aux supplices du Moyen Âge à aujourd’hui. Cette collection de plus de 800 lots a été exposée pendant quelques années dans le « Musée de la Justice et des Châtiments » à Fontaine de Vaucluse près d'Avignon (Vaucluse), créé en 1992 par le bourreau et collectionneur. Elle sera dispersée le 3 avril par la société de vente Cornette de Saint Cyr. La vente comprend un certain nombre d’ « objets de curiosité » qui furent utilisés en leurs temps : pièges pour humains, poire d’angoisse, écrase-mains, entraves, collier à pointes, masques de honte ou d’infamie, berceau de Judas, corde de pendaison, fouets, épées de justice des XVIIe et XVIIIe siècles… Quelques détails au catalogue sur les supplices infligés font froid dans le dos. Ainsi, on apprend qu’une Vierge de fer ou de Nuremberg (est. 600 euros) est un « instrument de torture, ayant la forme d’un sarcophage en fer garni en plusieurs endroits de longues pointes acérées qui transpercent progressivement la victime lorsque le couvercle se referme ». Le plus morbide étant les objets parlant d’eux-mêmes comme une baignoire en tôle de fer (est. 1 000 euros) qui fut sans doute utilisée pour commettre des atrocités, et une corbeille en rotin (est. 400 euros) ayant vraisemblablement servi au transport de cadavres. Cet arsenal d’instruments de torture a profondément indigné plusieurs associations de défense des droits de l'homme qui, sous l’égide du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (Mrap), appellent à manifester contre cette vente. À l’heure du cinquantenaire des accords d'Evian, des Algériens ont été en particulier très choqués de la publicité faite à celui qu’ils appellent le « bourreau d'Alger », car Fernand Meysonnier était en poste là-bas. Même si « aucun des objets proposés à la vente ne concerne la sinistre activité de Meyssonier en Algérie », assure la maison de ventes.

Bien que n’ayant été saisi par aucune des associations revendiquant l’interdiction de la vente, le Conseil des Ventes Volontaires (CVV) s’est ému du débat suscité et s’est penché sur la question de la légalité de cette vente « principalement dédiée aux objets destinés à infliger la peine de mort, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », indique un communiqué de presse du CVV daté du 28 mars. « La nature des objets mis aux enchères a conduit le Conseil à s’interroger, au-delà de toute considération éthique sur la valorisation financière de ces objets, sur le cadre juridique entourant cette vente. À cet effet, le Conseil a pris l’attache du ministère de la Justice et du ministère de la Culture ». Il en est ressorti qu’aucune infraction pénale, ni violation d’une obligation civile, n’a pu être constatée, « en l’absence de texte et de jurisprudence transposable en droit interne », note Catherine Chadelat, présidente du CVV qui précise que « toute référence à l’ordre public et à la dignité de la personne humaine est difficile à manier dans ce cas ». La vente n’apparait donc pas illégale. Car nous sommes donc en présence d’un vide juridique s’agissant du commerce de tels objets, alors que la loi le prévoit pour les armes dont la vente est réglementée ; d’objets protégés de la faune et de la flore qui nécessitent un certificat Cites ; de restes humains dont la vente est absolument interdite et d’objets nazis dont l’exposition publique est prohibée (donc la vente publique aussi), mais pas la vente privée.

En revanche, il existe un règlement européen du 27 juin 2005, « concernant le commerce de certains biens susceptibles d'être utilisés en vue d’infliger la peine capitale, la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui interdit ou, selon le cas, soumet à autorisation administrative l’importation et l’exportation hors du territoire de l’Union communautaire de cette catégorie d’objets », souligne le CVV qui a informé la maison Cornette de Saint Cyr « qu’il lui appartenait d’informer les enchérisseurs potentiels sur les contraintes juridiques spécifiques qui pèsent ainsi sur la circulation des objets mis en vente ». Le CVV a par ailleurs demandé à la SVV de « veiller à ce que l’exposition publique des objets, comme le déroulement de la vente elle-même, soient organisés dans des conditions propres à respecter la sensibilité de chacun ». Dans le cas où la vente se déroulerait comme prévu, le Mrap souhaite que les institutions publiques exercent un droit de préemption sur les objets. C’est bien ce qu’espère aussi la maison de ventes qui a recensé près de vingt musées européens (publics ou privés) susceptibles d’être acheteurs, dont le musée de la torture à Carcassonne (Aude) et le musée national des prisons situé dans l'ancienne maison d'arrêt de Fontainebleau (Seine-et-Marne).

Mise à jour vendredi 30 mars : Bertrand Cornette de Saint-Cyr a suspendu la vente

"Peines et châtiments d’autrefois - Collection Fernand Meyssonnie, vente le 3 avril à 19h à l’hôtel Salomon de Rothschild, 11 rue Berryer, 75008 Paris, Maison de ventes Cornette de Saint-Cyr, tél. 01 47 27 11 24, www.cornette.auction.fr

Légende photo

Instrument pour la question en fer forgé. Base rectangulaire. Deux étaux à vis manoeuvrés par manivelles, à poignée en buis tourné. Entraves verrouillées par un cadenas à vis central. L’ensemble surmonté d’une croix. (oxydation) 48 x 28 x 51 cm Estimation : 3 000 - 4 000 € - Collection Fernand Meyssonnier - photo courtesy Cornette de Saint Cyr

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque