Hadrien a su mettre l’architecture au service de son pouvoir. À l’origine du Panthéon de Rome, il a fait également édifier la Villa Hadriana, un sompteux palais dont les plans sont ceux d’une petite ville.
Peu de souverains semblent avoir montré autant d’inclination pour la vie intellectuelle et les beaux-arts que l’empereur Hadrien. Le « Graeculus » (« Petit Grec »), comme le surnomment ses contemporains, crée un service des musées, développe l’art du portrait et multiplie les réalisations architecturales pour lesquelles il ne cesse de faire expérimenter des solutions innovantes et grandioses.
Outre les nombreux arcs de triomphe matérialisant la domination romaine aux quatre coins des provinces, les aqueducs sophistiqués, les thermes luxueux, les odéons et les salles de conférence, les monuments conçus sous le règne d’Hadrien révolutionnent la notion même d’espace.
Le Panthéon romain, exaltation cosmique de l’empereur
S’il a perdu ses tuiles de bronze et son décor sculpté, le Panthéon de Rome n’a ainsi jamais cessé de subjuguer par la hardiesse de ses proportions (cylindre de 58 m de diamètre extérieur, 44 m à l’intérieur) et ses expérimentations techniques (blocage de béton habillé de briques ménageant des vides, oculus de 30 pieds procurant un éclairage zénithal, couverture en forme de dôme qui inspirera Brunelleschi et Michel-Ange). Car loin d’être un simple sanctuaire destiné à abriter un quelconque culte divin, cet énigmatique monument exalte le pouvoir impérial et la dimension cosmique de l’empereur.
En témoignent ce jeu savant de nombres rythmant les niches et les caissons intérieurs, et surtout cette source d’illumination unique qui symbolise la radieuse image solaire du souverain. Tel est cet « espace lyrique, foyer des théurgies, qui matérialise la divinisation comme aucun sanctuaire ne l’avait jamais fait », résume l’historien Henri Stierlin dans son étude éclairante (Hadrien et l’architecture romaine, Payot, 1984).
Non moins novatrice apparaît la conception du mausolée de l’empereur, édifié entre 130 et 139. S’inspirant des tumuli étrusco-italiques, l’édifice était couronné, en son centre, d’une tour supportant un quadrige coulé dans le bronze. Une galerie hélicoïdale conduisait à la chambre funéraire du souverain.
Mais c’est véritablement dans la réalisation de sa Villa, sise dans l’ancienne Tibur, à une trentaine de kilomètres de la capitale, qu’Hadrien allait assouvir tous ses fantasmes d’empereur mégalomane et de cosmocrator. Comportant plus d’une trentaine de bâtiments répartis de façon apparemment anarchique, ce vaste domaine de quelque 120 hectares a donné lieu à des interprétations toutes plus contradictoires les unes que les autres !
Doit-on y voir l’expression d’un caprice grandiose et génial, faisant d’Hadrien une sorte de Louis II de Bavière avant l’heure, gratuit et la démesure ? Temples, bassins et sculptures ne se résument-ils pas, selon d’autres, à un catalogue de modèles illustres admirés en Grèce ou en Égypte ? « C’est mal comprendre la mentalité d’un Hadrien que de lui prêter cette mièvre propension à réaliser quelque bergerie Louis XV, fruit du goût postmoderne que nous projetons dans notre époque », s’insurge Henri Stierlin.
La Villa Hadriana, le « Versailles » d’Hadrien
Ainsi, loin d’être de simples exercices de style maniéristes et précieux, les édifices qui composent la Villa Hadriana obéissaient à un programme architectural précis, tout entier dévolu à l’expression d’un rituel impérial aussi complexe qu’ambitieux. De récentes fouilles ont ainsi mis au jour un réseau de dessertes souterraines, piétonnes et carrossables à deux niveaux, et de cryptoportiques reliant les constructions entre elles qui attestent d’une conception centralisatrice et unitaire.
Au cœur de ce dispositif ponctué de bassins et de nymphées, se trouvait l’un des monuments qui a fait le plus couler d’encre : le fameux « Théâtre maritime ». Là encore, les archéologues se sont perdus en conjectures. Lieu de repos d’un dilettante romantique, voire d’un misanthrope ? Cabinet de travail ? Salle d’audiences privées ? Pour Henri Stierlin, point de doute : bordé d’un canal circulaire large de quatre mètres franchissable par de petits ponts mobiles, cet îlot était le cadre de la théophanie impériale et revêtait un aspect cosmologique évident. En son centre, une petite structure à quatre piliers d’angles abritait un trône à baldaquin d’où l’empereur-dieu procédait à des sortes d’agapes cultuelles tenues secrètes...
Pour Rémy Poignault et Raymond Chevallier, auteurs d’un passionnant petit « Que sais-je ? » consacré à l’empereur Hadrien (Puf, 1998), c’est avec le Versailles de Louis XIV que la comparaison s’impose. Organisme autosuffisant, loin du bruit des masses populaires et de la pression du Sénat, la Villa incarnait le changement du régime et suscitait, par sa magnificence, la puissance universelle de l’empereur. Astre solaire, nouveau Dionysos et amant inconsolable tout à la fois, comme en témoignent les nombreuses effigies du bel Antinoüs qui émaillaient le parcours...
Après l’empereur Qin Shi Huangdi, pourquoi avoir choisi de consacrer une exposition à Hadrien ?
« Le Premier Empereur » et « Hadrien : Empire et conflit » font toutes deux partie d’une série d’expositions consacrées aux grands dirigeants de l’histoire. Après nous être penchés sur l’Extrême-Orient, nous souhaitions regarder vers l’Occident : de la Grande Muraille au mur d’Hadrien ! Comme pour « Le Premier Empereur », ces dernières années ont été riches en découvertes archéologiques, comme cette tête d’Hadrien découverte en Turquie en août 2007, et en travaux de recherche sur Hadrien et son règne.
Quels sont les chefs-d’œuvre de l’exposition ?
Le Louvre nous a confié sa tête d’Antinoüs, une œuvre exceptionnelle. Les Musées du Capitole se sont aussi montrés généreux en nous prêtant une effigie en marbre grandeur nature d’Hadrien en dieu Mars, d’extraordinaires sculptures de la Villa Hadriana, et surtout la statue colossale d’Antinoüs représenté avec les attributs de Dionysos-Osiris.
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La soif de grandeur du « Petit Grec »
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Abonnez-vous dès 1 €« Hadrien, Empire et conflit », jusqu’au 26 octobre. British Museum, Londres. Ouvert tous les jours de 10 h à 17 h 30. Tarifs : 15 € et 12,6 €. www.britishmuseum.org. Par Eurostar à partir de 77 € aller-retour.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°605 du 1 septembre 2008, avec le titre suivant : La soif de grandeur du « Petit Grec »