Renfermant des œuvres spécialement conçues par des artistes contemporains, le « Musée Mobile » ou « MuMo » est parti à la rencontre du jeune public, de France et d’Afrique.
Paul McCarthy avait déjà caressé l’idée sans savoir comment s’y prendre : remplir un camion avec ses œuvres, partir sur la route et faire étape sur les parkings de supermarché à travers les États-Unis à la rencontre d’un public néophyte. L’Art à l’enfance l’a fait : un camion-conteneur rempli d’œuvres d’art spécialement conçues par les grands noms de l’art contemporain international, parti au début du mois d’octobre sillonner la France et l’Afrique. À la différence que le « MuMo » (pour « Musée Mobile ») a été pensé exclusivement pour les enfants. Dessiné par l’architecte Adam Kalkin, spécialisé dans l’aménagement de containers, le camion est en lui-même une entité ludique. Grâce à un système de leviers, il s’ouvre, bascule et se déploie sur deux étages, créant quatre espaces distincts d’exposition d’une surface de 45 m2, tandis que sur son toit se gonfle un lapin géant rouge de… Paul McCarthy.
Partant du constat que près de 40 % des parents en France n’emmènent pas leurs enfants au musée – par seulement pour des raisons pratiques –, la créatrice du fonds de dotation L’Art à l’enfance Ingrid Brochard a imaginé un projet ambitieux : apporter l’art aux enfants qui n’y ont pas accès et leur proposer un « voyage dans le sensible et l’imaginaire ». Forte de son expérience dans la presse spécialisée (à travers la revue Be Contemporary) et les médias (l’émission du même nom sur Direct8), Ingrid Brochard est parvenue en moins d’un an à concrétiser son ambition. Elle a traité directement avec les artistes, sans passer par leur galeriste, en leur donnant carte blanche. Sa structure a payé les frais de production, et leur a rendu l’œuvre une fois le circuit achevé. Lawrence Weiner, figure de l’art conceptuel américain, fut le premier à lui répondre favorablement ; il lui a proposé de réaliser un livret inspiré de son œuvre Give & Get, distribué à chaque enfant. Daniel Buren fut le second ; il a dessiné le motif de rayures blanches qui orne la façade rouge du conteneur, et qui prend sa forme finale une fois le camion déployé. Ces deux « cautions » artistiques décrochées, une quinzaine d’artistes internationaux aux agendas souvent surchargés ont suivi – James Turrell, Eija-Liisa Ahtila, Pierre Huygue, Huang Yong Ping …
Toucher un public inédit
Outre qu’ils ont été mis au défi d’une création soumise à de fortes contraintes techniques (les œuvres font corps avec le conteneur), la plupart des artistes ont été séduits à l’idée de toucher un public inédit. C’est le cas de James Turrell, lequel n’a jamais exposé en Afrique et estime qu’un enfant doit s’intéresser à d’autres choses qu’à l’enseignement scolaire. Si Pierre Huygue, qui a réalisé une vidéo à partir de l’un de ses aquariums (Zoodrama), mise sur l’intelligence de son jeune spectateur et refuse de simplifier son travail, Paul McCarthy est resté sage – la sobriété de son lapin gonflable en atteste. Séduite par le format imposé (4 minutes), bien plus court que ses vidéos habituelles, Eija-Liisa Ahtila a surtout réfléchi au public africain ; elle souhaiterait même se rendre à la Biennale de Dakar pour y voir le camion et rencontrer les enfants. « Nous voulions montrer aux enfants d’Afrique de l’Ouest la différence de la nature ici dans le Nord, et en particulier la neige », nous a-t-elle confié. Idem pour le chien de la famille Harry, car ces animaux « ont un statut différent dans la vie africaine et beaucoup d’enfants ont peur des chiens (comme ils devraient être méfiants des chiens errants) ». Les visiteurs du MuMo s’identifient sans peine aux protagonistes de Companions, le fils d’Ahtila et son meilleur ami en train de faire de la luge en hiver et de nager en été, le tout sans parole. Auteure de la sculpture Baisers, laquelle suscite une multitude d’interprétations de la part des enfants, Ghada Amer croit en les effets que peut produire la beauté sur les jeunes esprits.
Tous ne partagent pas le même enthousiasme, pour ne pas dire la même révérence, envers leur jeune public. D’abord réticent au projet, ne sachant pas quoi dire à des enfants, Maurizio Cattelan s’est laissé prendre au jeu – la photographie d’une biche barbouillée de peinture est visible à travers un judas inséré dans la tôle du conteneur. Kara Walker a, elle, fini par renoncer, réalisant qu’elle ne se sentait pas capable de s’adresser à des enfants. À l’inverse, la vidéo d’Adel Abdessemed, Lise, montrant une femme allaitant un jeune porcelet, a été refusée « car elle ne correspondait pas à l’esprit du projet, ni au contexte », ce en dépit de la carte blanche donnée à l’artiste (Le Quotidien de l’art, 24 novembre). Pour la prochaine édition, Ingrid Brochard espère la participation de Hans-Peter Feldman et de John Baldessari, tous deux intéressés par le projet.
« Leur culture a besoin d’une forme d’art »
Car s’adresser aux enfants est tout un art, la médiation tient un rôle essentiel dans la découverte du MuMo. Placée sous la direction de la psychothérapeute Donatella Caprioglio, qui assure une partie des visites, le dialogue instauré par les médiateurs n’assène aucune leçon sur l’art contemporain. Le MuMo est le terrain de découverte et d’observation exclusif des enfants, et leurs enseignants ne sont pas les bienvenus. Confiés à la psychologue Olivia Agostini, par ailleurs rédactrice d’un blog, les jeunes visiteurs ont la parole libre. Ici, l’écoute est le maître mot. Comme le résume Lawrence Weiner dans le film que réalise Gilles Coudert sur l’aventure du MuMo : « On ne connaît pas les besoins d’un enfant dans un bidonville, mais on sait que leur culture a besoin d’une certaine forme d’art. Donc faites de l’art, apportez-leur, montrez-leur, mais ne leur dites pas ce qu’ils doivent en faire ! » Sur le plan structurel, l’opération s’appuie sur le réseau d’écoles associées à l’Unesco, mais pas seulement. Les enseignants français qui ont accueilli le MuMo réclament déjà son retour – si la visite est gratuite, les écoles doivent en faire la demande. Assemblé à Liverpool (Grande-Bretagne), le camion a démarré son circuit à Saint-Venant (Pas-de-Calais), et va totaliser une trentaine d’étapes, dont une vingtaine à travers la France.
Comparable dans son esprit au Centre Pompidou mobile et sa vocation nomade, le MuMo n’en posssède pas la scénographie muséale, et encore moins les moyens. S’il bénéficie du patronage moral du ministère de la Culture, le projet ne reçoit aucun financement public. Le fonds de dotation L’Art à l’enfance est intégralement alimenté par des mécènes – un collectionneur australien a tenu à prendre en charge une partie des frais de production de l’œuf lumineux de James Turrell. Ainsi participent la Fondation PSA-Peugeot Citroën et Euro RSCG C & O, mais surtout le groupe Bolloré, qui assure à partir de février 2012 le transport et la logistique du MuMo en Afrique, du Cameroun au Bénin en passant par la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Les camions ont bien changé depuis le Paris-Dakar…
Itinérance :
www.musee-mobile.fr
Artistes :
Daniel Buren, Déplié ça va mieux !, 2010
Chéri Samba, La Sagesse du savoir, 1989
Florence Doléac, Doudoucho Show, 2011
Ghada Amer, Baisers #1, 2011
Huang Yong Ping, Ni hao,
Ni hao, 2011
James Turrell, installation, 2011
Jim Lambie, Zobop for MuMo, 2011
Maurizio Cattelan, Immagine, 2011
Paul McCarthy, Red Rabbit, 2011
Nari Ward, Lace Lift, 2011
Farhad Moshiri, Melt, 2011
Pierre Huyghe, Zoodrama, 2011
Eija-Liisa Ahtila, Companions, 2011
Roman Signer, Kayak, 1989
Lawrence Weiner, Quelquechose Pour Quelquechose, 2011
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Un camion qui roule pour l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°359 du 16 décembre 2011, avec le titre suivant : Un camion qui roule pour l’art