La cité indienne a été entièrement dessinée par les équipes de Le Corbusier. Nombreux sont ceux qui appellent aujourd’hui à la protection du site par l’Unesco, alors que le mobilier de son administration est livré aux enchères.
Quand on dit « Inde », on pense en premier lieu au majestueux Taj Mahal ou aux splendeurs des cités magiques du Rajasthan, à des trésors d’une civilisation fascinante… On imagine moins ce pays comme l’un des hauts lieux de l’architecture moderne. Pourtant, c’est ici que se trouve le plus grand ensemble au monde de constructions signées Le Corbusier, à Chandigarh.
Depuis New Dehli, il faut prendre le train vers le nord, pour un périple de trois heures qui traverse les plaines agricoles de l’Haryana, puis Ambala, une ville de garnison, avant d’arriver dans la capitale du Penjab. C’est là, au pied de l’Himalaya, que Nehru décida de construire une ville nouvelle pour cet État qui venait de perdre sa capitale, Lahore, devenue pakistanaise. En 1951, le premier Premier ministre de l’Inde confie ce projet titanesque à Le Corbusier, à charge pour ce dernier d’imaginer une cité, et de construire les bâtiments des principales administrations de l’État du Penjab. L’architecte y travaillera jusqu’à sa mort accidentelle en 1965, tandis que son cousin Pierre Jeanneret passera quinze ans sur place pour suivre les travaux. Ils seront assistés de Jane Drew et de Maxwell Fry.
Dans les moindres détails
Le schéma directeur de la ville, avec son plan orthogonal, est encore efficient aujourd’hui, même si la population de la cité a explosé, approchant le million d’habitants. Le Corbusier a pu y mettre en œuvre ses théories, séparant notamment le cheminement des piétons de la circulation des automobiles. Le lieu brille par la présence de la nature. « Chandigarh sera la ville d’arbres, de fleurs et d’eau, de maisons aussi simples que celles du temps d’Homère et de quelques splendides édifices du plus haut modernisme », écrit l’architecte en guise de profession de foi (1). Tout ou presque y est dessiné par les équipes de Le Corbusier, jusqu’aux plaques d’égout dont la fonte moulée reproduit le plan directeur de la cité. Les architectes conçoivent aussi le mobilier destiné aux administrations, soit des milliers de pièces en particulier pour le Capitole, au nord-est de la ville, où se situent les trois principaux bâtiments que sont le secrétariat, le Parlement et la Haute Cour. Cette dernière tourne toujours à plein régime, grouillant d’avocats surchargés de dossiers qui courent à leur prochaine audience. Le bâtiment apparaît comme l’un des plus réussis, par la finesse de son écriture graphique, ses perspectives et ses détails. L’une de ses façades est scandée de trois piliers empruntant leur puissance à une relecture de l’ordre colossal et à une mise en peinture verte, jaune et rouge « corbuséenne ». À l’intérieur, les longs couloirs de l’administration trahissent un entretien aléatoire. La succession de bureaux, qui offrent une vue imprenable sur le Parlement, a perdu tout son mobilier d’origine, lequel a été remplacé par bureaux et chaises bas de gamme. Ils témoignent de ce que certains appellent « hémorragie », depuis que les pièces estampillées « Chandigarh » s’arrachent sur le marché de l’art, notamment en France.
Prix faramineux
La vente « Chandigarh III », organisée par la maison de ventes Artcurial le 24 novembre 2010 à Paris, a rapporté 1 160 243 euros. Une paire de fauteuils d’avocat cosignée Le Corbusier et Pierre Jeanneret et venant de la Haute Cour a par exemple été emportée pour 15 301 euros. Le plus haut prix est revenu à une table de ministre de Le Corbusier adjugée 143 046 euros. Si ces enchères paraissent faramineuses par rapport à l’économie locale de la cité indienne, elles sont aussi le résultat du travail de restauration et d’inventaire réalisé par des marchands, parmi lesquels Éric Touchaleaume et François Laffanour. Sur place, de plus en plus de personnes, historiens, architectes ou officiels, se mobilisent pour demander la protection de la ville et un arrêt de la dispersion de son mobilier. Le 7 mars, le quotidien britannique The Guardian révélait qu’un rapport commandé par le gouvernement de Chandigarh préconisait de lancer une vaste opération de mobilisation auprès de l’Unesco et des gouvernements européens pour aider à la sauvegarde du site. « Nous devons agir avant qu’il ne soit trop tard », expliquait au journal Manmohan Nath Sharma, l’un des assistants de Le Corbusier aujourd’hui âgé de 87 ans. « Le Taj Mahal a été fait par des artisans étrangers et admiré par des étrangers avant que les Indiens voient en lui une attraction majeure. Aujourd’hui, le Taj Mahal est le symbole de l’Inde. Demain, ce sera le travail de Le Corbusier à Chandigarh. »
(1) Cité in Éric Touchaleaume et Gérald Moreau, Le Corbusier, Pierre Jeanneret, l’aventure indienne, coéd. Gourcuff Gradenigo/Galerie 54, 2010.
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Chandigarh, du rêve à la réalité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°347 du 13 mai 2011, avec le titre suivant : Chandigarh, du rêve à la réalité