QUIMPER - Il est des figures discrètes – et fugaces –, dont la redécouverte ouvre des pistes insoupçonnées pour comprendre une scène artistique et évaluer son influence sur la création contemporaine.
C’est le cas de Guy de Cointet (1934-1983), Français émigré à Los Angeles où il se lie d’amitié avec de jeunes artistes nommés Paul McCarthy, Mike Kelley, Allen Ruppersberg ou John Baldessari… L’œuvre singulière de Guy de Cointet n’est que tout récemment réapparue en Europe où elle a fait l’objet de deux expositions (1) organisées par la spécialiste de l’art californien, Marie de Brugerolles. Au Quartier à Quimper, Frédéric Paul (ex-directeur du centre d’art de Kerguéhennec, fermé l’an dernier par le conseil général du Morbihan) réaffirme la place du dessin dans le travail de l’artiste comme un préalable à son développement sur les territoires de la scène et du livre. Inspiré par l’écriture inversée dont use Cointet dès ses premières feuilles, le parcours tente d’élucider cette œuvre complexe en prenant le problème à l’envers : le dessin, tantôt relégué dans les coulisses du théâtre et de la performance, occupe ici le premier rôle. Tout comme il est le personnage principal des premières performances, telle CIZEGEHOH TUR NDJMB (1973), dont l’exposition présente les treize sérigraphies qui constituent le dispositif scénique, la représentation étant relatée dans une vitrine documentaire. Vitrine savamment composée depuis le fonds d’archives récemment déposé à la Bibliothèque Kandinsky à Paris.
Évasives complaintes
Volontairement isolées des vidéos qui restituent les performances, les encres dessinent en creux et silencieusement le portrait d’un personnage resté mystérieux, même pour ceux qui l’ont bien connu. « Who’s that Guy ? », titrait Marie de Brugerolles au Mamco, à Genève, au sujet de celui qui passa le plus clair de son temps enfermé dans son atelier de Los Angeles à écrire ses séries de chiffres, bribes de phrases encodées, ou méditations déprimées (I can’t live here anymore (2), 1982) qui se lisent dans un miroir. Principal témoin, la feuille a bu les divagations de cet esprit tarabusté par la relation du signe au sens, et l’irréductibilité de l’un à l’autre. Bientôt l’écriture devient enluminure tandis que le texte se fait surface, affirmant sa matérialité. Et opacifiant encore son sens, preuve logique de la séparation originelle du fond et de la forme.
Comment s’opère ce surprenant passage du papier à la scène ? La pratique du happening est à relier au contexte californien, mais l’exercice d’herméneutique auquel vont se livrer les performances de Cointet s’annonce et se poursuit dans les dessins. Pour Two Drawings (1974) ou Going to the Market (1975), le tableau contenant de sibyllines suites de chiffres et de lettres fait l’objet d’une interprétation par une comédienne qui, au lieu d’une explication de texte, surjoue un script emprunté au registre du soap opera. La juxtaposition mal assortie du texte et de l’image suit la leçon du surréalisme, mais il faut voir dans ce déplacement de la culture populaire vers le champ de l’art une posture caractéristique des artistes de la Côte ouest, une pique adressée au rigorisme de l’art minimal qui fait autorité à New York. Le mouvement est clairement la cible de la parodie dans le vaudeville Tell me (1979), où des accessoires évoquant des sculptures minimales sont manipulés par les personnages qui se concertent pour trouver leur utilité : un affront au tautologique « What you see is what you see » de Frank Stella.
Dans l’élucidation d’un objet prétendument ésotérique par la banalité, le message crypté de Guy de Cointet pourrait signifier que l’art savant n’existe pas. Toute forme, même issue d’un grand programme esthétique, ne cache rien d’autre qu’une micro-histoire trop humaine, à l’image de cette série de dessins inédits où Cointet inscrit dans des formes géométriques d’évasives complaintes (Could anyone be more entirely lost than I (3), 1983). Quand l’explication renforce la confusion, que le texte est illisible et que les livres ne disent rien, comme ces blocs impénétrables qui composent le décor de la pièce De toutes les couleurs (1982), c’est le sens lui-même (et donc la vérité) qui est inaccessible. Ici s’ouvre l’ère du doute, autrement dit l’époque postmoderne, qui déteint sur les personnages des pièces de Cointet et plane sur ses dessins.
(1) Au Mamco à Genève en 2004 puis au Centre régional d’art contemporain de Sète en 2007.
(2) « Je ne peux plus vivre ici. »
(3) « Y a-t-il quelqu’un qui se sente plus perdu que moi ? »
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Le mystère Guy de Cointet
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Abonnez-vous dès 1 €GUY DE COINTET
Commissaire : Frédéric Paul
Nombre d’œuvres : 53 dessins 8 vidéos et une cinquantaine de documents
GUY DE COINTET, DESSINS ET DOCUMENTS
Jusqu’au 27 mars, le Quartier, centre d’art contemporain, 10, esplanade François-Mitterrand, 29000 Quimper, tél. 02 98 55 55 77, du mardi au samedi 10h-12h et 13h-18h, le dimanche 14h-18h. Catalogue à paraître.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°343 du 18 mars 2011, avec le titre suivant : Le mystère Guy de Cointet