Projet présidentiel

Intrigues à Fontainebleau

Avec l’arrivée surprise d’un nouveau dirigeant, le destin du château-musée de Fontainebleau pourrait bientôt être scellé à celui du futur « Musée de l’Histoire de France ».

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 7 juillet 2009 - 971 mots

Alors qu’il vient d’obtenir le statut d’établissement public, le château de Fontainebleau est pris dans la tourmente du remaniement du gouvernement. Une nouvelle direction doit y être nommée de façon imminente avec, à la clef, l’installation du futur « Musée de l’Histoire de France » voulu par le président de la République.

FONTAINEBLEAU - Le 1er juillet à minuit, le château-musée de Fontainebleau (Seine-et-Marne) passait du statut de service à compétence nationale (SCN) à celui d’établissement public à caractère administratif (EPA). Ce changement, destiné à lui assurer une plus grande autonomie, avait été annoncé officiellement l’année dernière. On pouvait alors s’attendre à ce que Bernard Notari, directeur du château depuis août 2006, soit nommé président du nouvel EPA. Or, d’après nos informations, il n’en serait rien puisque Bernard Notari vient d’être remercié par le ministère de la Culture. Une surprise pour cet ancien conseiller de Renaud Donnedieu de Vabres, mais aussi pour l’ensemble des personnels du musée. Ironie du sort, c’est dans des conditions similaires qu’il était arrivé au château trois ans auparavant, lorsque son prédécesseur Amaury Lefébure a été évincé sans ménagement.
Bernard Notari avait commencé à sortir le château de sa torpeur, lançant une vaste campagne de rénovation financée essentiellement par des fonds privés (lire le JdA no 257, 13 avr. 2007, p. 6), venant notamment de l’émirat d’Abou Dhabi – 10 millions d’euros dont la moitié a déjà été versée, le reste étant promis à la livraison du Louvre-Abou Dhabi en 2012 – et du Crédit agricole, avec 1,4 million réparti sur trois ans, de 2007 à 2009. Poursuivant sa politique d’ouverture au public et d’extension de l’accès aux collections, le château vient d’inaugurer sa nouvelle galerie de meubles (lire l’encadré) et attend de pouvoir démarrer la restauration de son théâtre, du boudoir turc et du cabinet de travail de Napoléon III.

Conséquence directe du remaniement du gouvernement (lire p. 3), Bernard Notari pourrait céder sa place à Jean-François Hebert, directeur de cabinet de Christine Albanel. Cet énarque, ancien directeur administratif et financier de la Bibliothèque nationale de France, a également occupé le poste de président à la Cité des sciences et de l’industrie. Sa nomination coïnciderait avec le choix de Fontainebleau pour accueillir le futur « Musée d’Histoire de France » appelé de ses vœux par le président de la République en janvier. Si le ministère de la Culture a longtemps entretenu le mystère autour du site qui pourrait abriter le musée, des fuites ont vite permis de désigner Fontainebleau. Ce dernier était en lice avec les Invalides, après que le château de Vincennes (en dépit de sa proximité d’avec Paris et de ses vastes espaces disponibles), le Grand Palais et le Palais de Chaillot eurent été écartés. Jean-François Hebert arriverait donc à Fontainebleau avec le projet d’y installer le Musée d’Histoire de France. Celui-ci prendrait place dans le quartier Henri-IV, dont les façades ont été récemment restaurées – une restauration décriée par les défenseurs du patrimoine, polémique qui a entraîné le remplacement de l’architecte en chef des Monuments historiques Jacques Moulin par Patrick Ponsot. Cela conduirait en outre à Fontainebleau à enterrer le projet de « Centre européen de musique de chambre » proposé par la direction régionale des Affaires culturelles, projet qui bat de l’aile et que certains proches du dossier considèrent comme non viable.
Un autre scénario est possible et le nom d’Hervé Lemoine, conservateur du patrimoine, circule également au ministère. Directeur du Musée des monuments français à la Cité de l’architecture et du patrimoine depuis le 1er janvier 2009, il est aussi l’auteur d’un rapport rendu en 2008 à la Rue de Valois au titre explicite : « Pour la création d’une maison de l’Histoire de France aux Invalides ». Les Invalides, dans l’escarcelle du ministère de la Défense, ont depuis fait savoir qu’ils n’étaient pas intéressés. Hervé Lemoine pourrait ainsi arriver à Fontainebleau à la place, voire aux côtés de Jean-François Hebert. Ce dernier occuperait la présidence de l’EPA, tandis que Lemoine se verrait confier la direction scientifique des collections, un poste qui fait aujourd’hui défaut à l’institution. Le président de la République, à qui il revient de nommer les présidents des établissements publics, pourrait aussi bien décider de renoncer au tandem au profit d’un « troisième homme »…
Une fois réglé ce jeu de chaises musicales, la question du contenu du futur Musée d’Histoire de France se posera. Loin de faire l’unanimité au sein des historiens, l’institution devra parvenir à faire la synthèse d’une Histoire « éclatée », comme l’a définie l’historien et académicien Pierre Nora lors du colloque organisé les 18 et 19 juin à l’Institut national du patrimoine, à Paris, intitulé « Lieux de mémoire, musée(s) d’histoire(s) ». Lors de ces deux journées réunissant experts, conservateurs et historiens, Laurent Gerverau, président du Réseau des musées de l’Europe, a mis en garde contre « le danger du “tout-mémoire” et de l’instrumentalisation de l’histoire » comme de « la propagande nationale artificielle », particulièrement dans le traitement des sujets sensibles telles la colonisation ou la guerre d’Algérie. D’après lui, le musée devrait être conçu comme un « musée problématique », c’est-à-dire en constante évolution. Il devrait mettre en exergue l’historiographie et donner les différents points de vue des historiens quant aux questions non encore tranchées. En conclusion, Laurent Gerverau s’interroge : « Le musée est-il vraiment le meilleur outil de l’histoire ? » Loin de ces considérations, pourtant essentielles, la Rue de Valois doit pour l’heure résoudre des problèmes d’ordre stratégique. Quelle qu’en soit l’issue, l’avenir semble sourire au château de Fontainebleau, objet de toutes les convoitises et heureux élu d’un projet présidentiel.

CHÂTEAU-MUSÉE DE FONTAINEBLEAU

Nombre annuel de visiteurs : 400 000

Nombre de pièces de la collection : 16 000

Budget de fonctionnement : 3,2 millions d’euros (hors masse salariale qui relève du ministère)

Budget d’investissement : 1,66 million d’euros/an

L’histoire continue

Habité sans discontinuité pendant près de huit siècles, le château de Fontainebleau est meublé conformément à son dernier état historique connu, celui du Second Empire (1860), mais certains appartements ont été restitués dans leur état Premier Empire ; d’autres remontent jusqu’à l’Ancien Régime, la Restauration ou la monarchie de Juillet. La collection du château-musée compte quelque 16 000 meubles, objets d’art et tableaux issus de commandes royales et impériales, dont une partie est exposée dans le parcours permanent. Certaines des pièces conservées en réserves méritaient pourtant d’être montrées au public. C’est chose faite depuis le 1er juillet avec l’ouverture de la galerie de meubles, sélection de quelque 80 pièces représentatives de la diversité des collections qui sera renouvelée régulièrement. Organisée sur un mode chronologique, cette galerie se déploie dans l’appartement des Chasses au rez-de-chaussée (réputé pour sa série des « Chasses de Louis XV » exécutée par Oudry), dans le prolongement des grands appartements des souverains. Les noms de Robert Antoine Gaudreaux, Guillaume Benneman, Jacob Frères ou Jacob-Desmalter jalonnent ce parcours prestigieux.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°307 du 10 juillet 2009, avec le titre suivant : Intrigues à Fontainebleau

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