Après avoir été directeur général du Centre Pompidou de 1996 et 2001, directeur de cabinet de Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la Communication de 2002 à 2004, puis à la tête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), Guillaume Cerutti est P-DG de Sotheby’s France depuis le 1er septembre 2007. Il commente l’actualité.
Vous êtes arrivé il y a un an à la présidence de Sotheby’s France. Comment s’est déroulé votre passage de la grande administration à une société privée de ventes aux enchères ?
Cela s’est bien passé ! À titre professionnel, j’ai tout de suite senti qu’il y avait ici une équipe de très grande qualité, notamment au niveau de l’expertise. Depuis un an, nous avons aussi cherché à renforcer ce domaine. Pierre Étienne nous a rejoints pour les tableaux anciens, Cécile Verdier pour l’Art déco, et Claire de Truchis-Lauriston pour les bijoux, et, dans les jours qui viennent, il y aura d’autres renforts très importants, notamment Grégory Leroy qui va être recruté en photographie comme consultant spécialisé pour Londres et la France. Nous sommes dans une dynamique qui est attestée par nos résultats récents. Sur un plan le plus personnel, ce qui me frappe, c’est moins le passage du public au privé que la dimension internationale qui régit désormais le fonctionnement de l’entreprise et du marché de l’art. C’est un aspect bien plus important que ce que je percevais lorsque j’étais au Centre Pompidou ou au ministère de la Culture, où l’on a une vision plus française.
Cette arrivée correspond aussi à une rupture dans la stratégie de Sotheby’s en France.
En tout cas une inflexion. La montée en puissance de l’entreprise en France a été accentuée en 2007 et, en 2008, nous continuons d’être sur un rythme de développement rapide. Il ne faut pas non plus oublier que l’ouverture tardive du marché français à la concurrence internationale a fait perdre énormément de temps et que Sotheby’s n’a longtemps pu être en France qu’un bureau d’exportation. Le vrai changement, c’est que Sotheby’s a pu désormais choisir Paris comme l’un des quatre lieux de ventes à vocation mondiale, avec New York, Londres et Hongkong. Ce qui explique que depuis deux ans, nous vendons dans la capitale des œuvres venant du monde entier, comme le tableau de Francis Bacon vendu pour plus de 13 millions d’euros en décembre 2007. Mon ambition aujourd’hui n’est pas de freiner les exportations, car nous devons toujours proposer à nos clients le lieu de vente le mieux adapté, mais de développer le potentiel de Paris comme place internationale.
En même temps, Sotheby’s tient à figurer parmi les premières maisons de ventes françaises.
Dès mon arrivée, j’ai dit que nous n’étions pas obsédés par le rang de numéro 1 en termes de chiffres d’affaires. Mais notre société, comme partout dans le monde, doit être en France l’une des deux maisons principales.
Quel bilan tirez-vous du premier semestre 2008 ?
Cela a été un très bon premier semestre pour Paris puisque notre volume de vente correspond pratiquement au double de celui du premier semestre 2007. Presque toutes les ventes ont dépassé nos espérances. En terme de qualité, notre activité a été remarquée notamment avec les records atteints pour une œuvre de Mathieu et pour le Manifeste du Surréalisme, ou encore les ventes de la sculpture Corinthe de Gérôme, d’une très rare salière sapi-portugaise, de deux magnifiques pots pourris en céladon, etc. Nous allons continuer notre développement et bâtir les choses dans la durée.
Sotheby’s est la seule maison de vente cotée en bourse. N’est-ce pas un handicap ?
Au contraire, cela nous donne une obligation de transparence qui est une garantie pour nos clients, qu’ils soient acheteurs ou vendeurs. Et, sur le moyen ou le long terme, au-delà des fluctuations de court terme, la tendance d’un cours de bourse retrace toujours l’activité réelle d’une entreprise. Or, depuis quelques années, le cours de bourse de Sotheby’s est très solide.
Pourquoi Sotheby’s a-t-elle perdu la vente Yves Saint Laurent qui, à un moment, lui semblait acquise ?
C’est une très bonne nouvelle que cette vente soit programmée à Paris. Cela aura un effet d’entraînement et de loupe qui sera favorable au marché français. Ensuite, il y a eu une compétition, différents aspects ont joué, l’autre maison a été préférée ; je le regrette mais je n’ai pas de commentaire particulier à formuler. J’ai une très grande admiration pour Yves Saint Laurent et Pierre Bergé que j’ai connus lorsqu’ils sont devenus mécènes du Centre Pompidou alors que j’y étais directeur général. Je souhaite bonne chance à cette vente.
De votre côté, quelles seront vos ventes phares au cours des deux mois qui viennent ?
Nous commencerons le 2 octobre avec une très importante collection de mobilier et d’objets d’art, la collection Léon Levy. Nous aurons ensuite une vente d’objets et de manuscrits de Jacques Brel le 8 octobre avec notamment le manuscrit d’Amsterdam. Nous aurons l’opus numéro 4 de la collection de M. et Mme Jammes au mois de novembre, pendant Paris Photo. Je tenais beaucoup à ce que nous reprenions pied dans le domaine de la photographie. Nous aurons une vente d’argenterie très intéressante le 30 octobre, avec plusieurs pièces napoléoniennes et même, rareté, deux chemises de nuit de l’empereur ! Nous préparons aussi une vente pour ce même 30 octobre dans le domaine des tableaux orientalistes. Enfin, événement non lié à une vente, mais qui atteste de notre désir de jouer un rôle d’acteur culturel à part entière, nous organiserons en septembre une exposition sur les Ballets russes.
Au premier semestre a été rendu le rapport Bethenod. Commencez-vous à sentir des changements ?
Nous sommes toujours au stade des intentions. L’ensemble des constats remis à la ministre début avril sont excellents. Christine Albanel a fait des annonces qui sont également positives même si l’on a compris que sur les aspects fiscaux la marge de manœuvre n’était pas immense. Mais six mois plus tard, nous en sommes toujours au même point. Il faut vraiment franchir un cap cet automne pour la mise aux standards internationaux du marché français. J’y verrai un encouragement au moment où Sotheby’s choisit de localiser à Paris des ventes importantes. Il faut le faire sans attendre parce que j’ai été frappé, quand j’ai fait le tour de nos bureaux à l’étranger, de voir combien l’image du marché français souffrait de clichés et d’idées préconçues. Si le gouvernement arrive à changer la loi sur les garanties, sur la possibilité de faire des ventes privées ou de vendre des objets appartenant au groupe, cela sera un signal extrêmement favorable. Je regretterais beaucoup que le dossier s’effiloche et qu’il faille encore attendre des années.
La Biennale des Antiquaires s’ouvre au public le 11 septembre. Qu’en attendez-vous ?
C’est l’un des événements phares de la saison culturelle et artistique en France. Je suis sûr que l’on y verra de belles choses et des acheteurs nombreux. Nous présenterons pendant la biennale dans nos locaux une sélection d’objets de la vente du 2 octobre de la collection de mobilier XVIIIe de Léon Lévy. Nous comptons aussi sur l’effet de résonance de la biennale pour montrer le dynamisme du marché parisien.
Toujours dans le XVIIIe siècle, au Château de Versailles, une polémique est en train d’enfler avec l’exposition « Jeff Koons ». Êtes-vous pour ou contre ?
Je suis pour. Il faut aussi utiliser les lieux de patrimoine pour y montrer la création contemporaine. À toutes les époques cela a été fait. Je ne crois pas du tout que cela dénature l’esprit des lieux. Cela peut de surcroît faire venir des visiteurs qui sont attirés par la dimension ponctuelle de l’événement. Au demeurant, j’observe que le Louvre fait intervenir des artistes contemporains comme Jan Fabre ou Anselm Kiefer. Il ne faut pas ranger la création dans des périodes historiques hermétiques.
À côté de Jeff Koons à Versailles, vous parliez de Jan Fabre au Louvre. Nous avons eu aussi Richard Serra au Grand Palais. Les institutions montrent-elles assez les artistes français ?
La scène française est bien soutenue par les institutions. Je n’ai pas de doutes à ce sujet. Nous avons l’un des tissus d’institutions les plus denses et l’un des budgets d’intervention en faveur de la création les plus forts au monde. Je ne crois pas qu’il y ait un déficit de soutien des pouvoirs publics aux artistes français. L’invité du Grand Palais l’an prochain sera Christian Boltanski. En revanche, la faiblesse du marché de l’art français est l’un des éléments explicatifs du déficit de reconnaissance ou d’audience d’un certain nombre de nos artistes sur le plan international. Quand on voit le rôle que certaines maisons de ventes ou de galeries anglaises ont joué auprès d’artistes britanniques, on est obligé de faire ce constat. Le fait de développer le marché français sera aussi très bon pour les artistes. Chez Sotheby’s, nous y contribuons avec les records pour Soulages, Mathieu...
Une exposition vous a-t-elle marqué récemment ?
Je voudrais signaler la rétrospective « Van Dongen » à Monaco où le directeur du musée, Jean-Michel Bouhours, a fait un travail exemplaire. J’ai aussi aimé l’exposition des œuvres récentes de Robert Combas à Arles, et j’ai vraiment admiré le véritable travail de plasticien que le metteur en scène Romeo Castelluci a réalisé à Avignon, avec son installation Paradiso, d’après Dante. À Paris, j’ai été sensible à l’exposition de photos d’Annie Leibovitz à la Maison européenne de la photographie. Je reconnais aussi que je méconnaissais la diversité de l’œuvre de Dominique Perrault et je trouve que l’exposition du Centre Pompidou montre que c’est un grand architecte qu’il ne faut pas réduire à la Grande Bibliothèque.
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L'actualité vue par Guillaume Cerutti, P-DG de Sotheby’s France
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : L'actualité vue par Guillaume Cerutti, P-DG de Sotheby’s France