La Conférence diplomatique de La Haye, organisée par l’Unesco du 15 au 26 mars, a adopté un protocole modifiant la convention de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Le texte propose notamment la criminalisation des atteintes aux biens culturels en temps de guerre, manifestant un changement philosophique certain que reflètent les évolutions récentes.
LA HAYE - Parmi les travaux de la conférence (lire notre encadré), la conclusion la plus spectaculaire concerne la possibilité de poursuites pénales contre les organisations et les personnes. Le président de la Conférence, Adriaan Boos, conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas, a souligné que le texte “résulte des avancées opérées depuis 1954 et prend en compte l’évolution contemporaine du droit international humanitaire, en particulier les statuts, récemment adoptés, de la Cour pénale internationale”.
Au début du siècle, la Convention de Genève avait reconnu les droits des personnes en période de guerre. Selon les points de vue, les événements se sont chargés dramatiquement de confirmer la nécessité de défendre ces droits ou de manifester le caractère angélique ou dérisoire des pétitions diplomatiques.
Interrogations sur l’efficacité
Le texte du protocole discuté à La Haye suscitera vraisemblablement les mêmes interrogations sur son opportunité et/ou son efficacité. On doit au moins relever qu’il s’inscrit dans une évolution générale tendant à accroître la responsabilité des intervenants, particulièrement celle des professionnels du marché de l’art. Si l’on considère la période récente, on peut en effet relever d’assez nombreux textes ou débats qui convergent dans ce sens.
En 1993, l’adoption de la Directive européenne sur la restitution des biens culturels illicitement transférés à l’intérieur de l’Union a élargi les possibilités de restitution, en établissant un droit de revendication direct devant les juridictions des États membres et en allongeant substantiellement les délais d’action (à trente ans dans la généralité des cas, et à soixante-dix ans pour les œuvres provenant des collections publiques ou des inventaires ecclésiastiques). Une petite révolution lorsqu’on considère par exemple qu’en France, trois ans après le vol, le propriétaire d’un bien ne peut plus le revendiquer entre les mains du possesseur de bonne foi. En 1995, la convention Unidroit a fixé des dispositions similaires au plan international, avec une exigence accrue en ce qui concerne la preuve de la bonne foi de l’acquéreur, qui devra pouvoir démontrer les diligences accomplies lors de l’acquisition d’une œuvre pour s’assurer de sa provenance.
Les suites de la Shoah
On peut rattacher à cette évolution des décisions jurisprudentielles. Ainsi, la décision du Tribunal fédéral suisse, qui a ordonné la restitution d’une œuvre volée en se fondant sur l’évolution de la conception de l’ordre public international, manifestée notamment par les conventions de l’Unesco et de l’Unidroit auxquelles, pourtant, la Suisse n’a pas adhéré. On peut interpréter dans le même sens la récente décision de la Cour de cassation, en France, qui a critiqué le non-lieu prononcé au bénéfice d’un galeriste acheteur d’un tableau de la collection Schloss pillée pendant la guerre, signifiant de la sorte que cinquante ans après les faits et après plusieurs transactions, une poursuite pour recel était encore concevable ; ou encore la récente décision ayant condamné la Ville de Strasbourg a restituer un tableau de Klimt acheté il y a plus de trente ans...
Le débat récurrent sur les MNR, les décisions de restitution de musées français, autrichiens ou hollandais pour des œuvres vraisemblablement pillées pendant la guerre s’inscrivent sans doute dans la même évolution.
La plupart de ces textes et décisions relevaient du domaine civil et, lorsque les actions s’appuyaient sur une incrimination pénale, elles relevaient certes du droit commun, mais le plus souvent dans le contexte exceptionnel des suites de la Shoah.
En proposant de criminaliser les atteintes aux biens culturels, la conférence de La Haye tire en quelque sorte les conséquences de ces évolutions, tout en les limitant aux situations de guerre. Mais pour les professionnels, susceptibles de devenir détenteurs de biens pillés lors de conflits, ces nouvelles dispositions accroîtront l’impératif de vigilance.
La Conférence diplomatique de La Haye a réuni quelque 300 participants : les représentants de 74 des 95 parties contractantes de la Convention ; des observateurs incluant 19 pays, dont la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni, ainsi que des organisations intergouvernementales et non gouvernementales. Les principales avancées concernent la création d’un comité intergouvernemental qui sera chargé d’inventorier les biens culturels à sauvegarder et de surveiller la mise en œuvre de la Convention et du Protocole ; le renforcement de la responsabilité pénale individuelle en cas de violation d’un bien culturel ; la spécification des définitions qui lient la coopération internationale quant à la sauvegarde et au respect des biens culturels, et des poursuites contre ceux (parties ou individus) qui se seront rendus coupables de violations. Le développement du concept de la responsabilité pénale individuelle pour violation des biens de caractère civil dont la valeur culturelle et historique est exceptionnelle – meubles ou immeubles – est particulièrement importante, selon Horst Fischer, professeur de droit international humanitaire aux universités de Leyde (Pays-Bas) et de Bochum (Allemagne). Observant que la responsabilité individuelle n’était que mentionnée dans la Convention de 1954, Horst Fischer a noté avec force que « l’accord sur les actes portant une atteinte à l’immunité d’un bien culturel représente un changement philosophique certain », et a expliqué que le deuxième Protocole constitue le premier instrument international qui définit explicitement les crimes contre les biens culturels. L’attaque contre des biens culturels, leur utilisation ou celle de leurs abords immédiats comme appui direct d’une action militaire, la destruction ou la détérioration de biens culturels protégés par la Convention de La Haye et le deuxième Protocole sont définis comme des actes d’hostilité passibles d’extradition dans le deuxième Protocole. Celui-ci qualifie également toute forme de vol, de pillage, et tout acte de vandalisme comme des actes criminels impliquant la responsabilité personnelle de ceux qui les commettent ou de ceux qui les aident et les encouragent.
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L’Unesco criminalise les atteintes aux biens culturels
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°81 du 16 avril 1999, avec le titre suivant : L’Unesco criminalise les atteintes aux biens culturels