Delaunay, redécouverte d’un pionnier de l’abstraction

Au Centre Georges Pompidou, les premières années de l’artiste offrent une nouvelle vision de son œuvre

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 11 juin 1999 - 720 mots

Impressionnisme, cubisme, abstraction, de 1906 à 1914 Robert Delaunay balaye tout un pan de la peinture française. Éclatement de la perspective traditionnelle, vibrations colorées et recherches dynamiques, ses travaux sont présentés dans une exposition exceptionnelle par les séries qu’elle rassemble.

PARIS - L’histoire de l’Abstraction se résume généralement à trois noms, Kandinsky, Mondrian et Malevitch, laissant peu de place à Kupka et Robert Delaunay (1885-1941). Souvent célébré pour son œuvre abstraite des années trente, ce dernier est pourtant, dès 1913, l’auteur d’une peinture pure, débarrassée de toute trace de spiritualité – arrière-plan insistant dans l’œuvre des trois figures mythiques de l’Abstraction –, ne renvoyant qu’à “une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées”, pour reprendre les termes de Maurice Denis. À travers une centaine d’œuvres, “de l’impressionnisme à l’abstraction”, le Centre Georges Pompidou propose de parcourir neuf années décisives. Et, comme l’explique Pascal Rousseau, historien de l’art et commissaire de l’exposition avec Jean-Paul Ameline, conservateur en chef au Musée national d’art moderne, en suivant un double chemin : “Delaunay le peintre de la vie moderne, Delaunay le pionnier de l’abstraction”.

Cette approche double et complémentaire ne dicte pas pour autant la disposition des œuvres : elles sont présentées chronologiquement, complétées par des lettres, livres, photographies ou films d’époque, au gré de treize thèmes ou séries successivement abordés par le peintre. Ainsi, la première salle, consacrée à la période néo-impressionniste, montre la fascination du jeune artiste pour les écrits de Signac et la couleur. Dès 1906-1907, avec Le Paysage au disque – au verso de l’inévitable autoportrait emblématique (1906) ouvrant l’exposition –, le cercle, en écho aux thèses de Chevreul largement diffusées dans les milieux artistiques de la fin du XIXe siècle, fournit à Delaunay la possibilité d’exploiter pleinement la couleur. Le soleil est blanc, couleur de l’éblouissement mais aussi synthèse du spectre lumineux qui l’entoure en de larges touches, interdisant tout mélange visuel.

Le cercle est au centre de son travail – et de l’exposition où les cartels sont ronds –, inscrit dans la forme de l’œil, dans la rétine. Il contredit la perspective linéaire bouleversée dans les mêmes années par les cubistes, à la suite de Cézanne. De son propre aveu, Robert Delaunay “marque bien ce passage de Cézanne au déséquilibre qui suivait [...] l’écroulement de la perspective traditionnelle” dans la série des Saint-Séverin, de 1910 à 1911. La courbe s’insinue partout, du déambulatoire de l’église gothique aux vues de la ville moderne.

Delaunay recherche des points de vue inédits : aériens au sommet de Notre-Dame ou de l’Arc de Triomphe, “dissolvants” à travers le filtre d’une vitre, panoramiques à partir de photographies. De façon semblable, comme l’écrivait Blaise Cendrars, la tour Eiffel est peinte avec “les maisons qui l’entourent [...] prises de droite, de gauche, à vol d’oiseau, terre à terre”. Cette nature morte indomptable, où l’environnement urbain vient s’inscrire à travers la structure métallique, est le sujet d’une série de neuf tableaux exécutés entre 1909 et 1911, dont six sont exposés à Beaubourg. Ce qui “est un événement exceptionnel, souligne Jean-Paul Ameline. Nous avons aussi réuni quatre vues de Saint-Séverin sur les six réalisées et les trois Équipe de Cardiff”.

Une abstraction radicale
Vibrations chromatiques impressionnistes, points de vue multiples cubistes, la réalité est-elle encore présente ? Dans la salle ovale où sont disposées les Fenêtres de 1912, le doute naît. La question de l’abstraction est un sujet épineux chez Delaunay – Apollinaire parlait de “peinture pure”. L’attache au réel est en fait toujours présente, jusque dans les années trente, à l’exception notable du Disque de 1913.

Paradoxalement mis en valeur par la vitre nécessaire à sa protection, ce tondo est la révélation de l’exposition : recherche dynamique destinée à provoquer un mouvement oculaire, cette cible – un motif utilisé en 1914 dans Le drame politique, accroché deux salles plus loin – est coupée de toute référence au réel, n’obéissant qu’à des règles de composition internes dérivées de la forme ronde. Superbement ignorée par la critique américaine, elle annonce pourtant la peinture de la fin des années cinquante, de Jasper Johns à Frank Stella.

ROBERT DELAUNAY, DE L’IMPRESSIONNISME À L’ABSTRACTION, 1906-1914

Jusqu’au 16 août, Centre Georges Pompidou, Galerie sud, rue Saint-Merri, 75001 Paris, tlj 10h-22h, tél. 01 44 78 12 33. Catalogue, éditions du Centre Pompidou, 280 p., 280 F. jusqu’au 30 juin, 320 F ensuite.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°85 du 11 juin 1999, avec le titre suivant : Delaunay, redécouverte d’un pionnier de l’abstraction

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