C’est une première judiciaire. L’État et le Musée du Louvre ont été condamnés à restituer aux héritiers d’un collectionneur, décédé en 1940, cinq tableaux récupérés après la guerre en Allemagne. Ces derniers contestaient la validité de la vente aux enchères, qu’ils jugeaient spoliatrice, au cours de laquelle de nombreuses œuvres avaient été dispersées. La Cour d’appel de Paris leur a donné raison.
PARIS - Alexandre et Campaspe chez Apelle de Giambattista Tiepolo, La Visitation de Moretto da Brescia, La Sainte Famille de Bernardo Strozzi, Joueurs de cartes devant une cheminée d’Alessandro Magnasco et un Portrait de femme de Rosalba Carriera, des tableaux récupérés après la guerre, vont devoir quitter le Musée du Louvre où ils avaient été déposés en 1949. Ainsi en a décidé, dans un arrêt du 2 juin, la Cour d’appel de Paris, saisie du litige opposant les héritiers de Frédéric Gentili di Giuseppe, collectionneur juif décédé sous l’Occupation, les ministères de la Culture et des Affaires étrangères, et le Musée du Louvre, après avoir entendu les parties le 14 avril (lire le JdA n°83, 14 mai 1998). À la suite de la présentation au public des MNR – Musées nationaux récupération –, la famille du collectionneur avait déposé, en mai 1997, une demande de restitution concernant cinq tableaux, dont la dispersion en vente publique sous l’Occupation s’était déroulée contre son gré et constituait, de ce fait, une spoliation, au sens de l’ordonnance du 21 avril 1945. Près d’un an plus tard, leur requête étant restée sans réponse, les héritiers avaient engagé une procédure en référé. Contredisant le juge qui, en première instance, avait donné raison à l’Administration (lire le JdA n° 66, 11 septembre 1998), la Cour d’appel a ordonné la restitution. En l’absence d’une volonté politique claire, l’Administration avait refusé de prendre une décision lourde de conséquences. La justice l’a donc fait à sa place.
Une transaction d’apparence légale
Afin de payer une dette de 90 000 francs, les tableaux avaient été vendus de mars à mai 1941, avec 145 autres et du mobilier, à la demande d’un administrateur provisoire désigné pour gérer la succession de Frédéric Gentili di Giuseppe, alors que ses enfants avaient dû fuir en zone libre. Les héritiers de ces derniers réclamaient la nullité de la vente en se fondant sur l’ordonnance du 21 avril 1945 qui, en son article premier, prévoit la nullité pour de tels actes de disposition, même s’ils ont été accomplis avec le “concours matériel” des intéressés. Ce texte dérivait lui-même de la Déclaration de Londres du 5 janvier 1943, par laquelle les Alliés contestaient les expropriations, spoliations et pillages pratiqués dans les pays occupés, y compris les “transactions d’apparence légale, même lorsqu’elles se présentent comme ayant été effectuées avec le consentement des victimes”.
Considérant les circonstances, la cour a constaté que, retenus en zone libre en raison de la loi allemande interdisant le retour des Juifs en zone occupée, les enfants de M. Gentili di Giuseppe s’étaient “trouvés, par l’effet de mesures exorbitantes du droit commun qui était en vigueur le 16 juin 1940, dans l’impossibilité absolue, d’une part, de revenir à Paris” pour régler la succession de leur père, “d’autre part, de comparaître devant le juge afin de s’en expliquer”. Elle a donc prononcé la nullité de la vente, mais en la limitant à ces cinq œuvres, car “les appelants ne produisent aucun élément de preuve propre à étayer leur revendication de tableaux autres que les tableaux litigieux”. Un éventuel pourvoi en cassation n’étant pas suspensif, le Louvre est contraint de restituer les cinq tableaux, et, par ailleurs, l’État et le musée devront verser 40 000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. En revanche, la Cour n’a pas fait droit à la demande de dommages-intérêts d’un montant de 500 000 francs pour rétention abusive. Les quatre héritiers se retrouvent ainsi propriétaires de cinq œuvres qu’ils vont devoir se partager. Leur valeur respective étant fort différente, celles-ci pourraient gagner sous peu les salles de vente.
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MNR : la justice tranche
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°85 du 11 juin 1999, avec le titre suivant : MNR : la justice tranche