Chine - Corée du Sud - Japon

Beau temps en Chine, plus couvert en Corée et au Japon (part I)

Un panorama des initiatives en Asie

Par Jonathan Napack · Le Journal des Arts

Le 25 août 2000 - 1038 mots

Les collections d’entreprise en Asie ont longtemps contribué à la bonne santé du marché de l’art sur le continent, mais la crise économique a donné un coup d’arrêt aux investissements. Alors que le Japon et la Corée durement touchés ont réduit leurs activités, les économies florissantes chinoise et taïwanaise voient les collections et les nouveaux musées se multiplier.

La tradition du mécénat au Japon remonte à 1917, lorsque le marchand d’armes Okura Kihachiro ouvre le premier musée privé du pays, le Okura Shukokan. En 1932, le magnat du textile, Ohara Magosaburo, fonde le deuxième, le Musée Ohara. Ce n’est pourtant qu’après la Seconde Guerre mondiale que les entreprises ont commencé à investir dans ce domaine. Ainsi le Musée Bridgestone, le Musée Idemitsu, le Musée Gotoh (Tokyo Railway), le Yamato Bunkakan (Kinki Nihon Railway), le Suntory Museum of Art, le Musée Saison (les grands magasins Seibu) et le Musée en plein air Hakone (Fuji TV) datent tous des années soixante et soixante-dix. En partie créés pour éviter des impôts sur le revenus et des droits de succession très élevés, ils étaient quasiment achevés dans les années quatre-vingt et n’ont rien acquis depuis. Une autre phase de collection a débuté dans l’euphorie des années quatre-vingt où des milliards de yen ont afflué sur le marché pour être blanchis. La bulle a éclaté laissant le Japon entrer dans une période de récession économique aiguë. Confrontés aux fortes fluctuations du yen par rapport au dollar, les collectionneurs ont vu se réduire les possibilités de remettre leurs œuvres en vente. Ils ont donc déserté le marché, fermant parfois leur musée comme ce fut le cas pour le Saison. Le Hara Museum de Tokyo a maintenu un programme d’expositions intense mais n’achète plus. Quelques entreprises épargnées par la crise font cependant exception. L’imprimerie Dai Nippon, mécène du Mois de la Photo à Paris, a ouvert le Musée Kawamura en 1994 dans la banlieue de Tokyo. Benesse, qui édite des cours par correspondance pour les enfants, a financé un coûteux musée sur une île privée de la Mer Intérieure, réalisé par Tadao Ando. Le géant des télécommunications NTT collectionne frénétiquement pour son Inter-Communication Center consacré à l’art et aux nouveaux médias. Enfin, la société de cosmétiques Pola ouvrira le Musée Pola Hakone près du mont Fuji à l’été 2002.

Les chaebol coréens
L’histoire des collections d’entreprise en Corée du Sud débute dans les années quatre-vingt-dix, l’époque des transformations économiques et politiques radicales. Le pays a alors atteint une phase de développement permettant une accumulation des richesses. En revanche, le processus de démocratisation a menacé les dirigeants enrichis par la corruption des années de dictature militaire. L’achat d’œuvres d’art permettait le blanchiment d’argent et la délocalisation de biens de valeur pour échapper au contrôle de la monnaie. Les collections d’entreprise appartiennent aux fameux conglomérats industriels coréens, les chaebol. La plus importante est sans doute la Ho Am Foundation du chaebol Samsung. Elle possède un musée d’antiquités coréennes hors de Séoul, mais est avant tout connue des étrangers pour sa collection d’art contemporain occidental, où sont représentés tant les minimalistes américains comme Donald Judd et Joel Shapiro, que des artistes allemands tel Anselm Kiefer. Le chaebol Daewoo, a, quant à lui, un musée à Kyongju, l’ancienne capitale culturelle et un centre d’art contemporain, le Art Sonjae, à Séoul. Posco, une aciérie publique, collectionne également beaucoup, en particulier les sculptures en acier, comme celles de Richard Serra ou Frank Stella. La crise financière asiatique de 1997-1999 a touché de plein fouet la Corée et les entreprises ont stoppé net tout achat. Même si l’économie redémarre, les chaebol sont toujours très endettés et restent sous le strict contrôle financier du gouvernement.

Rares en Asie du Sud-Est
En Asie du Sud-Est, les collections d’entreprise sont rares, à l’exception de la Thaïlande où une classe bourgeoise aisée entretient une forte culture de consommation. Dans les années quatre-vingt-dix, beaucoup d’entreprises ont réuni d’importantes collections d’art thaï, caractérisé par des peintures murales néo-bouddhistes kitsch de peintres comme Chalermchai Kositpipat ou Panya Vijinthanasarn. À l’issue de la crise asiatique, ces œuvres ont en grande partie été vendues à des prix inattendus chez Christie’s à Singapour. Cependant, alors que l’économie se redresse, le holding de Petch Osathanugroh, qui possède notamment l’université de Bangkok et collectionne l’art thaï et occidental, a annoncé son intention d’ouvrir un musée dans les prochaines années. La Fondation Jim-Thompson a de son côté récemment agrandi son ancien musée afin d’y inclure des espaces d’exposition consacrés à l’art contemporain.

Forte progression en Chine et à Taiwan
En Chine, on constate une forte progression des collections d’entreprise, alors qu’il y a dix ans l’idée même de sociétés par actions était une nouveauté. Tianjin Economic Development Area, un parc industriel de la ville portuaire de Tianjin, près de Pékin, ou Upriver Development à Chengdu, capitale de la province du Sichuan, collectionnent l’art contemporain chinois par l’intermédiaire de leur musée respectif, le Teda Museum et la Upriver Gallery. Les initiatives ne sont pas exclusivement privées, si l’on prend le Musée Dong Yu à Shenyang, également consacré à l’art contemporain, et qui est issu d’une collaboration entre une entreprise publique et la municipalité. Quant au Poly Group à Pékin, une ancienne unité de l’Armée populaire de libération, il est responsable pour le gouvernement central d’un projet de rachat à l’étranger du patrimoine pillé. Paradoxalement, Hong Kong a une faible tradition de collections d’entreprise. Le marchand d’armes T.T. Tsui conserve son petit musée d’antiquités chinoises mais n’achète plus. Certaines sociétés étrangères comme Goldman Sachs possèdent des collections d’art contemporain de grande qualité, mais les acquisitions sont gérées par le siège. À Taiwan, l’une des économies les plus florissantes d’Asie, un nombre croissant d’entreprises collectionnent telle la Fubon Bank, devenue un acteur majeur du marché de l’art tant taïwanais qu’international, ou encore la chaîne de magasins Eslite Bookstore de Robert Wu. D’autres préfèrent l’organisation d’expositions comme la fondation Chang qui évolue dans le domaine de l’art classique chinois ou le groupe China Times de Yu Gichung qui finance des manifestations tel le prêt d’un ensemble d’œuvres du Musée d’Orsay. Pourtant, l’une des fondations les plus intéressantes, la Dimension Endowment for Art, est actuellement affaiblie par la mise en examen de son président Geoffrey Huang pour des irrégularités boursières

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : Beau temps en Chine, plus couvert en Corée et au Japon (part I)

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