Art contemporain

Philip Guston, un abstrait hanté par la figure

Un expressionniste militant

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 25 août 2000 - 899 mots

PARIS

Principal protagoniste de l’Expressionnisme abstrait, mais aussi peintre figuratif engagé politiquement, Philip Guston (1913-1980) reste encore largement méconnu en France. Le Centre Georges-Pompidou qui accueille du 13 septembre au 4 décembre la rétrospective conçue par le Kunstmuseum de Bonn, entend mettre en lumière une démarche picturale pour le moins singulière dans le paysage de l’École de New York.

Il est des amitiés et des inimitiés qui marquent, comme celles entre Philip Guston et Jackson Pollock. Avant de se retrouver à New York et de grandement contribuer à l’école du même nom, les deux artistes ont été étudiants à l’École d’art de Los Angeles en ces débuts des années vingt. Le premier, né Philip Goldstein à Montréal (Canada), issu d’une famille d’émigrés originaires d’Odessa (Russie), s’oriente rapidement vers une peinture très ancrée dans le social, l’artiste fréquentant d’ailleurs un certain nombre de groupes influencés par les idées marxistes. Il est également frappé par les agissements du Ku Klux Klan qui deviendra même l’un de ses sujets de prédilection, déclinant par exemple abondamment les représentations de visages cagoulés. L’artiste s’en est d’ailleurs lui-même expliqué, au travers notamment de ses notes pour des conférences datant de 1977 : “À propos de ces hommes aux visages couverts. Le KKK m’a hanté depuis que j’ai été garçon à L. A. Durant ces années, ils étaient surtout là pour briser les grèves, et j’ai dessiné et peint des conspirations et des fustigations, la cruauté et le mal…  Dans ce nouveau rêve de violence, je me sentais comme Isaac Babel avec ses Cosaques ; comme si je vivais avec le clan. Que font-ils ensuite ? Ou avant ? Fumer, boire, s’asseoir dans leur chambre (ampoules, meubles, plancher), patrouiller dans des rues désertes ; abasourdis, mélancoliques, coupables, craintifs, pleins de remords, se rassurant les uns les autres ? Pourquoi certains ne pourraient-ils pas être artistes et se peindre les uns les autres ?”

Après la crise de 1929, Guston participe activement au programme de commandes publiques lancé par le Federal Art Project mis en place par la Work Progress Administration (WPA) pour lutter contre le chômage. L’artiste réalise ainsi des fresques pour la façade du siège du WPA, pour le bureau de Postes de The Commerce (Géorgie) et le Forestry Building à Laconia (New Hampshire). Il a également travaillé à une peinture murale pour le siège de la Sécurité sociale de Washington D. C. en 1942-1943. Guston est alors fortement influencé par les travaux des peintres de la Renaissance italienne (Piero della Francesca, Mantegna, Uccello) qu’il a étudiés à l’Otis Art Institute, et par les œuvres de grandes dimensions d’artistes modernes, comme Fernand Léger ou Pablo Picasso dont il a pu voir Guernica en 1939 à la Galerie Valentine de New York. Ces projets, que le peintre qualifie volontiers de “terrain d’entraînement”, correspondent à ses années de formation, même si dès le début des années cinquante Guston abandonne la figuration au profit de l’abstraction, suivant ainsi l’exemple de Pollock. L’artiste devient alors l’un des leaders de l’École de New York, Thomas B. Hess, écrivant ainsi en novembre 1955 dans Art News : “En Amérique, la nouvelle peinture abstraite a pris deux directions [non opposées] parmi les initiateurs et les jeunes peintres qui les ont suivis : […] La magistrale Woman de De Kooning domine [un des courants]. […] Les sismogrammes de Guston, traces de sensations lumineuses et tactiles, se situent à l’extrême opposé, qui, tout en s’éloignant, peut encore être qualifié de paysage.” Guston participe également aux principales expositions de l’Expressionnisme abstrait américain organisées aux États-Unis et à l’étranger.

Pourtant, à la fin des années soixante, Philip Guston abandonne définitivement l’abstraction pour se tourner vers la figure, son amour de jeunesse, renouant ainsi avec quelques-uns de ses thèmes engagés. Ce revirement ne séduit pas toujours son public, loin s’en faut. Pour Harold Rosenberg (in La Dé-définition de l’art, éd. Jacqueline Chambon), “Le ‘scandale’ n’est pas que ce grand expressionniste abstrait ait introduit la narration et la critique sociale, mais qu’il se soit évertué à faire paraître secondaires les problèmes de la peinture.” Mais surtout : “Guston est le premier à avoir risqué une carrière déjà toute faite sur la possibilité d’engager son art dans la réalité politique. Ce faisant, il a peut-être mis l’art des années soixante-dix sur la voie.” La France n’avait jusqu’à présent accueilli que les dessins de l’artiste dans une exposition organisée à l’abbaye Sainte-Croix, aux Sables-d’Olonne, en 1995. La manifestation présentée au Centre Georges-Pompidou était depuis longtemps attendue. Espérons qu’elle tiendra toutes ses promesses.

D’autres artistes étrangers sont à l’honneur en France

- Ricardo Rey, Cubain vivant et travaillant à Gand (Belgique), déploiera son univers mixant civilisation occidentale et culture traditionnelle noire africaine au Crestet centre d’art, du 17 septembre au 3 décembre.
- Uri Tzaig, artiste israélien, exposera au Frac Champagne-Ardenne qui accueille ses créations, toujours en décalage ; du 24 septembre au 19 novembre.
- Yoyoi Kusama, sera également présent en cette rentrée et va dévoiler un bel ensemble de ses installations et environnements psychédéliques dans les deux espaces du Consortium de Dijon, du 21 octobre au 19 janvier.
- Nobuyoshi Araki, autre artiste japonais à l’honneur. Ses photographies sulfureuses, qui ne cessent de faire le bonheur des galeries de Tokyo, viendront peupler les cimaises du Centre national de la photographie de leurs jeunes femmes attachées et autres figures des bas-fonds de la capitale nippone, du 13 septembre au 27 novembre.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : Un expressionniste militant

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