À l’heure où s’inaugure en grande pompe l’Année de la Chine en France, voici que paraît, sous le titre Passagère du silence, le récit d’une curieuse aventure, celle qui mena Fabienne Verdier jusqu’aux confins de l’empire du Milieu, sur les traces quasi effacées des derniers grands maîtres de la calligraphie chinoise. Auteur également du logo de la manifestation, Fabienne Verdier sort de son mutisme pour mettre en lumière les ambiguïtés propres aux grandes manifestations politico-culturelles.
Rouge et noir pour la partie supérieure. Noir et argent pour la partie inférieure. Hiératiques, mystérieux, élégiaques et puissants tout à la fois, les deux signes se complètent et se répondent. En haut la Chine, en bas la France, telle est la signification de cette calligraphie picturale.
“... Une peinture, un dessin ou une calligraphie, tout ce qui relève du trait ne peut tromper ; la vertu morale de celui qui le trace s’y révèle, elle y est mise à nu sans qu’il soit possible de feindre. C’est la personnalité de l’artiste, autant que son œuvre, qu’on juge sur une peinture ou une calligraphie. Celui qui maîtrise le hua est le possesseur de ce langage particulier qui ne peut-être que vrai. C’est une des particularités de la pensée chinoise...”, écrit Fabienne Verdier dans sa Passagère du silence (Albin Michel, 2003). Un langage particulier qu’elle s’en est allée apprendre en Chine dix ans durant et dont on peut penser qu’elle le maîtrise parfaitement, ainsi que nous l’a déjà démontré son précédent livre, L’Unique Trait de pinceau (Albin Michel, 2001). C’est ce premier ouvrage qui provoque la rencontre entre l’artiste et Alain Lombard, commissaire général pour la France des Années croisées France-Chine. En résulte la commande du logo de la manifestation. Fabienne Verdier y conjuguera, en un vibrant hommage à la Chine éternelle, sa connaissance des sceaux, sa science de la calligraphie et sa maîtrise du pinceau : “Une cursive folle, en hommage à la tradition des lettres, un jeu sur le yin et le yang, une formalisation de l’échange”, jubile-t-elle.
Sa décennie passée en Chine ne peut se résumer, et il convient de lire son livre pour la suivre, inaugurant son périple en étudiante étrangère et perdue à l’École des beaux-arts de la province du Sichuan, et l’achevant au poste officiel d’attachée culturelle à l’ambassade de France à Pékin. Heurs et malheurs, amitiés et découvertes, maladies et émerveillements s’y succèdent à grande cadence, soutenus par un enthousiasme constant, une volonté sans faille et une ingénuité salvatrice.
C’est le programme de l’Année de la Chine en France, ainsi qu’elle nous l’a confié, qui est à l’origine de ce livre : “Je voulais, à ma façon, combler les vides et les manques de cette programmation, qui me semble plus mondialiste que chinoise. L’exposition actuellement présentée au Centre Pompidou me paraît, à cet égard, tout à fait symptomatique. Comme si on était allé chercher en Chine ce qui se fait, ce qui se montre, ce qui se voit partout dans le monde. Je sais bien que ce genre de manifestations, au sein desquelles on distingue mal ce qui est politique de ce qui est culturel, génère nécessairement son lot d’ambiguïtés, mais il me paraît clair, évident, qu’on n’a pas oublié d’oublier ce qui pour moi est l’essence même de la culture chinoise. Même si je me réjouis à l’avance de ce que seront, je l’espère, les expositions ‘L’homme de bronze’ à la Salle Saint-Jean, ‘Les montagnes célestes’ au Grand Palais, ou encore ‘Zao Wou-ki’ au Jeu de paume.”
À l’évidence, Fabienne Verdier n’est pas particulièrement “contemporaine”, quoique mêlant dans la même admiration la grande tradition calligraphique – dont elle déplore ici la quasi-absence – et le travail d’un Zao Wou-ki.
Un art extatique
“Ceux qui jugent artificielle, étrange, voire historiciste ma démarche vers la calligraphie et la peinture chinoises ne s’étonnent pas, en revanche, que des Asiatiques viennent en Europe suivre des cours dans nos écoles d’art, qu’ils deviennent, par leurs recherches et leurs travaux, de grands créateurs et participent à l’aventure qu’est l’art contemporain. Je pense à Zao Wou-ki en peinture, à Yoyoma en musique ou encore à François Cheng en littérature...”
Cette idée du partage, de la confrontation, de l’enrichissement mutuel est essentielle pour Fabienne Verdier. Et si elle constate que ce que nous appelons la création chinoise contemporaine (et que l’on nomme là-bas “avant-garde”) se diffuse bien plus largement extra-muros qu’intra-muros, et touche pratiquement toutes les disciplines, elle n’en déplore pas moins l’alignement sur les lois du marché international de l’art. “Je ne suis pas ennemie de la biodiversité, bien au contraire. Mais il y a dans l’éthique de la création, d’abord et avant tout le respect de l’autre. Les reality-shows du type de celui organisé au Centre Pompidou me paraissent vains et même nuisibles. L’art ne consiste pas à célébrer l’autodestruction et le mal-être, il a pour objet de percevoir l’être au-delà de l’être.”
S’enflammant, l’auteur et artiste parle “subtilité”, “intemporalité”, “indicible”, “ineffable”, “émerveillement” et, appuyant son propos, cite le peintre Mark Rothko : “L’art est extatique sinon il n’est rien.”
Puis, revenant à l’essence même du logo créé pour l’Année de la Chine en France, elle murmure, sourire en coin et œil malicieux : “Je suis de ces quelques derniers peintres à croire encore avec ferveur à la transmission des puissances de l’esprit en un coup de pinceau. Il me suffit de trois poils de chèvre et d’un manche de bambou pour parcourir l’univers dans mon atelier.”
- À lire : Fabienne Verdier, La Passagère du silence, éd. Albin Michel, 304 p., 21,50 euros. ISBN 2-2261-4185-5
- À voir : Fabienne Verdier, galerie Ariane Dandois, du 5 au 14 novembre, vernissage-signature le 4 novembre 16h-20h, 92 rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris, tél. 01 43 12 39 39, mardi-samedi 10h-19h.
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Tribulations d’une Française en Chine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Tribulations d’une Française en Chine