Les commissions d’admission des objets, instaurées par les grandes foires d’antiquaires, permettent de sécuriser les achats des visiteurs. Les querelles d’experts sont toutefois fréquentes.
PARIS - Aujourd’hui, tout salon digne de ce nom possède une commission d’admission des objets exposés (vetting en anglais). Une initiative lancée dès leur création par la Biennale des antiquaires de Paris et Tefaf de Maastricht. À la Biennale, 120 consultants disposent d’une journée et demie pour vérifier l’authenticité et la qualité des pièces exposées. La proportion d’objets retirés est généralement faible, de l’ordre de 2 %. De son côté, Tefaf déploie sur deux jours 130 experts. Les commissions désignent souvent des sous-commissions car aucun expert ne peut garder l’esprit alerte de bout en bout. « La base du système, surtout à Maastricht, est d’écarter un objet au préjudice du doute, même si on n’est pas déterminé sur son authenticité », explique le marchand Gilles Bresset, spécialiste en Haute Époque.
Derrière la respectabilité affichée, certaines commissions se muent en règlements de comptes, notamment dans les domaines où les enjeux financiers sont colossaux. La plupart des vetting comptent une majorité d’exposants. C’est le cas des trois quarts des 18 experts de la commission mobilier de la Biennale. Cette forte proportion peut nuire à l’intégrité ou à la sérénité de l’expertise. « S’il y a une dérive d’une personne, il ne peut y avoir une dérive de tous. Si on excluait des professionnels de la commission au motif qu’ils sont exposants, on se priverait de gens incontournables pour l’expertise », scande l’antiquaire Jacques Perrin, président de la commission mobilier. Cette année, le salon Palm Beach Classic a pourtant fait appel à des conservateurs ou experts-marchands indépendants . De même le Salon du dessin a-t-il recours à 7 experts indépendants. « Il s’agit d’éviter les acrimonies dans notre petit groupe de participants. Il ne faut pas que le vetting soit vécu comme une guerre de tranchées », précise l’antiquaire Hervé Aaron, président de la Société du dessin.
Interprétation trop rigide
On reproche souvent aux commissions de moduler leurs avis en fonction du pedigree de l’exposant. Les achats communs effectués par les antiquaires confortent parfois cette idée de « copain-coquin ». Ainsi, lors d’une Biennale, les experts ont préféré ne pas froisser un grand antiquaire parisien en conservant sur son stand un cabinet de Roentgen, pourtant transformé. Des observateurs murmurent que la commode de Joseph, dont les bronzes étaient refaits, n’aurait pas été retirée de la dernière Biennale si elle avait figuré sur le stand d’un des caciques du marché parisien plutôt que sur celui de Jean Lupu. Si ce dernier avait accepté de modifier son cartel, aurait-il bénéficié d’une plus grande magnanimité ? « Non, le prix d’une commode de Joseph n’est pas le même avec de vrais ou de faux bronzes », déclare Jacques Perrin. La commission a pourtant à juger seulement de la qualité et de l’authenticité, non du prix de vente. « Certains marchands sont borderline, c’est pourquoi les commissions jouent sur du velours. Quelqu’un qui a des casseroles ne peut répliquer vertement. On est dans un monde où tout le monde se tient par la barbichette », soupire le marchand de tapisseries Dominique Chevalier.
Quelques exposants jouent aussi à la roulette russe en laissant « négligemment » des pièces qu’ils savent pertinemment fausses ! « Les erreurs d’attribution sont involontaires chez les mêmes, et volontaires chez les mêmes », ironise Hervé Aaron. Mais le vetting n’a pas la science infuse. L’expert Jean-Dominique Augarde estime ainsi qu’à Maastricht « les bronzes Empire ne sont pas ce qu’ils devraient être », tout en convenant que le mobilier est bien examiné. Certaines erreurs de jugement sont devenues des cas d’école. Une petite table dotée d’une marqueterie en ivoire et corne bleue a été retirée du stand de l’antiquaire Bernard Steinitz lors d’une Biennale. Ce qui ne l’a pas empêché de la vendre aussitôt au J. Paul Getty Museum, (Los Angeles). Il s’agissait en effet du dernier meuble restant du Trianon de porcelaine ! Une autre fois, deux coffres sur piédestaux par Boulle ont été exclus du stand du même Steinitz. L’un était du XVIIe siècle, l’autre, une copie de 1850. Ces meubles venaient de la collection Demidoff et avaient été ainsi liés pendant plus de cent cinquante ans. Tout l’historique était d’ailleurs inscrit sur l’étiquette des meubles. « C’est un comportement absurde. L’interprétation de la commission est parfois trop rigide. Dans ce métier, on ne respecte peut-être pas assez l’histoire des objets », observe Jean-Dominique Augarde. Parfois, les antiquaires réussissent à décontenancer la commission. « Lors d’une Biennale, nous avions présenté une série de quatre fauteuils en acajou Louis XVI, achetés dans une vente à Drouot. Un marchand avait décrété à l’issue de la vente qu’ils étaient faux. Comme je me doutais qu’ils allaient nous les refuser, j’ai demandé à notre ébéniste d’en présenter un entièrement démonté. La commission ne pouvait dès lors prétendre qu’on ne voyait pas les assemblages. On a pu les conserver sur le stand », se rappelle un antiquaire. Les marchands défendent parfois farouchement leurs chasses gardées. Lorsqu’on est spécialiste de tableaux XIXe ou XXe siècle, autant éviter de présenter, même occasionnellement, un tableau ancien.
La qualité, notion arbitraire
Dans les spécialités où le nombre d’exposants est faible, les commissions se déroulent sans trop de heurts. Mais l’étroitesse d’un secteur n’exclut pas les dérives. « Lors de la Biennale de 2000, je présentais un tondino d’Urbino, raconte le marchand de céramique Jean-Gabriel Peyre. La commission fait déjà une première vérification des pièces photographiées destinées au catalogue. On m’a dit que ma pièce n’était pas d’Urbino mais de Lyon. J’ai dû trouver une autre photo. Mais lorsque la commission est passée sur mon stand, on n’a pas modifié la description que j’en avais faite et j’ai pu garder le plat avec la mention “d’Urbino”. C’était sans doute pour éviter que cette pièce maîtresse soit reproduite dans le catalogue. Je l’ai tout de même vendue pour ce qu’elle était et elle se trouve aujourd’hui dans une grande collection. ». Instituée depuis 1996 à la Biennale, la procédure d’examen des photos avant impression du catalogue reste indispensable. À la foire de Palm Beach Classic, les experts en mobilier ont dû retirer un secrétaire qui figurait en bonne place dans le catalogue. Les œuvres authentiques mais jugées trop faibles par rapport à l’excellence de la manifestation subissent aussi un couperet. La qualité est pourtant une notion très arbitraire. Un stand dont les deux tiers des pièces n’ont pas été renouvelées d’une édition sur l’autre est-il toujours de qualité ? « À Maastricht, ça se traduit par un avertissement à l’amiable. Mais la commission est plus indulgente aujourd’hui qu’il y a dix ans. Si un exposant apporte trois pièces vraiment brillantes et que le reste est inchangé, on est plus souple », reconnaît Gilles Bresset.
Les commissions n’ont pas de responsabilité juridique. Si des faux résistent au tamis des experts, le marchand est seul fautif en cas de litige suite à une transaction sur la foire. Peut-être éviterait-on les glissements en responsabilisant davantage les experts. Une idée que les professionnels réfutent pour la plupart. Quelles que soient les querelles claniques, les commissions attachées à ces foires restent indispensables.
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Le « vetting », garantie de la qualité d’une foire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°189 du 19 mars 2004, avec le titre suivant : Le « vetting », garantie de la qualité d’une foire