Après avoir été directeur de la Foire de Bâle puis de la Foire du livre de Francfort, Lorenzo Rudolf est depuis 2003 vice-président de l’International Fine Art Exhibitions (IFAE). Cette société organise aux États-Unis deux salons à Palm Beach, une foire d’art contemporain, « Palm Beach 3 » et un salon d’antiquités, « Palm Beach ! » qui vient tout juste de s’achever (lire p. 27). Lorenzo Rudolf est également conseiller d’Arte Fiera, la foire d’art contemporain de Bologne (lire p. 28). Il commente l’actualité.
Aujourd’hui, d’importantes foires se développent en Floride, à l’exemple de Art Basel Miami Beach ou de Palm Beach ! Y a-t-il un terreau dans cette région pour ces foires qui se veulent internationales ?
La Floride est une région qui vit un grand boum. Dans les douze ou quinze prochaines années, la population de la Floride va doubler. Des gens du monde entier viennent s’y installer, d’abord tous les riches Latino-Américains qui ont un appartement ou une maison à Miami, mais aussi un compte bancaire, puis les Américains eux-mêmes – à cause du climat clément en hiver –, les européens, beaucoup de Russes et des Asiatiques. Aussi, la Floride du Sud évolue rapidement et incroyablement. Ces gens ont envie simultanément de changer les choses sur le plan de la culture qui n’y était pas particulièrement intéressante. Quand je travaillais encore à Bâle, nous avons développé ce projet de « Art Basel Miami Beach », lequel a été soutenu par tous les collectionneurs qui voulaient davantage que le « sun, fun and beach ». À Miami, la foire a eu un effet boule-de-neige : des collectionneurs ont ouvert des musées privés, des galeries ouvrent des espaces – comme Emmanuel Perrotin, de Paris, qui a fait un pas intelligent… La culture est devenue ici un life style. Il est devenu socialement valorisant de s’occuper de culture et d’acheter de l’art. Et nous en profitons, même si l’art contemporain en bénéficie plus que l’art classique.
Pourquoi avoir choisi Palm Beach et non Miami ?
Palm Beach a toujours eu l’image du luxe, de l’argent, de l’exclusivité. Et c’est idéal pour un salon classique parce qu’il n’y a pas de salon important dans le domaine aux États-Unis. Le seul autre existant est l’Armory Show à New York, d’abord limité par le bâtiment même s’il est situé dans un bon quartier, puis par la ville de New York qui propose plus qu’aucun salon ne peut offrir. À Palm Beach, nous pouvons construire le salon américain de destination. Il n’y a pas seulement une forte base locale, mais aussi des professionnels et des collectionneurs qui viennent de tout le pays et d’Amérique du Sud. Pendant la saison, les gens qui vivent ici viennent pour 80 % d’entre eux de New York. À West Palm Beach, il y a aussi de plus en plus de jeunes riches, éduqués, qui construisent ici leurs maisons ou achètent leur appartement. On quitte ainsi l’image de la vieille fortune américaine et ce mixage est idéal pour organiser un salon. Nous devons aussi éduquer pas à pas les gens à l’art. Et c’est ce que nous faisons.
Dans Palm Beach !, on trouve beaucoup moins de meubles que de tableaux. S’agit-il d’un choix stratégique ou cela reflète-t-il le marché ?
Cela reflète plutôt la situation économique du marché. Les grands marchands de mobilier classique étaient très intéressés pour venir, comme les Parisiens Perrin, Segoura… Finalement, ils ne sont pas venus par « peur économique ». Pour des marchands comme eux, faire un salon en Amérique coûte une fortune. En même temps, ils savent que leur marché n’est plus en Europe mais en Amérique. La situation actuelle – le marché est très faible en Europe, presque mort, un dollar très bas et un euro fort – a empêché des marchands de faire dès maintenant le pas. C’est la vraie raison qui explique leur absence. Pour nous, ce ne serait pas une décision stratégique intelligente de ne pas les intégrer. Où se trouvent les maisons qui peuvent se meubler ainsi ? C’est aux États-Unis. Aussi, il est presque sûr que les Kugel viendront l’année prochaine.
Vous disiez que les collectionneurs de Floride se tournent de plus en plus vers l’art contemporain. S’agit-il d’une évolution naturelle pour Palm Beach ! et envisagez-vous éventuellement de fusionner avec votre salon contemporain, Palm Beach 3 ?
Non. Nous allons garder les deux salons. Le salon contemporain qui a eu lieu en janvier a eu du succès. À Palm Beach, il faut vraiment trouver la niche et le concept. Il serait absurde de comparer ce salon avec Art Basel Miami Beach. Ce dernier va, comme beaucoup de salons dans le monde, dans une direction de plus en plus « mode ». C’est la hype de Miami ! Palm Beach 3 est plus tranquille. On y cherche des artistes que l’on ne voit pas sur toutes les foires tout en intégrant de grandes galeries comme Metro Pictures ou Robert Miller, lesquels attirent aussi un certain public. De l’autre côté, nous avons deux autres segments qui ne sont pas à Miami. Premièrement la photographie, du classique au cutting edge, qui a ici beaucoup de collectionneurs. Au plan institutionnel, le Norton Museum possède l’une des plus belles collections de photographies du sud-est de l’Amérique avec la donation Oppenheim. Le Centre de photographie va ouvrir à Palm Beach un grand espace. Et la photographie, dans tout le boum de l’art contemporain, constitue peut-être le domaine le plus accessible pour les gens. Le second segment porteur concerne les arts décoratifs et le design. Nous avons la base pour que ce salon fonctionne.
L’introduction du design à la FIAC vous a-t-elle semblé aller dans la bonne direction ?
C’est intéressant, mais je n’ai pas aimé la façon dont il était intégré dans la foire, [relégué] au fond. Intégrer ne veut pas dire seulement faire une place dans un coin mais établir un rapport entre les arts plastiques et le design. C’est une bonne idée si on le fait bien. Le design a une certaine tradition à Paris, mais il faut vraiment mieux l’intégrer. C’est un fait, les gens s’intéressent aujourd’hui au design ; les prix y sont parfois plus élevés que pour le XVIIIe. On a pu le voir à la dernière Biennale des antiquaires à Paris. À Palm Beach, les antiquités ont encore un tout autre poids par rapport à l’Europe où l’on constate un changement du goût. Si les marchands européens ne sont pas capables de s’y adapter, ils seront mal à l’avenir. En Amérique, la culture, c’est la vieille culture européenne, la France, l’Italie… Le marché y est donc plus actif. Nous voulons donner la plate-forme aux marchands de mobilier européen en leur offrant une mise en scène qui séduise les gens, qui leur permette de se sentir un peu comme dans un film. C’est la clé du succès.
Les salons coûtent de plus en plus cher à organiser, notamment à cause des à-côtés, comme ici les conférences. Les sociétés organisatrices de salons peuvent-elles être encore rentables ?
Il existe beaucoup d’organisateurs différents. Certaines foires sont organisées par des fondations ou des groupes de marchands, comme Tefaf Maastricht. Avec Palm Beach !, l’IFAE fait un bénéfice de 1,4 million de dollars. Mais il est clair que les salons sont de plus en plus coûteux. Il y a trop de salons et il est nécessaire de faire davantage pour se différencier des autres, non seulement professionnellement mais aussi en investissant. Mais la tendance est favorable aux salons : de plus en plus de marchands sont forcés d’y participer parce qu’ils n’ont plus de clientèle dans leur galerie. Il faut cependant trouver un équilibre pour que l’organisateur, les marchands et les visiteurs tirent tous profit des salons.
Vous êtes également conseiller pour la foire d’art contemporain de Bologne. Comment cette foire se positionne-t-elle aujourd’hui en Europe ?
C’est la plus italienne ! Bologne a vraiment le potentiel pour devenir un salon européen. Cette foire ne s’est pas développée pendant une douzaine d’années, tandis que l’Italie bouge beaucoup, avec la création de nombreux musées, collections et fondations. C’est un pays qui économiquement va bien. Nous allons faire de Bologne un salon international d’une certaine classe en s’appuyant sur le marché italien, en intégrant du haut de gamme international, du contemporain et du classique, en s’ouvrant sur la Méditerranée et l’Europe du Sud-Est.
Une exposition vous a-t-elle particulièrement marqué dernièrement ?
J’ai beaucoup aimé Günter Brus à Bologne (1), mais, avec l’organisation de tous ces salons, je n’ai pas eu la possibilité de voir toutes les expositions que j’aurais voulu. Maintenant, je vais prendre le temps pour assouvir ma passion et aller dans les musées.
(1) présenté à la Galleria d’Arte Moderna jusqu’au 27 février.
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Lorenzo Rudolf, vice-président de l’IFAE
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Lorenzo Rudolf, vice-président de l’IFAE