PARIS
La 9e édition du salon toujours aussi international confirme le pli contemporain adopté l’an dernier. La foire dévoile cet automne la jeune garde espagnole.
Tous les ans au mois de novembre, le succès de Paris Photo donne à notre capitale l’illusion d’être LE centre mondial de la photographie. Une autosatisfaction à moduler au vu des relevés d’Artprice. En 2004, les États-Unis menaient la danse dans les ventes publiques de photos avec 78 % de parts de marché contre 5,6 % pour la France.
Dans un paysage aux couleurs de la bannière étoilée, Paris Photo s’en sort pourtant avec brio. Fort de ses 73 % d’exposants étrangers, il est même l’un des événements les plus internationaux en France ! Pourquoi les marchands américains s’y rendent-ils comme en pèlerinage, alors que les transactions voguent entre 15 000 et 25 000 euros et que, de leur propre aveu, les chiffres générés par la foire new-yorkaise de l’Aipad (Association of international Photography Art Dealers) sont plus consistants ? « Les marchands américains viennent faire leur shopping en Europe et reconnaissent sans problème la place de Paris, indique Valérie Fougeirol, commissaire générale de Paris Photo. Ils connaissent les contours de leur marché depuis les années 1960 et viennent chercher du prestige, une autre clientèle. En plus, avec le change, ils ont les pièces les moins chères du salon, ce qui les rend attractifs aux yeux du public. » Le galeriste new-yorkais Tom Gitterman remarque pour sa part que « même si les Français ne sont pas ceux qui achètent le plus la photographie, ce sont ceux qui admirent et respectent le plus l’art. Le grand succès de Paris Photo, c’est que de plus en plus de gens, mis à part les Américains, achètent ». L’absence d’œillères du salon parisien a motivé l’arrivée de Deborah Bell (New York). « J’ai le sentiment que le public de Paris Photo est plus ouvert, spécialement pour les artistes européens, que ne le sont les Américains, observe la galeriste. Un artiste comme le Néerlandais GP Fieret, dont je présente les nus et portraits entre 3 000 et 15 000 dollars [2 500-12 500 euros], relève d’une sensibilité plus européenne. » Les mêmes considérations ont guidé l’arrivée d’Argus Fotokunst (Berlin), lequel propose entre 1 000 et 2 000 euros une sélection de photographes d’Allemagne de l’Est.
Côté français, Catherine Dérioz, directrice de la galerie Le Réverbère (Lyon), souligne la fidélisation rapide du public de la foire. D’autres enseignes hexagonales s’estiment moins prophètes en leur pays. « Dans l’état actuel des choses, les gens avisés n’ont pas les moyens de payer 10 000 à 20 000 euros. Il n’y a pas non plus en France un regard pour la photo entre les années 1920 et 1950 », regrette Françoise Paviot (Paris). Elle présente vaille que vaille l’École de Chicago, notamment Aaron Siskind (10 000 à 15 000 euros), ainsi que des images croquignolettes de John Willie (300 à 500 euros), lesquelles ne sont pas sans rappeler les bondages d’Araki !
Chemins de traverse
On a longtemps reproché à Paris Photo d’être classique aux entournures. Une image bousculée l’an dernier par une dominante contemporaine. La frontière poreuse entre la photo de photographe et celle de plasticien ainsi que le compartimentage des deux clientèles semblent aujourd’hui abscons. Restent toutefois quelques préceptes. « Pour un salon de photo, je n’amènerai pas des photos manipulées comme celles peintes par Rogelio Lopez Cuenca ou celles de Dora Garcia, indique Juana de Aizpuru (Madrid). J’amène plutôt des photos-photos, pures, et souvent du noir et blanc, car une partie de la clientèle de Paris Photo est classique. Contrairement aux foires d’art contemporain, où les stands sont plus grands, je ne mets qu’un seul grand format de Carmela Garcia, mais en dehors de ces détails il n’y a pas de grande différence. »
Faute de rallier les icônes de la photographie plasticienne, récupérées par des foires généralistes comme Art Basel, Paris Photo fait son miel sur les chemins de traverse. Chez la nouvelle recrue Art : Concept (Paris), l’amateur butine entre un photographe issu de la tradition photographique comme Geert Goiris (4 000 euros), présenté simultanément au Jeu de paume à Paris, et les clichés des voyages américains de Jeremy Deller (700 à 40 000 euros). La question de la reproduction est au cœur du travail de Philippe de Gobert, à l’affiche de la galerie Aline Vidal (Paris). Celui-ci construit des maquettes qu’il photographie dans un second temps en créant l’illusion d’un véritable espace architectural.
Face au tropisme contemporain, les organisateurs ont souhaité rééquilibrer la donne. Le mot d’ordre est à la mixité. Un souhait que respecte le nouvel arrivant Volker Diehl (Berlin) en panachant des vintages de H. P. Horst (5 000 à 50 000 dollars) avec des artistes plus jeunes comme Zhang Huan (6 000 à 35 000 dollars). Le dosage prôné par Paris Photo est toutefois difficile à préserver tant les galeries habituées à l’ancien taquinent de plus en plus de l’après-guerre. Coutumier des primitifs du XIXe siècle, le marchand Laurent Herschtritt (Le Pré-Saint-Gervais, Seine-Saint-Denis) privilégie ainsi les retirages d’images urbaines très graphiques, réalisées par Alexandre Vitkine dans les années 1960. Si le galeriste a vendu des vintages de petits formats en mars au Pavillon des antiquaires à Paris, il a opté cette fois pour des agrandissements récemment tirés (4 000 euros). Un choix que désapprouverait plus d’un amateur ! « Ces agrandissements modernes sont parfaitement adaptés au sujet, c’est-à-dire au travail architectural. Tout dépend de ce qu’on veut, si on a beaucoup de place, on a envie d’un grand format », réplique le galeriste. L’idée de collection tendrait-elle à s’écorner au profit du décoratif ? Indifférent à l’évolution du goût, Hans P. Kraus (New York) sera l’un des rares à défendre le XIXe, avec un « one-man-show » attendu de Roger Fenton.
Suivant de près les ventes aux enchères d’octobre à New York, Paris Photo permet parfois de remettre les pendules à l’heure, en corrigeant l’outrance des prix. La galerie Baudoin Lebon (Paris) présente ainsi un portrait de Patti Smith par Robert Mapplethorpe. Bien que célèbre, le tirage serait unique, d’après Jean-Olivier Després, collaborateur de la galerie. Celui-ci s’alignera-t-il pour autant sur le record de 251 200 dollars enregistré le 10 octobre chez Christie’s pour une photo de Mapplethorpe ? La galerie s’en tient plutôt à un « prix intelligent » de moins de 100 000 euros. « Le record en vente publique n’est qu’un repère, un prix incitatif et non une référence », rappelle Jean-Olivier Després. À bon entendeur !
17-20 novembre, Carrousel du Louvre, 99, rue de Rivoli, 75001 Paris, www.parisphoto.fr, les 17 et 19 11h-20h, le 18 11h-21h, le 20 11h-19h - Commissaire générale : Valérie Fougeirol - Nombre d’exposants : 90 galeries et 16 éditeurs - Tarif des stands : 275 euros HT le m2 970 euros de frais d’inscription
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Paris Photo met les pendules à l’heure
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Abonnez-vous dès 1 €Que nous inspire l’Espagne ? Une suite de clichés, du ténébrisme à la « movida ». La mise au point que nous proposent les « Statements » ibériques de Paris Photo s’avère nécessaire ! À la différence d’une scène allemande très formatée, le paysage espagnol est polymorphe. La plupart des artistes sélectionnés par la commissaire invitée, Rosa Olivares, sont à l’origine des plasticiens. Les photos très scénarisées de Naia Del Castillo (1 850 à 2 500 euros), présentées par la madrilène Distrito 4, seront accompagnées d’objets accentuant la sophistication des compositions. De même, des vidéos viennent compléter les travaux sur la solitude dans les espaces publics de Sergio Belinchon (1 750 à 11 000 euros) chez Dels Angels (Barcelone). On perçoit un mimétisme, pour ne pas dire une gémellité, dans les photos de théâtre et de métros vides (3 500 et 7 500 euros) de son frère Raul Belinchon présentées par T20 (Murcie). L’architecture, cette fois muséale, est au cœur du travail d’Alicia Martin (1 000 à 10 000 euros) à l’affiche d’Oliva Arauna (Madrid). L’idée de solitude inspire la série sur le « Silence » de Mayte Vieta chez Palma 12 (Vilafranca Penedes). Au menu de la galerie Fucares (Madrid), les paysages et vues d’architecture, presque topographiques, de Maria Bleda et Jose Rosa (6 000 euros) relèvent davantage d’un travail sur la mémoire. L’humour est présent, enfin, dans les images décalées de Jordi Bernardo, proposées par la galerie Senda (Barcelone). Face au travail élégant et un brin lisse de ces artistes, les images mutantes de Pablo Genovés chez Bacelos (Vigo) jouent la carte du mauvais goût. Esthètes, s’abstenir ! Bien que ces artistes misent sur la globalisation et vivent pour certains à l’étranger, leur entrée sur le marché international est encore timide. « Actuellement, les prix augmentent, mais seulement sur le marché espagnol, confie Rosa Olivares. À l’étranger, seuls quelques artistes peuvent vendre à de bons prix. C’est le bon moment d’acheter la photographie espagnole, parce que c’est bon marché. » Chacun prêche pour sa paroisse ! Ce sermon n’a d’ailleurs porté ses fruits que depuis peu en Espagne. « Les collectionneurs espagnols n’ont commencé à acheter de la photographie que voilà sept ou huit ans, remarque la galeriste Juana de Aizpuru (Madrid). Avant, je ne vendais que sur les foires à des collectionneurs internationaux. » La donne a changé depuis une dizaine d’années, avec la création de fondations spécialisées comme Foto Colectania à Barcelone et la Fondation Coff à San Sebastián. Créée par le collectionneur Enrique Ordóñez, cette dernière a même lancé en 2004 dans la ville basque la foire DFoto, au parfum encore très local.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°224 du 4 novembre 2005, avec le titre suivant : Paris Photo met les pendules à l’heure