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Françoise Benhamou : « Rapprocher les ministères de la Culture et de l’Éducation »

économiste, professeure des universités

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 1417 mots

Françoise Benhamou, spécialiste de l’économie de la culture, vient de publier un ouvrage questionnant la politique culturelle.

Françoise Benhamou est professeure des universités et spécialiste de l’économie de la culture. Elle a notamment été conseillère pour le livre au cabinet de Jack Lang (1991-1993). Elle est actuellement membre du conseil d’administration du Louvre et du Collège de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes). Elle vient de publier à La Documentation française Politique culturelle, fin de partie ou nouvelle saison ?

Ne pensez-vous pas que les coupes budgétaires dans le budget de la Culture masquent le fait que la situation actuelle, eu égard au contexte européen, est loin d’être défavorable ?
Il y a un surinvestissement en France sur les politiques culturelles, une sensibilité toute particulière qui amplifie les signaux négatifs. On pensait, surtout à gauche, la politique culturelle un peu à l’abri des crises, et on la voit assumer sa part des contraintes budgétaires, très relativement d’ailleurs.
Dans le même temps, la récente déclaration du Premier ministre, Manuel Valls, sur « l’erreur » que fut la baisse du budget de la Culture en 2013 et 2014, renvoie à la question : si c’est une erreur, comment va-t-on la rattraper ?
Ce n’est pas facile d’être un ministre de la Culture ; on est, comme dans beaucoup de ministères, prisonnier des gens que l’on subventionne. Il faut avoir de l’empathie pour le milieu, tracer sa route, tout en sachant garder une petite distance, car il faut savoir dire non. Les dossiers sont par ailleurs devenus très techniques, avec une offre culturelle surabondante qui entraîne un nombre important de dossiers de subventionnement.

N’y a-t-il pas un défaut d’évaluation des actions culturelles ?
Plus que de mesure de l’efficacité de chaque programme ou équipement, c’est d’une évaluation de l’ensemble que l’on manque, à l’échelle de tout un territoire par exemple. Prenez la construction de la Philharmonie de Paris, que l’on justifiait par un manque de salles de concert de musique classique à Paris et qui coûte très cher. Pourquoi, dans le même temps, transformer la programmation de la Salle Pleyel au détriment justement de la musique classique ? Si on dispose de beaucoup de données en France, elles demeurent très incomplètes en ce qui concerne les actions culturelles des collectivités ; actions qui remontent trop lentement.

Précisément, la dernière enquête du ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français date de 2008, onze ans après la précédente. N’est-ce pas un signe parmi d’autres que l’État mène surtout une « politique de l’offre » ?
L’enquête sur les pratiques culturelles des Français est lourde [à mener], mais cela n’excuse pas une si faible fréquence. Ceci dit, il est vrai que la Rue de Valois est, de longue date, le ministère des artistes plus que celui du public des artistes. Il est plus gratifiant de financer des politiques d’offre que de demande. Les politiques en direction des publics se programment forcément sur un long terme, et les résultats ne sont perceptibles que pour les ministres suivants. C’est un travail de fourmi, nécessairement frustrant. Et lorsque, pour donner le change, on annonce de grandes politiques de gratuité, on agite un leurre : toutes les études sérieuses montrent que la gratuité n’a jamais été un outil de démocratisation.
Au fond, le meilleur outil en direction des publics passe par un vrai rapprochement entre le ministère de la Culture et celui de l’Éducation. C’est un exercice dont la mise en œuvre est périlleuse car le ministère de l’Éducation est un mastodonte à côté de celui de la Culture. Cela avait été fait avec Jack Lang en 1993, un ministre dont l’aura était incontestable dans les milieux culturels. Il faudrait dans un premier temps envisager un rapprochement sur des fonctions communes déléguées, et pourquoi pas une structure indépendante qui dépendrait du Premier ministre.

Ne suggérez-vous pas aussi de rattacher le tourisme et l’action culturelle étrangère au ministère de la Culture ?
Oui car s’agissant du tourisme, cela donnerait au ministère de la Culture cette dimension économique qui lui manque. On aurait là la traduction au niveau de l’organisation administrative de l’effet de levier de la culture sur l’économie, et cela permettrait de développer davantage la dimension culturelle du tourisme. [Le ministre des Affaires étrangères] Laurent Fabius, grâce à son poids politique, s’est emparé de la promotion du tourisme avec énergie et efficacité. Je ne regrette pas ce qui a été fait, mais c’est un rendez-vous qu’il faudra rattraper.
En 2015, continuer à penser la politique étrangère d’un côté et la politique culturelle de l’autre, c’est un non-sens. Les passerelles ne se font pas. La politique culturelle, c’est un tout, elle s’adresse au monde et à la France. C’est comme cela qu’il faut la penser. Le ministère de la Culture deviendrait le « ministère du rayonnement de la France à l’étranger », ce qu’il n’est pas assez aujourd’hui. S’il récupérait un jour la politique culturelle étrangère, il renforcerait par contrecoup son action à l’intérieur.
Dans le même temps, le ministère de la Culture que j’appelle de mes vœux devrait être moins bureaucratique, avec des commissions indépendantes chargées d’allouer les subventions.

Curieusement, plus les collectivités territoriales investissent le champ de la Culture, plus les acteurs du monde culturel en appellent à l’État, n’est-ce pas contradictoire ?
Il y une inquiétude qui n’est pas complètement infondée. Regardez ce qui s’est passé dans certaines villes passées au Front national. J’ai trouvé intéressant ce qu’a fait [la ministre de la Culture] Fleur Pellerin quand il y avait des problèmes de coupes budgétaires sur des festivals, en disant : « Si vous maintenez les subventions, je maintiens la participation de l’État. » L’État assume son rôle, et laisse la décision à l’échelon local. Il peut agir en « rattrapage » quand il y a des problèmes. Ne sous-estimons pas les élus locaux. Ils ont évolué, ils ont acquis une sensibilité aux questions culturelles. Il faut prendre acte de ce que la politique culturelle se joue aujourd’hui en régions. Cette inquiétude que je comprends, il y a lieu de s’en départir. Le ministère pourrait proposer un service assez souple, avec des experts qui peuvent se déplacer, aider à monter les dossiers. Cela fait partie du rôle des Drac [directions régionales des Affaires culturelles], mais elles sont trop bureaucratisées et sans doute obsolètes. Il faudrait soit les alléger et leur confier des missions de coordination, soit fusionner les personnels avec ceux des services culturels des Régions.

Reste le problème du financement. Concernant le patrimoine, vous aviez recommandé d’augmenter la taxe de séjour pour faire participer les touristes à l’entretien des milliers de monuments, églises, paysages aménagés dont l’accès est gratuit. Qu’est devenue cette proposition ?
Elle est partie dans les limbes de l’administration car Bercy n’aime pas les taxes affectées. C’est dommage car cette hausse aurait été indolore tout en rapportant beaucoup. De même, je pense que l’on devrait augmenter le prix d’entrée dans les grands musées pour les non-européens, dont le consentement à payer est très élevé.

Vous soulignez les « liaisons incestueuses » entre le marché et les institutions publiques. Ne faudrait-il pas obliger chaque artiste dont la cote bénéficie des effets d’une exposition dans un lieu public à donner une œuvre à ce lieu ?
Cette idée me plaît et ne me plaît pas ! Elle est pleinement justifiée, mais j’aimerais que les artistes le fassent… spontanément.
C’est un honneur d’être exposé dans un musée et de choisir l’œuvre que l’on donne. Ce serait aussi un aveu, de la part des lieux de diffusion, du rôle qu’ils jouent pour le marché, sujet sur lequel ils font preuve d’une forme d’aveuglement. Ce serait une bonne manière de répondre à la question des relations incestueuses entre le marché et les institutions.

Vous avez longtemps travaillé en Seine-Saint-Denis en tant que vice-présidente de l’université Paris-XIII. Quelle action mener en banlieue parisienne ?
La question des banlieues est essentielle et il faut la prendre à bras-le-corps avec une politique culturelle d’excellence, pour mille raisons, y compris la lutte contre l’islamisme radical. Je recommande de multiplier les équipements pluridisciplinaires simples : un auditorium, une salle d’exposition autour d’un café ou d’un restaurant, le tout en liaison avec les associations, qui font un travail formidable. Là aussi, le ministère de la Culture aurait une carte à jouer en prenant la pleine dimension de la politique culturelle de la Ville. Au-delà, comme pour le Grand Londres, la banlieue parisienne devrait être intégrée dans un Grand Paris, avec une seule et même administration.

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Légende Photo :
Françoise Benhamou © Arcep

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Françoise Benhamou : « Rapprocher les ministères de la Culture et de l’Éducation »

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