Neal Benezra, directeur du Museum of Modern Art de San Francisco, explicite
le rôle des « trustees » au sein du musée californien.
Le San Francisco Museum of Modern Art (SFMoMA) entame une nouvelle mue. En 1995, Mario Botta signait un bâtiment qui devait devenir un lieu emblématique du centre-ville. Depuis, les collections ont grandi et le musée a fait appel au cabinet d’architecture Snøhetta pour réaliser une imposante extension. Fermé depuis 2013, le SFMoMA doit rouvrir ses portes d’ici un an. L’occasion de présenter à Paris, au Grand Palais, une cinquantaine d’œuvres modernes et contemporaines américaines provenant de la collection Donald et Doris Fisher, un ensemble époustouflant de plus d’un millier d’œuvres dont le musée a reçu la garde en 2009 – Alexandre Calder, Ellsworth Kelly, Roy Lichtenstein, Gerhard Richter, Richard Serra, Andy Warhol… Neal Benezra, directeur du SFMoMA depuis 2002, commente l’actualité.
La Collection Fisher vous a été confiée sous la forme d’un prêt à long terme, pour une centaine d’années. Cette pratique est-elle répandue aux États-Unis ?
À vrai dire, il semblerait que cet accord soit une première. La famille Fisher nous a fait ce cadeau dans le cadre de la Campaign Collection [une vaste campagne d’appel aux dons]. Les 1 100 œuvres sont placées sous la coupe d’un fidéicommis, lequel les met en dépôt chez nous. En d’autres termes, les œuvres ne pourront être vendues et sont laissées aux bons soins de nos conservateurs. La famille sera consultée pour toute demande de prêt. Les musées américains se distinguent par la pauvreté de leurs budgets d’acquisition – je dirais qu’autour de 95 % des œuvres dans les musées sont des dons. La tradition aux États-Unis veut que lorsque vous êtes est un collectionneur investi dans les activités d’un musée, les rapports que vous entretenez avec le directeur et les conservateurs se renforcent avec les années, si bien qu’à terme vous finissez par léguer votre collection. Mais ce modèle a fait son temps : les collectionneurs de la trempe des Fisher n’ont plus ce réflexe. Ils préfèrent fonder leurs propres musées à l’image d’Eli Broad à Los Angeles. Les musées ont dû innover et trouver des solutions pour ne pas se priver de ces collectionneurs.
Diriez-vous qu’il y existe une compétition entre collectionneurs ?
Chaque collectionneur a sa personnalité et chaque musée la sienne. Je ne ferais pas de généralité. Harry et Mary Margaret Anderson, par exemple, ont toujours affiché leur désir d’avoir leur propre musée et leurs propres équipes – leur nouveau bâtiment à Stanford University a trouvé sa place à côté du Cantor Arts Center. De plus, Stanford a acquis une collection qu’elle n’aurait jamais pu s’offrir. Mais ce schéma ne nous aurait pas convenu. San Francisco est peuplé d’un nombre impressionnant de grands collectionneurs – les Fisher en sont un exemple brillant – mais notre souhait est de raconter l’art contemporain de manière plus objective.
Donald Fisher n’avait-il pas exactement ce souhait dans la fin des années 1990 lorsqu’il a tenté d’établir son propre musée dans le parc de Presidio, un projet décrié par la population ?
Donald Fisher, décédé en 2009, a joué un rôle crucial au sein du SFMoMA : il a rejoint le conseil d’administration en 1982 et en fut le secrétaire et trésorier. Je pense qu’il a décidé en famille que finalement la collection serait mieux au SFMoMA, car ces musées privés ont tendance à subir le même sort : après une, voire deux visites, le public ne revient pas car la collection n’évolue pas. Or, Donald Fisher souhaitait que le plus de monde possible ait accès aux œuvres.
Votre conseil d’administration (board of trustees) réunit une soixantaine de membres, et son bureau exécutif est présidé par Robert J. Fisher, fils de Donald et Doris. Quel bénéfice cela a-t-il pour le musée ?
Les trustees [administrateurs] sont sollicités ponctuellement pour les grandes expositions temporaires, les acquisitions et différents programmes et pour une cotisation annuelle pour financer le budget de fonctionnement – les trois artistes, parmi lesquels Ed Ruscha, nommés pour une durée de trois ans en sont exemptés. Nous ne recevons quasiment aucune aide des pouvoirs publics et nous comptons sur trois sources de financement : notre fonds de dotation, le mécénat et les revenus directs de la billetterie, de la librairie-boutique… Si certains de nos trustees ont d’autres sujets à cœur comme l’éducation, beaucoup sont collectionneurs. Nous les aidons au mieux dans leurs choix, dans l’espoir qu’un jour leurs collections nous reviennent. Si, par exemple, un conservateur nourrit un intérêt marqué pour un artiste, nous ne manquons pas d’encourager ces collectionneurs à se porter acquéreurs de ses œuvres… tout en croisant les doigts pour qu’elles soient un jour léguées au musée. J’ajoute qu’il n’y a pas de conflits d’intérêts dans la mesure où le musée n’accepte pas tous les dons qui lui sont faits. Chaque département a son propre comité d’acquisition – il faut, certes, verser une contribution financière pour y siéger, mais chaque achat fait l’objet d’un vote.
Vous avez presque atteint votre but affiché de 610 millions de dollars à récolter pour financer et faire fonctionner la nouvelle extension. Les derniers kilomètres sont-ils les plus difficiles ?
Lorsque nous avons lancé la campagne de levée de fonds en 2009, l’économie américaine entrait dans une grave récession. Nous avions alors de sérieux doutes sur notre capacité à remplir notre objectif. Nos mécènes se sont révélés très généreux. Aujourd’hui, l’économie de San Francisco est en plein boom, aussi la générosité de nos mécènes ne s’est pas démentie. Mais vous avez raison, conclure une levée de fonds est d’habitude très difficile. Cela n’est pas notre cas, d’autant que le projet d’extension mobilise des volontés tout à fait nouvelles au monde de l’art, comme celles de mécènes impliqués dans des projets citoyens. Tous s’accordent à soutenir un projet qui fera la fierté de la ville.
Avec ses innombrables programmes pédagogiques et l’accès gratuit pour les moins de 18 ans, le musée fait beaucoup pour la ville dont il ne reçoit aucun soutien. Comment l’expliquez-vous ?
Notre système est tout simplement différent. À l’exception des musées fédéraux de la Smithsonian Institution à Washington, les musées américains sont privés. Très rares sont ceux à recevoir une petite subvention de l’État ou de la ville. Contrairement au gouvernement, les particuliers se sentent responsables du soutien à la culture. Ceux qui ont amassé des fortunes se sentent redevables et en font profiter la communauté.
L’administration Obama a-t-elle beaucoup fait pour la Culture ?
La Culture n’a pas été une priorité. N’oublions pas qu’Obama est arrivé au pouvoir en janvier 2009, au pire moment de la crise financière. Il aurait alors été très difficile pour lui d’en faire l’un de ses dossiers prioritaires. L’administration Clinton a pu faire, à cet égard, un meilleur travail.
Cette extension permettra au musée d’offrir des activités culturelles très diverses. Le futur du musée est-il forcément pluridisciplinaire ?
Je profite d’être à Paris pour vous donner une réponse très précise à cette question que l’on me pose régulièrement. Pendant des siècles, les musées ont tenu le rôle de gardiens de leurs collections. Tout cela a changé avec la création du Centre Pompidou qui, à mon sens, était une réponse aux années 1960. Inclus dans un centre culturel très actif, le musée était désormais plus accessible au public avec, par exemple, des horaires étendus pour ne pas exclure les gens qui travaillaient en journée. Je pense que l’on tenait là une première ébauche de ce que pouvait devenir le musée du futur. Et au XXIe siècle, les musées suivent ce chemin tout tracé.
Quel regard portez-vous sur les difficultés traversées par le Museum of Contemporary Art de Los Angeles (LAMoca) depuis plusieurs années et sur la nomination du conservateur français Philippe Vergne à sa tête il y a un an ?
Je pense que le plus dur est passé. Philippe Vergne a pris un très bon départ, le conseil d’administration a été renouvelé, le fonds de dotation est en cours de reconstitution, aussi je n’ai pas d’inquiétudes à son sujet. Ce musée est une institution phare en Californie, il était crucial qu’il se remette. La philanthropie à Los Angeles ne revêt sans doute pas la même importance qu’à San Francisco, où le sens citoyen est très développé.
Quelle exposition récente vous a-t-elle marqué ?
J’ai été ébloui par le Musée Picasso dans sa version rénovée et l’exposition Velázquez au Grand Palais. Sans oublier l’exposition des papiers découpés de Matisse au MoMA de New York, et Sigmar Polke à la Tate Modern à Londres.
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Neal Benezra : « Nous suivons le chemin tracé par le Centre Pompidou »
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°434 du 24 avril 2015, avec le titre suivant : Neal Benezra : « Nous suivons le chemin tracé par le Centre Pompidou »