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Comment les manuscrits de Turgot sont restés en France

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 11 février 2015 - 512 mots

Ce fonds de documents exceptionnels, issus du contrôleur général des finances de Louis XVI et conservés intacts pendant plus de deux siècles, reste en France au terme d’un chemin pavé d’embûches.

PARIS - Il y a quatre ans, la famille Turgot souhaite faire restaurer son château en Normandie. Pour financer les travaux, elle envisage de vendre le fonds de son illustre aïeul, Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781), contrôleur général des finances de Louis XVI, père de l’économie moderne, prédécesseur d’Adam Smith. Elle s’adresse à Frédéric Castaing, expert renommé en autographes et documents historiques. Plusieurs semaines lui sont nécessaires pour inventorier plus de 14 000 écrits : correspondance, manuscrits, brouillons… « Ce ne sont pas seulement des écrits fondateurs en économie, car il y a aussi des textes liés à la philosophie, la botanique, l’architecture…  Nous avons là tous les rouages du fonctionnement de l’administration sous l’Ancien Régime », explique l’expert.

Les collections publiques semblent les destinataires naturels de ce fonds mais, devant le blocage des négociations avec l’État, l’expert fait appel à Guillaume Cerutti, président de Sotheby’s France. N’ayant pu conclure rapidement avec l’État et sollicités par des universités américaines, les propriétaires déposent une demande de certificat d’exportation le 30 novembre 2010. En mars 2011, la commission consultative des trésors nationaux tranche en faveur de l’interdiction de sortie du territoire, au motif qu’il s’agit « d’un ensemble d’archives familiales d’une richesse exceptionnelle […] un témoignage unique et irremplaçable pour l’histoire de la France de la seconde moitié du XVIIIe siècle ». À partir de cette décision, l’État a trente mois pour faire une offre d’achat [loi de 2000]. Mais après de longues et ardues négociations, car les vendeurs demandent un prix très élevé, le délai expire : le fonds est libre de sortir du territoire. « Nous avons alors suggéré d’utiliser l’autre procédure, celle du classement comme œuvre d’intérêt patrimonial majeure, qui ouvre les mêmes avantages pour le mécène qui soutient l’acquisition, soit une réduction d’impôts de 90 % [loi de 2003] et dont le délai est imprescriptible », explique Guillaume Cerutti. « Il est très rare que ce statut soit attribué à un bien qui a déjà été reconnu “trésor national” », poursuit-il. De leur côté, les responsables des Archives multiplient les efforts pour trouver un mécène et finissent par obtenir une réponse favorable de la Banque de France. Un compromis est trouvé avec les propriétaires, qui acceptent de céder les écrits pour 8,5 millions d’euros. Après qu’elle a été déclarée « œuvre d’intérêt patrimonial majeur » le 22 octobre 2014, un avis d’appel au mécénat d’entreprise est publié au Journal officiel le 12 décembre 2014.
C’est ainsi que le 6 février, le ministère de la Culture et de la Communication annonce l’acquisition par l’État, grâce au mécénat de la Banque de France, des écrits de Turgot au profit des Archives nationales. L’ensemble des acteurs se félicite que ce fonds exceptionnel reste en France. « Ces quatre années, souvent douloureuses, toujours tendues, finalement récompensées, resteront sans doute ce que j’aurais eu de meilleur dans ma vie d’expert », conclut Frédéric Castaing.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°429 du 13 février 2015, avec le titre suivant : Comment les manuscrits de Turgot sont restés en France

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