Désacralisés, dénaturalisés, les étalages de « fast-food » de Claes Oldenburg donnent aux salles du MoMA des allures de cafétéria.
NEW YORK - C’est en 1960 qu’Oldenburg (né en1929) réalise ses premières installations, qu’on nomme encore « environnements ». The Street (La Rue), reconstituée par le MoMA, fut exposée à la Judson Gallery, un lieu alternatif situé dans le Village à New York. Pris en charge par Oldenburg et Jim Dine, qui se donnent le statut d’un collectif d’artistes nommé Ray-Gun, cet endroit permet une liberté totale de programmation. Pour l’occasion, la galerie était jonchée d’objets déformés et parfois informes, posés ou accrochés au milieu d’une pièce où se déplaçaient les visiteurs. Faits en plâtre, carton, toile de jute ou papier mâché, ils sont banals, quotidiens, immédiatement reconnaissables et proposent des visions du paysage urbain dans leurs métamorphoses pleines d’incertitudes (Oldenburg parle de « métaphore de l’indigence »). Cette présentation qui réduit l’écart entre l’art et la vie, qui limite la distance séparant le spectateur de l’œuvre, devient en toute logique le cadre pour des nombreux happenings organisés par Allan Kaprow, Robert Whitman, Jim Dine et Oldenburg lui-même (Snapshots from the City [Instantanés de la Ville], 1960). La fascination d’Oldenburg pour l’art populaire et pour les réalisations de la publicité trouve toute son ampleur avec son œuvre emblématique : The Store (Le Magasin, 1961), véritable coup d’envoi du pop art. De fait, l’artiste remplit une boutique qu’il loue en voisin sur la 2e Rue de répliques en plâtre aux couleurs criardes, d’articles bon marché en vente dans les vrais magasins du Lower East Side. Il ne s’agit pas de ready-made, mais de véritables œuvres d’art faites à la main qu’Oldenburg propose dans cet atelier-magasin ouvert au public. Disproportionnés, extraits de leur contexte, les objets ne sont ni glorifiés, ni sacralisés, mais mis à distance ; détournés de leur fonction, présentés dans des situations ambiguës, ils apparaissent sous un nouveau jour, parfois d’une inquiétante familiarité. « Mon travail est l’objectivation de mes relations avec le monde », écrit Oldenburg.
L’audace du quotidien
Mais les modifications ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Sculpteur avant tout, il refuse l’équation consacrée : volume = consistance dure. Ses œuvres molles, en tissu de polyuréthane cousu et bourrées de mousse synthétique, inaugurent une nouvelle sensation tactile, plus organique. Avec ces gadgets ironiques (ou monstrueux), Oldenburg constitue l’inventaire de la civilisation de consommation, agrandit à l’échelle monumentale, remplace un respect idolâtre par une pointe d’humour, de dérision, voire même par une certaine vulgarité. Dans cette iconographie du banal, il emploie les produits alimentaires comme un ensemble de signes qui renvoient à la réalité la plus élémentaire. Son choix porte essentiellement sur les stéréotypes locaux, l’équivalent du steak frites français : hot-dogs, ice-creams ou autres hamburgers (Two Cheesburgers, with Everything, 1962, Pastry Case, 1961). Célébrée par la littérature et surtout par le cinéma, partagée théoriquement par tout un chacun, cette alimentation reste le signe le plus visible, l’illusion en prime, du « grand rêve américain ». Égalité des chances donc, celles qui permettraient de casser la même croûte, mais aussi formidable liant du fameux melting-pot (pot-au-feu ?), cet emblème alimentaire des États-Unis. Difficile, en effet, de proposer un code plus accessible à un public non averti, un meilleur dénominateur commun entre un émigré slovaque de seconde génération (Warhol) et un autre, plus récent, de Suède (Oldenburg). Comme toujours avec le pop art, on hésite entre fascination et répulsion. Alors goinfres, les Américains ? Peut-être, mais, comme le remarque Roland Barthes : « La nourriture n’est pas seulement une collection de produits... C’est aussi et en même temps un système de communication, un corps d’images, un protocole d’usages, de situations et de conduites ». C’est sans doute cette salle à manger bien garnie, voire une épicerie dont les étagères croulent sous le poids de différentes denrées, qui est la partie la plus impressionnante de l’exposition, très complète et très documentée. The Street, en revanche, souffre paradoxalement d’une présentation irréprochable, trop lisse, qui ne permet pas d’y voir « la fange et le tourbillon anonymes des événements urbains » (Kaprow).
Commissaires : Ann Temkin, conservatrice en chef au MoMA
Nombre d’œuvres : 90
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La métaphore de l’indigence d’Oldenburg
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 5 août, MoMA, 11 West 53 Street, New York, (États-Unis), tél. 1 (212) 708-9400, www.moma.org, tlj 10h30-18h, le vendredi jusqu’à 20h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°392 du 24 mai 2013, avec le titre suivant : La métaphore de l’indigence d’Oldenburg