PARIS
Le président du conseil d’administration des Beaux-Arts de Paris, Frédéric Jousset, détaille le plan d’action de l’École.
Coprésident fondateur de Webhelp, une société qui gère des centres d’appels (10 000 salariés, CA 200 millions d’euros), Frédéric Jousset (42 ans) est un passionné d’art. Grand mécène du Louvre, il préside depuis octobre 2011 le conseil d’administration de l’Ensba (l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris).
Jean-Christophe Castelain : Vous avez été nommé par le président de la République, comment avez-vous été choisi ?
Frédéric Jousset : J’ai rencontré Henry-Claude Cousseau, l’ancien directeur de l’école, à la commission des acquisitions du Louvre où nous siégeons tous les deux. Nous nous sommes bien entendus et il m’a recommandé auprès de Frédéric Mitterrand qui m’a reçu et demandé ma vision pour l’école. J’ai à mon tour été sollicité sur le choix du remplaçant d’Henry-Claude, et j’ai fait part de mes préférences au cabinet du ministre quant aux qualités et aux expériences que devait posséder le directeur. Fort du lancement réussi du Palais de Tokyo, de sa notoriété internationale, de son expérience à la Tate, Nicolas Bourriaud était à l’évidence un très bon choix.
J.C.C. : Quelles sont vos attributions formelles et informelles ?
F.J. : Je préside le conseil d’administration et à ce titre, j’en garantis le bon fonctionnement, et je veille au respect de la contribution de chacun de ses membres. Le conseil doit être un lieu de débat et d’orientation pour les choix stratégiques de l’école, et assure un contrôle précis de la procédure budgétaire et de son suivi. En dehors de ces trois réunions par an, je suis un des ambassadeurs de l’école et je m’efforce d’en assurer son rayonnement, j’essaye d’apporter des idées dans la continuité de mon expérience d’entrepreneur, et je participe activement à la recherche de nouvelles ressources financières, facteur clef de son projet de développement. Cela me conduit à voir fréquemment Nicolas Bourriaud et ses équipes.
J.C.C. : Comment avez-vous appréhendé les forces/faiblesses de l’école ?
F.J. : Nous avons demandé au cabinet Roland Berger, conseil en stratégie avec une équipe de trois personnes à notre disposition, d’établir un bilan du rayonnement international de l’école. L’étude est en cours, mais 80 % des données ont été présentées au CA en mai dernier. Le cabinet a recensé les artistes mondiaux qui comptent en ce moment – il y en a environ 2 500– et identifié leur formation initiale. Même si ce classement, comme celui de Shanghaï, comporte une part d’aléa, Il apparaît que l’école est à la 15e place par le nombre d’artistes figurant dans cette liste . C’est à la fois bien, car on se situe dans le top 20 mondial, et perfectible étant donné les atouts de l’école : l’image et la localisation au cœur de Paris, les espaces d’exposition et les collections uniques de l’Ensba, un savoir-faire pédagogique tricentenaire, un réseau d’anciens professeurs et élèves encore de premier plan...
J.C.C. : Quels sont les domaines d’amélioration ?
F.J. : L’enseignement et la pédagogie sont uniquement en français de sorte que l’on a des difficultés à attirer des étudiants qui ne parlent pas notre langue. Nous n’avons aucun élève anglo-saxon. L’Ensba ne s’est pas mis au diapason des grandes écoles d’ingénieur ou de commerce dont l’enseignement se fait en grande partie en anglais. Même notre site web est uniquement en français ! Par ailleurs, il n’y a encore que 40 % de nos élèves qui font un séjour à l’étranger. Aujourd’hui, pour se constituer un œil, capter des tendances, comprendre le mécanisme de diffusion des œuvres, pour éventuellement être repéré, trouver une résidence, il est indispensable d’aller à l’étranger. Nous avons des promotions de cent étudiants, et l’on sait que seulement cinq à sept d’entre eux arriveront à vivre de leur art. Nous sommes dans la moyenne basse des écoles d’art de premier plan. Autant la formation esthétique, et technique est de très haut niveau chez nous, autant la formation concernant « l’après école » (travailler avec un galeriste, savoir présenter son travail, parler anglais…), est encore perfectible. Là aussi les grandes écoles nous montrent le chemin en gardant le contact avec leurs anciens diplômés. À l’Ensba une fois un étudiant diplômé, on ne le revoit plus. De manière symbolique, il n’y a pas d’annuaire des anciens élèves. C’est un chantier à travailler.
J.C.C. : Pourquoi avoir ressuscité le bal des Quat’z’Arts ?
F.J. : C’est très important ! L’étude de Roland Berger montre que beaucoup de grandes écoles d’art réussissent à se mettre au centre de leur scène artistique en créant un événement qui les ouvre sur l’extérieur. C’est l’occasion de réunir nos anciens, faire des concours par ateliers, et inviter les parisiens dans l’école. La première en juin dernier a été un grand succès avec plus de 1 500 participants ! L’Ensba a été assez peu visible ces dernières années en terme de communication, de même, les parisiens ne pénètrent que rarement dans l’école qui est plutôt un enclos, avec une barrière et un gardien. Nous avons pour 2013 un projet de cafétéria qui serait dans la journée un lieu de rassemblement pour les étudiants et les professeurs – lieu qui n’existe pas aujourd’hui – afin de développer une atmosphère de campus, et le soir un lieu ouvert aux parisiens. Il s’agirait d’une installation précaire. Elle serait logée dans la cour Napoléon à la place des voitures et le design en serait confié à un artiste. De même, nous allons faire renaître une autre tradition, le gala des Beaux-Arts qui accueillera le 17 octobre prochain la soirée d’ouverture de la Fiac. Nous attendons 3 000 personnes. Nous voulons mettre l’école au centre de la scène artistique française.
J.C.C. : Quelle est la menace principale qui pèse l’école ?
F.J. : Il s’agit avant tout de menaces physiques sur le bâtiment et les collections. On a des conditions de conservation qui ne sont pas du tout aux normes. C’est pourquoi les installations électriques, ainsi que plusieurs ateliers, vont prochainement bénéficier de travaux pour un coût de 3 millions d’euros financés sur notre fonds de roulement. Il nous faut trouver un lieu secondaire d’archivage, non par crainte d’inondations car nous sommes en hauteur par rapport à la Seine, mais en raison d’un risque incendie. Le projet de réserve des musées à Cergy, ou tout autre piste, devient urgent. Subsidiairement, nous devons procéder au récolement des collections comme la loi nous y oblige tous les dix ans et qui n’a pas été fait. La restauration des façades de l’Hôtel de Chimay terminée, le prochain défi est le nettoyage de la cour du Mûrier. Les études et le chiffrage sont faits, reste à trouver le mécénat.
J.C.C. : Justement, comment augmenter vos ressources propres ?
F.J. : C’est évidemment une priorité, même si l’État s’est engagé à sanctuariser pour les trois années qui viennent les 7 millions de subventions qu’il nous verse (sur un budget de 10 millions). Il est possible de faire mieux dans plusieurs directions. Nous pouvons augmenter les tarifs de location de nos espaces qui ne sont pas assez élevés, compte tenu de du caractère unique des lieux. Nous voulons accorder une exclusivité annuelle à un seul couturier en contrepartie d’un prix plus important. Il est également prévu d’augmenter la prospection pour la taxe d’apprentissage. Les recettes ont doublé cette année et je compte en faire autant en 2013. Puis, développer le sponsoring est dans nos projets : proposer des offres packagées, associer un partenaire à la cafeteria. Il faudrait enfin faire passer le nombre d’Amis de deux cents à plus de mille. Ouvrir l’école l’été à des séminaires payants destinés aux étudiants étrangers, principalement américains, qui ont l’habitude de payer 3 000/4 000 dollars pour de l’Executive Education, pourrait nous ramener entre 0,5 et 1 million d’euros par an. Nous envisageons de constituer une filiale de droit privé pour produire et commercialiser ces nouveaux produits avec la flexibilité qu’ils requièrent, en marge de notre mission prioritaire de service public.
J.C.C. : Quelle est la mission du fonds de dotation que vous venez de créer à titre personnel avec le Louvre ?
F.J. : Je me suis engagé à verser personnellement 1 million d’euros sur huit ans afin de financer des actions en faveur des publics dits empêchés (par l’âge, la maladie, le handicap, la détention), sur la base d’une première action réussie : le Louvre dans les prisons. Ce sont des conférences d’histoire de l’art destinées aux prisonniers de la Santé. La démocratisation de l’art est le grand enjeu des prochaines années.
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Frédéric Jousset - « Nous voulons mettre l’Ensba au centre de la scène »
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°374 du 7 septembre 2012, avec le titre suivant : Frédéric Jousset - « Nous voulons mettre l’Ensba au centre de la scène »