PARIS - Singulière sensation que produit l’œuvre du sculpteur belge Didier Vermeiren : celle d’une familiarité, d’une évidence.
Ce n’est pas qu’on l’ait vu beaucoup à Paris, puisque, avant celle qui lui est consacrée cet été à la Maison rouge, il faut remonter à l’exposition du Musée Bourdelle en 2005-2006. Il s’agit bien plus du fait de l’œuvre elle-même, et de cette manière qui lui appartient d’avoir métabolisé l’héritage de la modernité de la sculpture. On y retrouvera le panthéon moderne élargi, Canova, Rodin, Brancusi, David Smith, mais aussi une filiation à l’art conceptuel, claire dans le jeu de certains titres, ou encore un écho au process art des années 1960, voire à l’Arte povera… De quoi faire perdre sa boussole à l’historien ! Et nourrir chez d’autres une synthèse kitsch ou postmoderne, ou au mieux une rhétorique savante. Mais cela devient tout autre chose chez Vermeiren. Les relations à l’histoire, en forme d’allers et retours, d’anachronismes, se lisent aussi à travers les emprunts aux traditions et aux problématiques essentielles de la sculpture (statuaire/sculpture ; plein/vide ; statisme/dynamisme ; figure/construction…). Mais au bout de cette exigence formelle, formaliste même, il y a une prégnance du sensible, qui passe largement devant la reconnaissance référentielle. Un trait central, auquel l’artiste est fidèle à l’échelle de l’ensemble de son parcours, et que la présente exposition souligne en deux groupes de travaux, plus un.
Des socles qui font «figure»`
Attentif à l’espace (mais non au contexte, précise-t-il, loin de l’in situ et avec un attachement certain à une forme d’autonomie de la sculpture), Vermeiren a réuni neuf sculptures disposées dans une première salle. Leur mise en place, leur disposition par jeu de fausse symétrie et de renvoi, tient de la composition d’ensemble. Datées de 1995 à 2010, les œuvres sont toutes, à l’exception de la plus récente, conçues sur le principe de la superposition socle/volume. Mais les socles eux-mêmes font figure. Ainsi avec Terrasse #1 (2010) qui ouvre le parcours et toute la salle : une simple dalle s’élevant à une petite vingtaine de centimètres du sol. Pensera-t-on à Carl Andre qu’aussitôt s’imposera une différence essentielle. La sculpture est en plâtre, certes. Mais elle est produite par moulage de son équivalent en terre crue, laissant voir donc, au travers de sa mutation matériologique, la trace du geste de coupe, au fil, bien loin de la coupe mécanique dans le métal. Et plus encore que la sensibilité matériologique, c’est sa situation d’ouverture de l’espace, du parcours proposé au visiteur qui marque. Le titre, emprunté à l’architecture, est une métaphorique mais évidente invitation à s’inscrire physiquement dans l’espace balisé par les huit autres pièces. Derrière, centrale, La Maison #2 (2009) prolonge la sollicitation à habiter. Mais cette fois, au statisme de la dalle d’ouverture répond un socle constitué de plaques d’un bois industriel sombre, posées avec légèreté mais précision. Un décalage qui produit un mouvement de vortex à l’échelle de la salle et des autres pièces. Quant au volume qui s’y trouve posé, il aurait le statisme d’un « Architectone » de Malevitch si la régularité de son volume n’était traversée par un mouvement qui déplace sa masse intérieure, qui la décale. Toutes les étapes du parcours sont ainsi articulées, entre elles et en elles, par jeu d’opposition et de pendant.
Équilibre instable
Le principe de contradiction dialectique joue encore dans le choix fait par l’artiste de présenter dans l’autre salle, située à une volée de marches en contrebas, non des formes érigées mais de ses mystérieux moules retournés (comme on retourne un gant) aux formes de socle classique. Moules disposés basculés, vides et offerts au regard, en équilibre visuellement instable, composant au centre de la salle une sorte de sarabande. Et bien sûr, c’est la forme de leur vide qui, avec leur titre (Monument à Victor Hugo [1998] ou Cariatide [1996 et 1997]), les rattache à l’histoire de l’art, donnant presque à toucher (la tentation tactile est présente dans tout le parcours) les monuments absents.
Entre les deux salles, Vermeiren montre des photographies, réalisées dans l’atelier dès ses débuts (l’artiste expose depuis 1974) et montrées depuis les années 1990. Les deux photos lenticulaires viennent par leur artifice titiller la sensation de l’espace perçu dans l’atelier. La grande série de vingt-sept vues qui enregistre le mouvement produit par l’artiste sur l’une des formes instables des sculptures de socle retournées, la transformant en fantôme de forme, introduit cette autre dimension dans laquelle travaille le sculpteur, celle de la temporalité. Condition de la sculpture dans la perception qu’en a l’œil, elle importe à l’artiste qui ainsi choisit clairement son camp : s’il produit incontestablement des objets, stables et durables, c’est du côté du vivant qu’il entend emmener son art. Et il y parvient magistralement.
- Nombre d’œuvres : 16 sculptures, 32 photographies
Jusqu’au 23 septembre, la Maison rouge, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81, du mercredi au dimanche 11h-19h, www.lamaisonrouge.org
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Vermeiren : sculpter la sculpture
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Abonnez-vous dès 1 €Vue de l'exposition Didier Vermeiren, sculpture-photographies - Maison Rouge - Paris - © Photo Marc Domage
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°373 du 6 juillet 2012, avec le titre suivant : Vermeiren : sculpter la sculpture