Art moderne

Vlaminck, l’après-midi d’un fauve

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 26 février 2008 - 1152 mots

Jeune lion dans la « cage aux fauves» du Salon d’automne de 1905, le peintre a participé avec Derain, son compère, à cette aventure artistique, avant de s’en écarter en 1914. Et de perdre sa notoriété.

Toute définition générale et toute assemblée qui décide m’écœurent. La beauté, je vois ça comme une espèce de précipice. Lorsqu’on décide qu’il faut être plusieurs pour le franchir, ça ne va pas. » Cette déclaration péremptoire de Maurice de Vlaminck relève soit de la provocation, soit de l’amnésie.
Figure majeure du fauvisme, il doit en effet au petit groupe d’artistes réunis par Matisse au Salon d’automne de 1905 d’avoir mis le pied à l’étrier de l’histoire de la peinture. C’est dire s’il a bel et bien participé à une « assemblée » quand bien même celle-ci n’a duré qu’un temps très court et que lui-même en a pris rapidement ses distances.

Son compère Derain le présente à Matisse lors d’une exposition Van Gogh
Né à Paris dans un milieu d’artistes – son père était professeur de violon et sa mère de piano –, Maurice de Vlaminck est le second d’une famille de cinq enfants qui s’installe en 1879 au Vésinet, là même où il passera son enfance. Très indépendant de caractère, il ne montre guère de goût pour les études, sauf pour la lecture, et se contente de passer le certificat d’études.
S’il collectionne les chromos et s’amuse à les copier, sa véritable passion est la bicyclette ; et, à partir de 1895, il participe à des compétitions réussissant à en faire un petit gagne-pain. Dans le même temps, Vlaminck commence à peindre, se marie et s’installe à Nanterre.
En juin 1900, alors qu’il est militaire, il rencontre André Derain lors du déraillement du train Paris-Saint-Germain. Dès lors, les deux compères ne se quittent plus. L’année suivante, leur amour commun pour une peinture vive et colorée les décide à s’installer ensemble à Chatou pour travailler à la rénovation de la peinture de paysage dans l’endroit qui jouxte l’auberge du père Fournaise, et qu’ont délaissé leurs aînés impressionnistes.
Cette année-là, à Paris, on pouvait voir à la galerie Bernheim une exposition organisée à l’occasion du dixième anniversaire de la mort de Van Gogh. Ils ne manquent pas de s’y rendre. Ils y rencontrent Henri Matisse que Derain connaît bien. Il lui présente Vlaminck.
Le souvenir de cette rencontre relaté par Matisse est très évocateur : « Je vis Derain accompagné d’un
garçon d’allure gigantesque qui, d’une voix autoritaire, criait son enthousiasme. Il disait : “Tu vois, il faut peindre avec des cobalts purs, des vermillons purs, du Véronèse pur.” Je pense encore que Derain avait un peu peur de lui. Mais il l’admirait pour son enthousiasme et sa chaleur. »

Apollinaire dit de la peinture de Vlaminck qu’elle est « une joyeuse kermesse »
Tout est dit, tant du caractère de Vlaminck que de la relation entre les deux amis ; tout est dit aussi de ce qui les distinguait : l’un, naturel et instinctif ; l’autre, réfléchi et intellectuel. Il existe un portrait photographique de Vlaminck daté de 1899 qui en dit long sur l’individu. Il est représenté de face, plein buste, habillé d’une simple veste de toile, la cigarette au coin des lèvres, une casquette de travers sur la tête laissant paraître une petite mèche rebelle. Son visage, massif, est taillé à la hache, et le regard perçant. Vlaminck a tout d’un ouvrier qui affirme ses partis pris. Un vrai héros de Zola.
D’une étonnante vitalité, Maurice de Vlaminck, qui fréquente les milieux anarchistes et collabore plusieurs années au Libertaire, est animé d’un irrésistible besoin d’expression. Passionné de littérature, il publie deux romans coup sur coup – D’un lit dans l’autre en 1902 et Tout pour ça en 1903 –, tous deux illustrés par André Derain, tout en se consacrant corps et âme à la peinture.
Ses premiers tableaux qui portent l’empreinte de Van Gogh ne cachent pas sa volonté de libérer la couleur en s’appuyant sur des sujets et des motifs les plus modestes, les plus quotidiens, voire les plus misérabilistes qui soient. L’été 1904, les deux artistes travaillent dans une collaboration intense. Vlaminck qui se définit volontiers comme le peintre de la banlieue, des maisons claudicantes, des arbres et des bistrots peinturlurés, développe alors une peinture dont Guillaume Apollinaire dit qu’elle est « une joyeuse kermesse ». Matisse l’encourage à présenter ses œuvres au Salon des indépendants ; il y effectue sa première vente, Les Bords de la Seine à Nanterre.
Lorsque ce dernier qui participe à l’organisation du Salon d’automne a l’idée de réunir dans une même salle un certain nombre d’artistes qui travaillent dans le même sens, il y convie bien évidemment Vlaminck. On connaît la suite, et l’exclamation proférée par le critique d’art Louis Vauxcelles qui débouche sur l’appellation de « la cage aux fauves », puis sur le néologisme « fauvisme ».
Le scandale défraye la chronique et pénalise les artistes en attente de reconnaissance. Suite au
Salon des indépendants de 1906, Vlaminck rencontre Ambroise Vollard qui a le coup de foudre et lui achète la majeure partie de son atelier.

Peu à peu, la couleur perd de son éclat pour la composition et la structure
Curieusement, l’amélioration de sa situation financière va progressivement encourager le peintre sur un nouveau terrain esthétique. En effet, dès 1907-1908, Maurice de Vlaminck s’éloigne nettement du fauvisme pour se tourner vers des préoccupations davantage construites. Ses peintures ne perdent pas de vigueur, mais elles cèdent peu à peu le pas à la composition et à la structure. Comme s’il avait conduit la peinture à un tel degré de fusion colorée et qu’il ne pouvait plus en supporter l’aveuglement. Comme si le temps de la couleur laissait sa place à celui de la forme. Comme si le temps de Vincent Van Gogh était épuisé et qu’advenait maintenant celui de Cézanne.
En cela, l’art de Vlaminck est emblématique des deux grandes tendances, fauve et cubiste, de la peinture au début du xxe siècle : après l’instinct fauve, la réflexion construite.

Autour de l’exposition

Informations pratiques.
« Vlaminck. Un instinct fauve », jusqu’au 20 juillet 2008. Commissariat : Maïthé Vallès-Bled. Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, Paris VIe. Métro : Saint-Supplice, Odéon. Ouvert du lundi au samedi de 10 h 30 à 19 h, lundi et vendredi jusqu’à 22 h, et de 9 h à 10 h le dimanche. Tarifs : 11 € et 9 €. Tél. 01 42 34 25 95.
Visiter l’atelier de Derain, à Chambourcy.
Vlaminck et Derain se rencontrent alors qu’ils rentrent à Chatou, où ils travaillent tous les deux. Si, pour des raisons pécuniaires, Vlaminck reste dans la vallée de la Seine jusqu’en 1925, son ami fauve change plusieurs fois d’atelier. En 1935, André Derain acquiert finalement une propriété à Chambourcy et s’y s’installe. Un dimanche par mois, cette demeure privée continue d’ouvrir les portes de l’atelier resté intact.
maisonderain.free.fr

Malgré l’insistance de ses amis fauves, Vlaminck s’est longtemps refusé à se rendre dans le Midi pour aller y peindre coloré. Derain avait beau lui vanter la lumière et les paysages de Collioure, de Cassis ou de l’Estaque, il ne jurait que par la grise banlieue parisienne. Il y puisait goulûment ses motifs : routes solitaires, maisons simplement posées là et comme abandonnées, bords de rivière sans pittoresque particulier. Dès le début des années 1910, cette tendance va en s’accentuant et l’artiste se met à multiplier des compositions non seulement plus construites, mais aux tons plus sombres. Comme s’il voulait prendre le contre-pied du fauvisme.
« Ce que je voulais peindre, c’était l’objet lui-même »
En 1914, l’amitié de Derain et de Vlaminck est consumée. Tout les oppose désormais, non seulement la guerre les sépare mais surtout leur attitude au travail. Vlaminck semble désabusé par l’emploi de la couleur pure et se montre soudainement plus sensible à l’influence de Cézanne et du cubisme. Il s’isole et s’installe à « La Tourillière », à Rueil-la-Gadelière, au fin fond de l’Eure-et-Loir, peint des paysages de plus en plus ravagés, aux tons rompus, dont la violence des empâtements n’est pas sans rapport avec l’expressionnisme allemand. Vlaminck doute, il se cherche. « Ce que je voulais peindre, dit-il, c’était l’objet lui-même avec son poids, sa densité, comme si je l’avais représenté avec la matière même dont il était formé. » De fait, ses tableaux offrent à voir des surfaces riches, voire lourdes en matière. Aux couleurs acidulées de naguère succèdent des bistres, des rouges brunâtres, des marrons, des noirs. Sa gamme s’assombrit de plus en plus. Son Passage à niveau, le 14 juillet de 1925 en est un éclatant témoignage. Ce thème, qui appelle ordinairement couleurs vives et festives, trouve étrangement chez lui une accentuation morose et sombre dans un jeu d’ombres dures et une lumière résolument basse. Ce changement brutal de ton et de manière nuira à sa réputation et à sa notoriété. Dès lors, sa peinture est moins réclamée et sa cote accuse une franche dépression.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°600 du 1 mars 2008, avec le titre suivant : Vlaminck, l’après-midi d’un fauve

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