Art contemporain

À Nîmes

Un Carré en mouvement

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2013 - 976 mots

L’architecte et concepteur du Carré d’art, Norman Foster, célèbre les 20 ans du musée d’art contemporain nîmois en exposant ses propres passions et obsessions.

 Il y a deux manières de visiter « Moving. Norman Foster on Art », au Carré d’art à Nîmes. L’une, « traditionnelle », incitera le visiteur à lier entre elles les œuvres et la succession des salles d’un point de vue autant esthétique qu’intellectuel. L’autre consiste à oublier ces considérations et à se laisser porter par les rapprochements parfois singuliers – voire hasardeux à première vue – effectués entre les travaux exposés. La seconde option est ici conseillée, faute de risquer d’y perdre, si ce n’est son latin, du moins sa grammaire artistique ! « En matière d’art, je n’ai aucune aspiration ou prétention académiques, si bien que je suis libre de faire toutes sortes de choix ou d’enchaînements visuels », affirme sans ambages Norman Foster dans un entretien avec le directeur des lieux, Jean-Marc Prévost, publié dans le catalogue accompagnant la manifestation.
Pour marquer le vingtième anniversaire du musée d’art contemporain nîmois, l’architecte britannique, concepteur du bâtiment auquel il est resté particulièrement attaché – car il est l’une de ses premières constructions muséales –, a été convié à penser librement un accrochage. Celui-ci, au-delà des salles d’expositions temporaires, s’épanche dans les espaces dévolus à la collection permanente.
L’entreprise est donc vaste, et son principal protagoniste s’est livré à l’exercice non pas à travers un projet construit mais selon une approche émotionnelle et sensitive. Le titre « Moving », outre qu’il évoque ces composantes, essentielles à ses yeux, du dynamisme et du mouvement, très présents en effet dans le parcours, signifie également « émouvant », ce qui souligne la dimension affective mise dans l’opération. Car Foster est aussi collectionneur, et si ce ne sont pas là des pièces en provenance de sa propre collection qu’il a exposées, nombre des artistes présentés – les plus jeunes en tout cas – font partie de son univers proche ; il estime que leurs travaux « enrichissent réellement la vie de notre famille et celle de nos amis qui nous rendent visite ».

Perceptions de l’espace
Les questions de méthode étant posées, de quoi est donc faite cette exposition ? Pour qui imagine y trouver des préoccupations liées à l’architecture, la déception sera grande. Seule une œuvre sonore, commandée pour l’occasion, évoque une forme bâtie. Resonating Silences (2013), de l’Américain Bill Fontana, a trait à l’édifice lui-même ; elle donne à entendre les bruits qu’il génère remixés avec des chants d’opéra, rappelant que s’élevait à cet emplacement le théâtre de la ville, détruit par un incendie en 1952. Il y est en revanche beaucoup question d’espace, et des perceptions fort différentes de cette notion ; c’est là que l’entreprise interpelle.
Deux idées fortes traversent en effet l’exposition : l’abstraction au sens large – puisque celle-ci touche également à la figure, dans une belle série de sculptures de Hans Josephsohn –, ainsi que le mouvement, qui, bien souvent, lui apparaît lié. En grand collectionneur de voitures, Foster s’intéresse depuis toujours aux problématiques liées à l’aérodynamisme. Elles apparaissent ici notamment dans une installation d’Iñigo Manglano-Ovalle, Bird in Space MACH 3 (2012). L’artiste s’est fondé sur la forme de L’Oiseau dans l’espace de Brancusi pour cette sculpture qui en est formellement très proche et qui, transcrite en vidéo ou en photo, évoque les apparitions furtives d’un engin spatial.

Notion d’immatériel
La conjonction des thèmes du mouvement et de l’abstraction s’inscrit dès la première salle, qui s’ouvre sur la sculpture en bronze d’Umberto Boccioni, Formes uniques de continuité dans l’espace (1913). Tout en signant son engagement dans le courant du futurisme italien et ce qu’il porte d’ode à la vitesse, ce chef-d’œuvre révèle, en fonction des différents points de vue adoptés, des masses mouvantes plus ou moins définissables aux nombreuses lignes de fuite et perspectives. Lui font face des tableaux récents de Miquel Barceló, des peintures toutes blanches dont la surface ondulante rapellent le mouvement marin, l’une d’entre elles étant d’ailleurs intitulée Ressac (2012). Face à Boccioni, elles introduisent en outre une notion d’immatériel, récurrente dans le parcours à travers notamment les sculptures en toiles d’araignée de Tomás Saraceno. Mais aussi à travers la sensation d’une disparition progressive de la couleur, dont elle est pourtant la composante essentielle des tableaux de Prudencio Irazabal ou de Gotthard Graubner, d’ailleurs pas tous des chefs-d’œuvre…
Une belle salle toute en mouvements optiques permet de redécouvrir les sculptures du collectif espagnol Equipo 57 – qui œuvra brièvement à la fin des années 1950 – judicieusement associées aux peintures aux relents cinétiques de Philippe Decrauzat et de Terence Haggerty. Elle est ponctuée par une Surface infinie sous la forme d’une colonne (1953) de Max Bill : des lignes de fuite, toujours…
Reste que l’approche sensitive montre toujours à un moment donné ses limites. Réunir dans un même espace deux Calder face à des tableaux de Max Bill et de Josef Albers nécessite de laisser aux tableaux de l’espace pour respirer au lieu de les comprimer sur le mur. Très difficile est également une salle où s’accordent bien mal Olivier Mosset et Barbara Mungenast, même s’ils ont tous deux produit des cercles. Jason Martin et Callum Innes ont de leur côté peu à se dire, bien que tous deux travaillent la surface du tableau ; au milieu de cela, un beau Toni Grand semble faire l’arbitre et agonise !
Mais n’avait-il pas été conseillé en préambule de visiter cette exposition en remisant sa logique artistique au vestiaire ?

MOVING. NORMAN FOSTER ON ART

Commissaire : Norman Foster, avec Jean-Marc Prévost, directeur du Carré d’art Nombre d’artistes : 63

Nombre d’œuvres : 147

jusqu’au 15 septembre, Carré d’art – Musée d’art contemporain, place de la Maison-Carrée, 30000 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, carreartmusee.nimes.fr, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, coéd Carré d’art/Ivorypress, 424 p., 88 €.

Légende photo

Umberto Boccioni, Formes uniques de continuité dans l’espace, 1913, bronze, 111 x 88 x 40 cm,collection particulière. © Photo : Filippo Simonetti.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Un Carré en mouvement

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