Au Carré d’art, l’artiste suisse déploie un paysage mental qui plonge le visiteur dans un rapport à la fois perturbé et nourricier aux cycles naturels et vitaux.
NÎMES - Il y a longtemps qu’Ugo Rondinone est passé maître « es atmosphères », et l’exposition qu’il a composée à Nîmes pour le Carré d’art le confirme, brillamment. Le terme « atmosphère » s’entend ici dans cette capacité à créer un univers, un contexte autonome qui, le temps de la visite, va littéralement capturer le spectateur, l’enfermer dans une bulle, hors de l’espace et du temps qui sont habituellement les siens.
Le temps pourtant est une composante essentielle de son œuvre, comme le rappellent opportunément cinq horloges dispersées en plusieurs endroits du parcours. Exécutées en verre, ornées de couleurs diverses, elles sont parfaitement intégrées dans les murs qui les accueillent. Mais elles ont perdu leurs aiguilles, et les chiffres romains qui indiquent les heures adoptent des positions à chaque fois différentes. Manière d’insister subtilement, grâce à ces interversions, sur le passage du temps, les changements qu’il induit, la différence des cycles, et donc la possibilité pour chacun d’évoluer en fonction de son horloge propre. Afin de renforcer l’immersion du visiteur et sa déconnexion d’avec son environnement, un travail de nature architecturale a été effectué dans les lieux pour y ajouter des parois destinées à occulter tous les espaces secondaires, mais aussi et surtout les ouvertures vers l’extérieur, qui n’existent plus qu’à travers deux des horloges justement. L’ensemble contribue à créer un monde à part, un univers sans véritable référence à l’ici ou à l’ailleurs, dans lequel on voudra bien se projeter et se laisser aller. Car la subjectivité de chacun se manifeste durant cette expérience de visite, et c’est bien ce qui fait l’intérêt de la proposition, que de se montrer suffisamment ouverte sur un plan à la fois iconographique et symbolique pour le permettre.
Le ciel et la terre
Dans les salles, c’est un vaste paysage, mental et onirique, qui se déploie, à partir d’éléments paysagers et animaliers pour l’essentiel, où sont convoqués le ciel et la terre. La terre qui d’emblée s’impose comme un référent, par le titre de l’exposition, « Becoming Soil » (« Devenir terre »), mais aussi avec cette œuvre installée dans le vestibule, consistant en une vaste étendue terreuse légèrement détachée du sol (Elevated Rectangle Landscape, 2016). Recouvert d’humus, ce volume obscur peut-il devenir fécond et, le temps passant, engendrer de lui-même un paysage, autonome lui aussi ? Ingénieuse est, de la part de l’artiste, cette manière de lier l’art, la nature et la vie à des potentialités qui se révèlent autant concrètes qu’abstraites, tout en interrogeant le visiteur sur la place qui peut être la sienne dans l’univers, et sur la manière pour lui d’y évoluer.
Ces questions vont se répéter au fil des salles avec l’alternance de sculptures et peintures, toujours réunies en série. Les premières sont des dizaines de petits bronzes figurant des oiseaux, des chevaux ou des poissons suspendus, qui tous ont pour source un modèle iconographique ancien, ce que rappellent leurs titres : Primitive (2012), Primal (2013), Primordial (2016). Les secondes représentent des ciels bleutés à la tonalité de plus en plus dense au fur et à mesure que s’élève le regard, d’immenses paysages dessinés à l’encre de Chine ou des visions cosmiques, des nuits étoilées exécutées à l’aide de sable pulvérisé sur de la peinture noire : autant de paysages qui toujours, chez Rondinone, ont la faculté d’être captivants.
Discrète, une dernière œuvre en fin de parcours consiste en un zéro en métal inscrit dans le mur, d’où s’échappe de l’encens. La symbolique est parfaite, la boucle est bouclée, un cycle holistique qui est à la base de toute l’exposition s’achève, un autre commence, peut-être…
Commissaire : Jean-Marc Prévost, directeur du Carré d’art
Nombre d’œuvres : une trentaine
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Ugo Rondinone, en boucle
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Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 19 septembre, Carré d’art-Musée d’art contemporain, place de la Maison-Carrée, 30000 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, carreartmusee.nimes.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, entrée 5 €. Catalogue à paraître, coéd. Carré d’art, Nîmes/Hatje Cantz, Berlin, 80 p., 40 €.
Légende Photo :
Ugo Rondinone, Primordial, 2016, et au fond de la salle : Blue white blue clock, 2013, vues de l'exposition au Carré d'art, Nîmes. © Photos : S.Altenburger
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°462 du 2 septembre 2016, avec le titre suivant : Ugo Rondinone, en boucle