TOURCOING
Avec « Poétique des sciences », le Fresnoy inaugurait en 2017 un cycle dédié à la représentation de la nature dans une époque qui la voit singulièrement menacée.
« Le laboratoire de la nature » en constitue le troisième volet, le plus historique. L’exposition se veut en effet un hommage à William Henry Fox Talbot, un scientifique anglais qui fut entre autres botaniste et inventeur d’un procédé photographique : le calotype. Elle éclaire à ce titre les liens qui unissent l’histoire des sciences à celles des techniques à la lueur d’un corpus d’œuvres contemporaines, dont certaines s’inspirent directement des travaux de Talbot. Grâce aux prêts du Muséum d’histoire naturelle de Lille, « Le laboratoire de la nature » jette d’abord un regard rétrospectif sur la manière dont la photographie transforme la représentation du règne animal. Le parcours s’ouvre ainsi sur une série d’oiseaux naturalisés et de planches animalières, soit deux procédés mobilisés à l’âge classique pour décrire et classifier les espèces. Se glisse déjà dans ce cabinet de curiosités une œuvre de Mark Dion, The Aerial Realm, où figure, au milieu de silhouettes d’oiseaux, un avion. Dès le seuil de l’exposition, les dessins et installations de l’artiste américain soulignent l’ambivalence du savoir scientifique : coïncidant avec les débuts de l’Anthropocène, l’émergence des sciences naturelles signe l’empire croissant de l’homme sur le monde animal. Plongées dans une obscurité métaphorique de la camera obscura, les œuvres qui jalonnent la suite du parcours suggèrent toutes cette ambivalence. Chez Patrick Van Caeckenbergh, elle se lit dans l’application du dessin naturaliste à répliquer l’image photographique – signe d’une médiation par ce média désormais incontournable. Chez Anaïs Boudot, elle s’affirme dans le processus complexe de révélation des formes dans le laboratoire photographique et, chez Anna Katharina Scheidegger, dans la relecture intime des rites perpétués par les habitants du Valais pour sauver leur glacier. Mais c’est surtout dans les installations d’Hicham Berrada et de Mat Collishaw que l’emprise de la médiation technique sur la nature s’affirme avec le plus d’évidence. Dans Mesk-ellil et Natural Process Activation #3 Bloom, le premier s’appuie sur la photosynthèse pour plier entièrement la végétation à ses expériences. Dans Thresholds, le second reconstitue la première exposition en 1839 à Birmingham des photographies de Talbot. Placées dans un cube blanc, les étagères où sont exposés les tirages ne sont visibles qu’avec un casque de réalité virtuelle. Façon de suggérer que les nouvelles technologies pourraient bien reléguer au passé la photographie comme moyen de représentation de la nature ?
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°721 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Technologies de la nature