Art moderne

Taeuber-Arp, vivre la création au quotidien

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 26 juillet 2007 - 790 mots

Peintre, sculpteur et décoratrice, Sophie Taeuber-Arp s’est appliquée dans son œuvre à décloisonner les différentes pratiques artistiques pour rapprocher l’art et la vie.

Au panthéon des femmes artistes, versant art moderne, Sophie Taeuber-Arp (1889-1943) occupe une place de premier choix. Quoiqu’encore mal connue, elle n’en est pas moins l’une des figures pionnières les plus innovantes de l’art abstrait ayant traversé, voire animé, les mouvements les plus inventifs de son temps. Considérée par ses pairs avec une grande attention, son œuvre préfigure aussi bien l’art concret que l’art sériel ou l’art minimal. Peinture, sculpture, architecture intérieure, arts décoratifs, chorégraphie… Sophie Taeuber-Arp a expérimenté les registres les plus variés de la création.

La rencontre avec Jean Arp
Née en 1889 à Davos-Platz (Suisse), orpheline de son père dès l’âge de deux ans, Sophie Taeuber a été élevée par une mère qui était très ouverte aux arts. Après des études à l’école des arts et métiers de Saint-Gall, puis à Munich et Hambourg, elle se fixe à Zurich en 1915 pour y enseigner le textile. Elle y rencontre Jean Arp, qu’elle épousera en 1922, et participe activement avec lui à la naissance et au développement de Dada, se produisant notamment comme danseuse au fameux Cabaret Voltaire, quartier général du nouveau groupe. Elle réalise alors des peintures abstraites géométriques de couleurs vives aux motifs de carrés et de rectangles disposés de manière orthogonale, ainsi que des broderies de même acabit.

Associée dès 1917 à la filiale suisse des Wiener Werkstätte, important atelier d’artisanat viennois, elle ne cesse de mettre ses talents à l’épreuve de toutes sortes de recherches plastiques, multipliant les travaux en commun avec Arp. Après avoir créé des marionnettes pour Le Roi Cerf, spectacle dadaïste, elle engage au cours des années 1920 un travail de peinture dont les formes géométriques semblent comme flotter dans l’espace de la toile, tout en déclinant par ailleurs nombre d’abstractions constructives.

Soucieuse de décloisonner au maximum le monde de la création, elle expose en 1920 avec le groupe Das Neue Leben (La Nouvelle Vie) qui ambitionne d’intégrer l’art abstrait dans la vie quotidienne. C’est ainsi qu’elle dessine des modèles pour Poiret, le grand couturier, et crée des meubles pour la villa des Schwaller – de grands théosophes – à Saint-Moritz. En 1925, elle se voit tout naturellement désignée comme membre du jury de l’Exposition internationale des Arts décoratifs qui se tient à Paris. Elle y retrouve la plupart des protagonistes de Dada avec lesquels elle entretient des relations suivies.

Vers une abstraction plus dure
L’obligation administrative pour Arp de séjourner à Strasbourg – question de visa – est l’occasion pour le couple de faire la rencontre des frères Paul et André Horn. Si ceux-ci les engagent à restaurer leurs maisons, ils les chargent surtout, ainsi que Theo Van Doesburg, de la restauration de la célèbre ciné-dancing de l’Aubette. Ce chantier qui va durer de 1926 à 1928 et pour lequel Sophie réalise une grande partie des décors constitue, avec la maison que les Arp font construire à Clamart et dont elle conçoit entièrement les plans, comme l’acmé de sa démarche artistique.

Dans les années 1930, Sophie Taeuber-Arp se lie de plus en plus avec les tenants d’une abstraction construite. Elle adhère et expose avec le groupe Cercle et Carré, participe avec Van Doesburg à la création d’un autre groupe dit Abstraction-Création et crée en 1937 son propre journal intitulé Plastique. Son art se décline alors en Compositions dynamiques, en Espaces multiples et en Formes irrationnelles qui n’exploitent plus que la figure du cercle et confortent la renommée internationale de l’artiste, notamment en Amérique.

En 1939, les Arp, auxquels Jeanne Bucher a consacré une importante exposition juste avant que la guerre n’éclate, quittent Meudon et se retrouvent dans le sud de la France. Sophie qui ne cesse de travailler revient à des compositions constructivistes. En 1942, le couple est en Suisse dans l’espoir d’une émigration plus facile vers les États-Unis. Mais au début de l’année suivante, Sophie Taeuber-Arp est victime d’un accident d’asphyxie mortel chez Max Bill, laissant derrière elle une dernière série de dessins à l’encre de Chine au motif d’un simple cercle puissamment intense.

Biographie

1889 Naissance de Sophie Taeuber en Suisse, dernière née d’une famille bourgeoise de 5 enfants.

1907 Suit l’enseignement de l’école des arts et métiers de Saint-Gall (Suisse). Sa mère, peintre et photographe à ses heures, décède un an plus tard.

1917 Nommée professeur d’arts appliqués à Zurich, elle participe aux premières manifestations dada au Cabaret Voltaire.

1922 Mariage avec Hans Arp.

1926 Obtient la nationalité française et travaille sur le chantier de l’Aubette à Strasbourg.

1930-1931 Membre de Cercle et Carré puis d’Abstraction-création avec Theo Van Doesburg.

1937 Fonde la revue Plastique.

1943 Lors d’un séjour à Zurich, elle décède accidentellement par asphyxie.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°591 du 1 mai 2007, avec le titre suivant : Taeuber-Arp

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