Élève d’Ingres, le peintre a consacré une bonne partie de son existence à une œuvre retraçant la vie d’une âme chrétienne, dans un style parfois mièvre mais qui peut être séduisant.
Paris. Il faut un certain panache pour présenter, à quelques pas de l’exposition consacrée à Vincent Van Gogh, l’œuvre d’un obscur peintre de sujets religieux. Mais le Lyonnais Louis Janmot (1814-1892) n’est pas un inconnu dans sa ville natale : le Musée des beaux-arts de Lyon présente en permanence son singulier Autoportrait (1832) ainsi que la série de 18 toiles du Poème de l’âme (1835-1854). Ces huiles, ainsi que les 16 dessins monumentaux qui forment la deuxième partie du cycle (1854-1879) – deux séries supplémentaires étaient prévues mais n’ont jamais vu le jour – sont montrés avec des dessins préparatoires, au Musée d’Orsay, dans l’exposition « Louis Janmot. Le Poème de l’âme», préparée par les commissaires Servane Darnies-de Vitry, conservatrice à Orsay, et Stéphane Paccoud, conservateur en chef au musée lyonnais. Des cabinets thématiques apportent des clés de lecture sur cet ensemble de tableaux.
« “Le Poème de l’âme” est le projet d’une vie », précise le texte introductif. La première salle permet de comprendre le dessein de l’artiste : raconter « l’épopée d’une âme sur la terre », en vers et en images. Il désirait que ses tableaux résonnent avec son poème car, pour lui, il ne s’agissait pas d’illustration. D’ailleurs, lorsque l’ensemble a été exposé de son vivant, les visiteurs disposaient du texte. Ici, des extraits accompagnent chaque œuvre. On peut également en entendre, lus par l’acteur Alexandre Astier, ou consulter le texte intégral sur le site Internet du musée.
Dans la Revue du monde catholique du 15 septembre 1882, le philosophe, économiste et écrivain Antonin Rondelet publiait un article intitulé « La Peinture philosophique ». Il y présentait Janmot, « élève d’Ingres et l’un des représentants les plus autorisés de l’école spiritualiste lyonnaise, […] peintre, poète et philosophe. » L’artiste, qui avait peint le décor de plusieurs églises et un célèbre portrait du Père Lacordaire (1846), était bien connu, tant dans les milieux catholiques que chez les amateurs d’art. Dans son Journal, Eugène Delacroix qualifie ces tableaux de « si intéressants ». Charles Baudelaire et Théophile Gautier l’ont également remarqué, mais aucun de ces commentateurs n’a apprécié ses vers. Le style en est assez convenu et l’on peine à suivre le propos de l’auteur.
Son poème cède donc vite le pas à ses toiles et dessins. « Ce Janmot a vu Raphaël, Pérugin », écrivait Delacroix. Parti à Rome en 1835 pour rejoindre Ingres, il a aussi, à l’évidence, admiré en Italie Fra Angelico, Giotto, Domenico Ghirlandaio, Sandro Botticelli, les maniéristes ou Nicolas Poussin, et se les est appropriés. Il a sans doute connu Johann Friedrich Overbeck, figure principale du mouvement nazaréen, ces peintres allemands prônant un retour à l’art des primitifs italiens. Sous toutes ces influences, le Lyonnais a imaginé des scènes d’un « charme infini », écrivait Baudelaire dans « L’Art didactique » (Variétés critiques, tome II). Janmot semble également s’être intéressé à l’Allemand Caspar David Friedrich et à la peinture anglaise – Johann Heinrich Füssli, William Blake et, plus tard, les préraphaélites. Éloigné de toute mode, il n’a pas hésité à utiliser dans son iconographie ces gestes codifiés des peintres anciens que l’historien de l’art Aby Warburg appelait « les formules du pathos » (la main sur le cœur pour dire l’engagement, sur la bouche pour montrer l’hésitation, etc.) qui peuvent aujourd’hui nous dérouter. Mais il a peut-être aussi emprunté au Martyre de saint Mathieu du Caravage le beau geste d’effroi d’un enfant dans Cauchemar (vers 1849-1850).
Comme l’a montré Élisabeth Hardouin-Fugier, spécialiste du peintre, Janmot a annoncé le symbolisme. Dans Théories 1890-1910. Du symbolisme et de Gauguin vers un nouvel ordre classique (1912), Maurice Denis écrivait, à propos du Poème de l’âme : « Il y a là des inventions charmantes, parfois comme le dit Baudelaire, une remarquable entente du fantastique, et aussi des choses tout à fait de la rue Saint-Sulpice. C’est lui qui plus tard, dans le salon de Madame de Reïssac [sic], comprit et encouragea un des premiers le jeune talent mystérieux d’Odilon Redon. » Peut-on encore ignorer l’importance de Janmot ?
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°618 du 6 octobre 2023, avec le titre suivant : Redécouvrir l’âme de Janmot