TOULOUSE
Au sommet de pics rocheux, les châteaux que l’on croyait à tort construits par « les hérétiques » font fantasmer les touristes. Une exposition à Toulouse retrace ces luttes politiques et religieuses du Midi de la France, à travers des manuscrits et des objets rares.
N’est-ce pas un anneau à faire pâlir d’envie de jeunes fiancés ? Découvert dans le tombeau de Bernard de Fargues, archevêque de Narbonne au début du XIVe siècle, cet anneau pastoral symbolise avec ostentation le lien de l’archevêque avec l’Église. Il témoigne, aussi, de la puissance qu’acquiert cette dernière entre le XIe et le début du XIVe siècle. Depuis la fin de la dynastie carolingienne, en effet, l’Église conquiert peu à peu son autonomie face aux grands pouvoirs féodaux. « L’Église se réforme et se hiérarchise. Elle essaie d’uniformiser les règles du culte, et de centraliser sous l’autorité du pape des pratiques et une organisation qui auparavant manquaient d’unité. C’est ce qui génère les accusations d’hérésie, consistant à désigner certaines personnes en marge du fonctionnement officiel », explique Laure Barthet, directrice du Musée Saint-Raymond et commissaire de l’exposition « “Cathares”. Toulouse dans la croisade ». Dans le midi de la France en particulier, les seigneurs peinent à accepter l’ingérence de cette Église devenue une puissance politique…
Le terme « cathare » vient de Saint Augustin (345-430) qui, accompagnant la mise en place du dogme officiel de l’Église, désigne certains groupes sectaires sous le terme « catharoï » en grec, ou « cathari » en latin. C’est-à-dire « purs », car ils prétendaient à la pureté absolue. Au XIIe siècle, le clergé catholique reprend les textes du théologien pour disqualifier un courant chrétien, né dans le nord de l’Italie puis répandu dans le Midi toulousain, qui dénonce le luxe de l’église médiévale et prone un retour à l’évangile. Puis au XIXe siècle, « des historiens et érudits réutilisent ce discours de l’Église médiévale pour définir “l’hérésie sans nom” du Midi, bien qu’il n’existe aucun mouvement organisé désigné par le terme de “catharisme” au Moyen Âge. Aujourd’hui, le mot “cathare” est encore employé par certains historiens et chercheurs minoritaires par commodité », souligne Laure Barthet. En Occitanie, il existe cependant bel et bien des chrétiens, accusés d’hérésie, qui se nomment entre eux « bons hommes » et « bonnes femmes », vivant en communauté. Ce manuscrit exceptionnel comprend ainsi un Nouveau Testament traduit en occitan, suivi de prescriptions rituelles propres à cette communauté de « bons hommes ».
La ville est assiégée ! Des personnages tendant des cordages manœuvrent une machine de jet, prêts à faire basculer la perche. Un autre charge la fronde avec un projectile. Ce bas-relief représenterait le second siège de Toulouse, en 1218, au cours duquel le comte Simon de Montfort, personnage central de la croisade contre les Albigeois, trouve la mort. La raison de ce siège ? Les seigneurs du Midi, en particulier le comte de Toulouse, regardaient d’un très mauvais œil l’ingérence progressive de l’Église dans les affaires religieuses locales. Par ailleurs, et pour des raisons politiques, ces suzerains locaux s’accusaient mutuellement d’hérésie. Après un siècle de guerres intestines, le Pape Innocent III, en échec sur le front de la Terre sainte, voyait dans cette lutte contre l’hérésie le moyen de renforcer son autorité : en 1208, il en appelle à la croisade contre les seigneurs occitans, accusés de protéger les hérétiques. Elle durera vingt ans.
Ce visage est celui de Jeanne, unique héritière du comte de Toulouse, donnée en mariage au frère du roi de France. Après la mort du comte de Monfort lors du siège de la ville en 1218, son fils Amaury doit céder les terres conquises par son père au roi de France, Louis VIII. Les Toulousains ne parviennent pas à contrer les forces royales, et en avril 1229, Raymond VII, le comte de Toulouse, doit se soumettre. Par le traité dit « de Paris », il perd définitivement une partie de ses territoires et à 9 ans, sa fille unique, Jeanne, est promise à Alphonse de Poitiers, le frère du roi. Cette dernière part vivre à la cour de Louis IX et ne revient qu’épisodiquement. Elle meurt en 1271, sans héritier. Malgré la violence de la croisade, une fois Toulouse annexée au domaine royal, la ville prospère et connaît un véritable renouveau. L’Église, cependant, ne considère pas l’hérésie éradiquée. Elle met en place un autre mouvement de répression : l’inquisition.
Vêtu d’une bure franciscaine, le frère Bernard Délicieux, qui dénonça à la fin du XIIIe siècle les abus de l’inquisition, se tient face aux représentants de l’Église. Après la croisade contre les Albigeois, l’Église considère en effet que l’hérésie n’a pas disparu et renforce ses moyens de répression : c’est la naissance de l’inquisition, confiée aux Frères Prêcheurs, également connus sous le nom de Dominicains, nouvel ordre religieux réputé pour sa solide formation intellectuelle. Menées à huis clos, sans avocats, les enquêtes des inquisiteurs, dont le but est de lutter contre la « dépravation hérétique », ciblent principalement les notables et membres de l’aristocratie qui avaient soutenu le comte de Toulouse. En représentant dans ce tableau Bernard Délicieux comme un héros juste, droit et humble face au pouvoir aveugle et sourd de l’Église, le peintre d’histoire Jean-Paul Laurens exprime au XIXe siècle son propre anticléricalisme…
Ne vous fiez pas au nom qu’on leur donne : les châteaux attribués à ces grandes familles du Midi n’ont en réalité rien de « cathare ». Et pour cause, ce sont des constructions royales de la fin du XIIIe siècle ! Après la croisade contre les Albigeois, des places fortes accusées d’avoir abrité des hérétiques sont reconstruites pour former un nouveau réseau de forteresses : Lastours, Termes, Aguilar, Quéribus, Peyrepertuse, Puilaurens et Montségur en font partie. Ainsi, les fameux « châteaux cathares » sont-ils en réalité l’œuvre du roi de France ! « Le cas du château de Montségur est particulier : il est bâti non par le roi, mais par des seigneurs croisés de Lévis, proches de Simon de Montfort. Avec le soutien du pouvoir royal, ils reconstruisent ce qui était un village fortifié en château », souligne Laure Barthet. Les châteaux « cathares » font actuellement une candidature au patrimoine mondial de l’Unesco… au titre de « châteaux royaux sentinelles ». On ne parle plus de châteaux cathares dans les cercles scientifiques !
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Qui étaient les Cathares
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°774 du 1 avril 2024, avec le titre suivant : Qui étaient les Cathares