TOULOUSE
Le musée toulousain exploite abondamment les outils de médiation qu’il développe depuis plusieurs années afin de livrer un discours scientifique sur les Cathares.
Toulouse (Midi-Pyrénées). En matière d’hérésie plus qu’ailleurs, le diable se cache dans les détails. Il faudra ainsi remarquer, sur l’affiche de la grande exposition du Musée d’archéologie Saint-Raymond, les petits guillemets qui encadrent le mot « Cathares ». Dans une région où ce terme popularisé très tardivement fait office d’argument touristique, il faut saluer le parcours audacieux qui rend aux croisades albigeoises du XIIIe siècle leur réalité historique : « On ne va pas jusqu’à dire que les Cathares n’ont pas existé, tempère Laure Barthet, directrice du musée, soucieuse de se préserver de quelques inimitiés locales. Mais la notion même fait débat aujourd’hui. Chez ces “Bons Hommes”, ces “Bonnes Femmes” comme ils s’appellent eux-mêmes, il n’y a pas de rupture franche et nette, pas de conscience d’être hors du cadre de l’Église. »
Avec une exposition qui remet en question la pertinence de son titre, faut-il s’attendre à un parcours à trous ? Bien au contraire. Elle présente une telle multitude d’œuvres et de contenus qu’elle a dû être installée dans deux lieux d’exposition : au Musée Saint-Raymond et au couvent des Jacobins. Les visiteurs les plus attentifs auront également lu le sous-titre sur l’affiche, « Toulouse dans la croisade ». Cette remise en contexte historique et géopolitique, fondée sur la recherche archéologique, occupe les espaces d’exposition du musée d’archéologie de Toulouse. Au couvent des Jacobins, le propos est concentré sur la question des hérésies. Ce grand parcours d’un seul tenant a la lourde tâche de confronter les mythes forgés par les courants nationalistes et régionalistes autour du mot « cathare » aux XIXe et XXe siècles, à la réalité de pratiques religieuses bien loin d’une contre-Église organisée.
Ce discours qui traduit les derniers développements de la recherche historique sur la croisade contre les Albigeois fait tout l’intérêt de l’exposition qui, pour le public local, pourrait devenir un moment d’introspection identitaire. Attention toutefois au hiatus, lorsqu’en sortant du couvent des Jacobins, la boutique du site propose ses souvenirs siglés « cathare » !
Mettre en scène par des objets un mouvement qui existe dans le discours du clergé des XIIe et XIIIe siècles, mais pas dans les strates archéologiques, s’est avéré un défi : les vestiges opèrent ici comme une forme de preuve par l’absurde, qui démontre l’absence de rupture dans la culture matérielle, malgré l’émergence d’une supposée hérésie.
Choix extrêmement fort du Musée Saint-Raymond, cette exposition d’histoire locale (à la portée nationale) présente 96 % d’œuvres provenant d’Occitanie. Cela permet de mettre en avant quelques trésors régionaux, comme deux fragments de plafond peint représentant une parade chevaleresque venue de Narbonne, ou la grande Pierre du siège de Carcassonne provenant de la basilique [voir ill.]. Les Archives nationales et la Bibliothèque nationale de France contribuent également au parcours en prêtant des documents uniques dont le Traité de Paris, par lequel le comte de Toulouse capitule en 1229, ou un manuscrit de la Chanson de la croisade albigeoise, une source bien connue des historiens.
La scénographie du parcours comporte aussi quelques objets du XXIe siècle, costumes ou boucliers créés par des passionnés de reconstitution historique [voir ill.]. « C’est l’inverse du Puy du Fou ! », se défend la directrice du musée, elle-même adepte de la « reconstit’ »à ses heures perdues. Au sein de l’exposition, ces pièces fabriquées selon les techniques et matériaux du XIIe siècle permettent une incarnation appréciable.
Au-delà des objets, le parcours déploie de nombreux outils de médiation. Trois niveaux d’accompagnement sont proposés : des textes bien calibrés (mais pas toujours hiérarchisés), des pastilles sonores didactiques et humoristiques – un exercice difficile dans lequel le Musée Saint-Raymond s’est spécialisé – mais aussi un jeu interactif reposant sur les œuvres du parcours. Développé pour l’exposition « Le mystère Mithra » (2022), ce dispositif innovant permet aux visiteurs de construire un parcours de visite unique, en répondant aux défis proposés par Mithra. En outre, l’usage des écrans avec discernement (pour ouvrir de grandes séquences, insister sur des définitions préalables, ou présenter des reconstitutions) est appréciable, tout comme les tentatives de médiations originales : dans le parcours du couvent, le visiteur peut ainsi assister à un procès en hérésie interactif. Ces équipements presque disproportionnés se lisent aussi comme un manifeste du musée, qui souhaite valoriser cinq années d’expérimentation, et une expertise acquise dans la muséographie de l’archéologie.
Riche par son discours, sa médiation et sa mise en scène, l’exposition est à l’image d’un musée municipal qui porte haut sa mission scientifique (le catalogue en témoigne, avec ses 450 pages et sa centaine de contributeurs, qui en fait une publication de référence sur les « Cathares »), et son objectif de vulgarisation auprès du public.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°632 du 26 avril 2024, avec le titre suivant : Avec « Cathares », le musée Saint-Raymond valorise sa médiation