Questions à… Gérard Lhéritier, fondateur du Musée des lettres et manuscrits

L’œil : Lettres, manuscrits, ouvrages rares, etc., tout cela relève de la lecture. Est-ce qu’il n’y a pas là un paradoxe à vouloir les exposer sans créer une totale frustration ?
Gérard Lhéritier : Si la lecture se fait par le biais de l’édition, il faut que le public puisse avoir accès à la connaissance de ce qui est en amont, c’est-à-dire le travail de la création pure, de l’écriture, avec tout ce que cela comporte de certitudes et de doutes. Je comparerais cela à la façon dont on présente les dessins préparatoires que fait le plus souvent un artiste plasticien avant d’exécuter son œuvre.

L’œil : Comment s’y prendre afin de réduire au maximum cette frustration ?
G. L. : En présentant les documents les plus importants pour que le visiteur puisse aller droit au but. Je pense, par exemple, au Manifeste du surréalisme ou au « garde-manger » de Balzac, ce carnet de notes, de croquis et de dessins qui est comme le condensé de toute La Comédie humaine. C’est une façon pour le visiteur de voir comment il s’y prenait dans les dédales de son travail, de le vivre du dedans.

L’œil : À l’heure du règne du virtuel et du tout-technologique, n’y a-t-il pas quelque chose d’une nostalgie dans cette façon de défendre le patrimoine de l’écrit ?
G. L. : Il y a un risque en effet, mais l’exposition de ce patrimoine permet d’approcher de tout près ceux qui en sont les héros. On se retrouve à leurs côtés, on approche leur intimité. Il y a peut-être une nostalgie, mais c’est une nostalgie prospective qui permet de remonter le fil du temps pour mieux appréhender le nôtre.