Le thème, les prêts, la scénographie, son apport à l’histoire de l’art… : les ingrédients qui constituent une « bonne exposition » sont nombreux et bien connus. Pourtant la recette n’est pas si simple, surtout quand le goût s’en mêle. Réflexion…
Qu’est-ce qu’une bonne exposition ? La question peut faire sourire bien sûr, tant les paramètres fluctuent en fonction des champs et des disciplines. Rien qu’entre une exposition historique et une exposition d’art contemporain, les critères de jugement changent du tout au tout. C’est dire si entre les différentes approches possibles (thématiques, chronologiques, monographiques, historiographiques, phénoménologiques, etc.), le critique peut perdre son latin, chacun voyant midi à sa porte. Pour autant, est-il impossible de définir une bonne expo ? Si aucun standard n’existe, il est toutefois permis de circonscrire le « problème »…
- Le catalogue
Ainsi Pierre Rosenberg livrait-il récemment à la radio de l’Académie française ses regrets de voir les salles des collections permanentes des musées se vider au profit des grandes expositions temporaires. L’inflation du nombre d’expositions aurait, selon l’académicien, une influence néfaste sur l’activité des musées, que le flot des visiteurs délaisserait finalement, privilégiant le spectacle des expositions événementielles dont la qualité ne suivrait d’ailleurs pas toujours, la profusion n’en étant pas la garantie. Et le conservateur de revenir sur un point crucial qui compte pour beaucoup dans la réussite d’une exposition : le catalogue, rare élément qui serve de dénominateur commun à beaucoup d’expositions… Si cet outil ne s’impose pas comme une référence, c’est que l’exposition n’était pas si bonne, dit en substance Pierre Rosenberg.
- Le commissaire
Pour l’Américain Robert Storr, tout à la fois artiste, commissaire et critique d’art, la qualité d’une exposition dépend d’abord du commissaire qui, selon lui, doit être indépendant ou attaché à une institution sans collection. Un point de vue auquel il est difficile d’adhérer pleinement. Car cela reviendrait à éliminer de la liste des bonnes expositions, celles cornaquées par exemple par Laurent Le Bon, directeur du Centre Pompidou-Metz et commissaire l’an passé de l’excellente exposition « 1917 » et, en 2005, de l’exposition « Dada ».
Il y a quelques années, le nec plus ultra dans l’art contemporain consistait à demander à un artiste de se transformer en commissaire afin de s’assurer une vision transversale et débridée, en totale rupture avec le formatage des institutionnels. Certes, il y eut de belles réussites – comprendre par là des moments ésotériques –, comme lorsque John Armleder joua en 2008 avec les collections des musées de Toulouse pour le Printemps de septembre. Mais la recette n’est pas infaillible, et aucun commissaire ne peut se targuer d’avoir un curriculum vitae constitué uniquement de succès.
- L’institution
D’ailleurs, à quoi mesure-t-on la réussite d’une exposition ? À son nombre de visiteurs et à ses recettes commerciales ? Ou à la stimulation intellectuelle qu’elle engendre ? Voire à la combinaison de toutes ces données ? Sachant qu’une exposition est parfois considérée comme « bonne » en raison des prêts internationaux exceptionnels dont elle bénéficie– « Picasso et les maîtres » en 2008, par exemple – ou des partenariats qu’elle a su tisser et qui assureront sa fortune critique dans le monde. Tout dépend de l’institution qui la chapeaute et de sa capacité à faire de bons échanges. Dans le cadre de l’art contemporain notamment, elle saura garantir le succès grâce au caractère inédit des pièces qui auront été produites pour l’occasion. Mais parfois, les impératifs institutionnels – s’ils ne doivent pas excuser le ratage d’une exposition – peuvent avoir une capacité de nuisance bien réelle. S’affranchissant de l’exposition idéale que conçoit un commissaire sur le papier, la réalité fait souvent exploser les contenus : entre les budgets, les assurances, la disponibilité des pièces et les interdits techniques, les contraintes finissent souvent par essorer le projet idéal.
- Laisser le temps au temps
Mais la « bonne exposition » est aussi souvent une affaire de mode. Certaines manifestations, aujourd’hui reconnues, ont parfois passé de mauvais quarts d’heure critiques, à l’image des « Immatériaux » ou des « Magiciens de la terre » au Centre Pompidou, en 1985 et 1989. Or, depuis, les deux propositions ont non seulement accédé à la postérité mais leurs catalogues sont devenus des musts. L’exposition « New Topographics » à la Maison Eastman de Rochester en 1975 a, elle aussi, été un flop public. Elle est pourtant devenue un marqueur essentiel de l’histoire de la photographie américaine de paysage, premier événement ayant synthétisé une école critique. Par conséquent, les aléas de l’histoire entrent aussi en ligne de compte dans la définition d’une bonne exposition…
- Les reconstitutions historiques
D’ailleurs, la tendance qui consiste à reconstituer ces expositions dites « mémorables » ne serait-elle pas le symptôme de cette difficulté à élire la bonne exposition ? « New Topographics » a été relancée en 2010 à Los Angeles avant d’entamer une tournée mondiale. Quant au Wallraf-Richartz-Museum (Cologne), il rejoue la grande exposition de 1912 – « 1912, l’exposition Sonderbund », jusqu’au 30 décembre 2012. L’historien des expositions Jérôme Glicenstein explique cette tendance : « Certaines expositions sont connues, mais peu de personnes les ont vues, ce qui alimente le désir de leur reconstitution. Le fait de reconstituer, même partiellement, une exposition, livre des informations importantes sur la manière dont on a pu percevoir telle ou telle œuvre à telle ou telle époque. Je ne pense pas qu’il s’agisse nécessairement d’un rachat ou d’une volonté de réhabilitation. Il s’agit surtout de reconnaître que la connaissance des œuvres est intimement liée à celle de leurs expositions et que lorsqu’on découvre une œuvre hors contexte, on manque bien souvent une partie de l’histoire. »
- Et la scénographie ?
Il y a quelques années, la mode voulait qu’on mette du multimédia partout, et les scénographies à effets étaient les bienvenues. On se souviendra du fouillis des « Années Pop » (à Beaubourg en 2001) et de ses reconstitutions parfois excessives. Quand on voit le dépouillement de l’exposition « Dalí » actuellement au Centre Pompidou, il devient clair que l’art de la scénographie connaît des mutations. C’est elle d’ailleurs qui était au centre de la polémique de l’automne à propos de l’exposition d’Orsay « L’impressionnisme et la mode ». La mise en scène de Robert Carsen, divertissante jusqu’au superflu, ayant un peu « chatouillé » la critique. L’équilibre est donc subtil. En art contemporain, Alexis Vaillant, commissaire au CAPC, a, quant à lui, souvent assumé des scénographies excessives avec musique, ambiance sépulcrale et scénario.
S’il est donc impossible de réaliser un portrait-robot de la « bonne exposition », ce que l’on sait, en revanche, c’est que le genre n’a rien de définitif…
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Qu'est-ce qu'une bonne exposition ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°653 du 1 janvier 2013, avec le titre suivant : Qu'est-ce qu'une bonne exposition ?