Première ville des Flandres, Anvers (Antwerpen en flamand) compte près de trente musées. Un riche patrimoine artistique, culturel et architectural à découvrir qui se situe à moins de deux heures en train de Paris.
En 1520, Dürer séjourne à Anvers. Il signe un dessin à la plume du Steen, le château bâti vers 1200 dans une boucle de l’Escaut, semblable à celui que l’on voit aujourd’hui. Quelques courbes plus loin, le fleuve à qui Anvers doit son passé et son nom à venir arrive à la mer. La légende veut, en effet, que vers l’an 980, le premier humaniste local, le jeune soldat romain Brabo coupât la main – hand – du géant Druon qui rançonne les pêcheurs et la jette – werpen – à l’eau. Au milieu de l’élégante Grand-Place entourée par les maisons des guildes aux pignons à redans surmontés de statues dorées, une haute fontaine en pierre et bronze rappelle aujourd’hui cette histoire.
Rubens, l’enfant chéri
Le cœur historique de cette cité de 510 000 habitants bat ici, au rythme des marchés et des carillons tombant du clocher ajouré de Notre-Dame. Avec sa nef à sept vaisseaux et ses cent vingt colonnes, l’édifice en impose. Pendant la fermeture jusqu’en 2017 pour restauration du Musée royal des beaux-arts, la cathédrale a en dépôt des œuvres majeures comme l’émouvante Déploration du Christ de Quentin Metsys. Elles sont accrochées à côté des quatre tableaux de Rubens exposés en permanence, dont le célèbre triptyque de 1612, La Descente de Croix, commandé par la corporation des arquebusiers. Derrière le chevet, en parcourant quelques rues pavées, on accède à Saint-Charles-Borromée, considérée comme la plus belle église baroque des anciens Pays-Bas. On est au temps de la Contre-Réforme, les jésuites qui la construisent sont pressés. Commencée en 1615, elle est achevée en six ans, un record ! La façade est sans surprise notable mais l’intérieur décoré par Rubens est en revanche somptueux. Deux rues plus loin, la Maison Rockox, du XVIIe siècle, évoque un cabinet d’art du Siècle d’or. Des tableaux partout ! Parmi les pensionnaires attitrés, Rubens et Jordaens, mais aussi Patinir et Hans Bol.
En cette même année 1520, Dürer peint le portrait d’Érasme, le « Prince des humanistes », qui séjourne ici. Anvers accueille aussi le géographe Mercator, le financier Fugger et la famille Rubens revenue d’Allemagne. Le jeune Pierre Paul apprend le latin et s’initie à la peinture auprès d’Otto Venius. De retour d’Italie, après son mariage en 1609, Rubens fait construire sur le Wapper une superbe demeure à l’allure de palais renaissant qu’il conçoit du portique au jardin. Il vit là vingt-cinq ans. À son ami Nicolas Rockox qui appartient « au cercle des humanistes anversois et des princes de la pensée », il répond « qu’il n’est pas prince mais quelqu’un qui travaille de ses mains ». Rubens reste à jamais l’enfant chéri d’Anvers et son premier ambassadeur. La visite de sa maison, élégamment décorée de tapisseries, tableaux, meubles lui ayant appartenu, est un bonheur tant l’ombre du maître est présente. L’atelier où il a exécuté ses plus belles toiles a été refait.
Des musées « pour connaisseurs »
De là, on débouche sur le Meir, l’artère commerçante, alignant résidences baroques et Belle Époque. Entre la haute Boerentoren, la tour des Paysans, de style Art déco et les deux statues de Van Dyck et David Teniers, c’est l’axe obligé de toute promenade. Après les opulentes habitations patriciennes, il faut prolonger ses découvertes en allant voir les maisons Art nouveau du quartier Zurenborg, surtout l’étrange maison blanche décorée de motifs floraux dorés au-dessus de l’ample fenêtre en arcade dite Le Tournesol (Zonnebloem). Près de la gare monumentale en marbre, quelques rues austères indiquent le quartier des diamantaires, connu internationalement sous le nom de Diamond Square Mile. On croise des hommes vêtus de noir, chapeautés de noir, avec à la main des serviettes de cuir noir. 200 000, 300 000, parfois plus, carats passent chaque jour entre leurs mains. Des richesses inouïes échangées en quelques minutes, sur parole. Pas de police, des gardiens discrets, des caméras cachées.
Retour au bord de l’Escaut. Occupant les anciens entrepôts de la Red Star Line, le dernier-né des musées anversois est un lieu de mémoire émouvant et incontournable ouvert en septembre 2013. Entre 1873 et 1935, fidèle à sa réputation de ville humaniste, Anvers reçoit environ 3 millions de passagers qui s’embarquent à bord des navires de la compagnie pour gagner les États-Unis. Pour des milliers d’émigrés, avant la traversée de l’Atlantique, cet embarcadère était l’escale de l’espoir d’une vie nouvelle en Amérique. Un fléchage rouge peint sur les trottoirs y conduit facilement depuis le MAS. En marge des musées essentiels, Anvers en compte d’autres moins connus, plus spécialisés, pour tous les goûts, celui des brasseurs, des minéraux, de la photographie, de la batellerie ou des douanes. Selon la formule locale, ils sont pour les « connaisseurs ». Raison de plus pour faire le voyage.
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Partir à Anvers, où l’humanisme est roi
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Abonnez-vous dès 1 €Musée Plantin-Moretus Visiter cette spacieuse résidence revient à entrer dans la plus grande imprimerie en Europe au XVIe siècle. Rien n’a changé ! Fondée en 1556 par l’humaniste Christophe Plantin, contemporain de Hieronymus Cock, elle conserve une fabuleuse collection de caractères, presses, moules, casses de lettres, pots à plomb, poinçons. Sans compter 25 000 livres anciens, près de 700 manuscrits, des estampes rares. On y expose aussi bien Bruegel que Luc Tuymans. Inscrit au patrimoine de l’Unesco.
www.museumplantinmoretus.be
Musée Mayer van den Bergh Pour recevoir sa prodigieuse collection de sculptures et de tableaux dont certains sont signés Roger van der Weyden, Lucas Cranach ou Jan Gossaert, Fritz Mayer van den Bergh (1858-1901), épris de l’art médiéval flamand, construit à quelques rues du Meir une maison et en fait un musée. Il réunit en vingt ans plus de 3 000 œuvres. Lors d’une vente à Cologne, en 1897, il achète pour presque rien « un paysage fantomatique qui n’intéresse personne ». Il ne s’agit rien de moins que de Dulle Griet ou Margot la folle de… Pieter Bruegel.
www.museummayervandenbergh.be
Le MAS Le Museum aan de Stroom, c’est-à-dire le Musée sur le fleuve, a ouvert en 2011. Surnommé « le paquebot », son architecture extérieure discutable cache un design intérieur séduisant. Sur cinq étages, outre l’hommage obligé aux anciens dockers, de nombreux objets d’arts africain, asiatique et mélanésien illustrent la vocation maritime d’Anvers en confrontant les diversités culturelles de la planète.
www.mas.be
Anvers, port d’attache de Jan Fabre Élue capitale européenne de la culture en 1993, afin de ne pas être oubliée entre Bruxelles et Amsterdam, Anvers a élargi une offre culturelle jugée jusqu’alors trop sage. Après la rénovation du Musée de la mode (MoMu) est intervenue celle du M HKA. Ce sigle curieux est celui du Musée d’art contemporain. Ancien silo réaménagé, cette vaste structure blanche implantée près de l’Escaut dans le quartier branché Het Zuid se veut le phare de la modernité non seulement flamande mais aussi belge. Keith Haring et Anish Kapoor y ont exposé, de même que l’enfant terrible de la ville, Jan Fabre. Si ce dernier se voit en Homo universalis, il avoue qu’après chaque voyage au bout du monde il aime revenir travailler ou écrire pour sa compagnie théâtrale, le Troubleyn, dans sa ville natale. Et y trouver l’inspiration auprès des anciens maîtres flamands, surtout Jérôme Bosch, qui lui « souffle ses idées provocatrices ». Le plasticien controversé est désormais considéré comme le nouvel ambassadeur d’Anvers.
www.momu.be et www.muhka.be
Sauvegarder le patrimoine portuaire Deuxième d’Europe, au quatrième rang dans le monde, le port confond son histoire avec celle de la ville. Hérissés de grues, les quais où accostent des navires de tous pays sont quelconques. En revanche, les vieux hangars en fer, les darses creusées par Napoléon, les ponts-levis, les écluses, les estaminets à marins valent le détour. Après l’avoir beaucoup détruit, la ville mesure enfin la valeur de ce patrimoine sans égal et le préserve. Excursion en bateau possible.
www.visitantwerpen.be
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°667 du 1 avril 2014, avec le titre suivant : Partir à Anvers, où l’humanisme est roi