À la Cité de l’architecture et du patrimoine, l’exposition « Un bâtiment, combien de vies ? » assimile la transformation architecturale à un acte de création à part entière.
PARIS - Au-delà de tout aspect nostalgique, le propos de l’exposition « Un bâtiment, combien de vies ? » est de recentrer le débat sur la métamorphose du patrimoine moderne, notamment celui, peu considéré voire impopulaire et parfois jugé « jetable », des « trente glorieuses ». S’il ne s’agit pas ici de défendre la conservation à tout prix, « il y a une logique à transformer le patrimoine construit, la densification de la ville y pousse, la réflexion sur la durabilité y conduit. C’est sans doute cela la nouvelle expérimentation spatiale, technique et programmatique du XXIe siècle, dans une équation économique indispensable à résoudre », écrit le commissaire Francis Rambert en préambule à l’exposition de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Le sous-titre donné à cette dernière, « La transformation comme acte de création », est d’importance.
Potentiel de l’existant
La question n’avait simplement jamais été posée sous cet angle, car intervenir sur des bâtiments anciens était considéré il y a encore peu comme relevant de la seule technique. Aussi, pour situer le propos dans une perspective historique, et aiguiser l’appétit de découverte du visiteur, une grande frise chronologique tapisse l’un des murs de la salle d’exposition. Sous le titre assez abrupt de « 1960-2013 : cinq décennies pour sortir du déni », cette timeline pose pour point de départ le site de Ghirardelli Square à San Francisco (Californie, 1964), un projet paradigmatique qui nourrira le monde entier en matière de transformation du patrimoine industriel. Menacée de destruction, l’ancienne chocolaterie Ghirardelli, regroupant plusieurs bâtisses en brique de la fin du XIXe siècle, avait été squattée par des artistes avant d’être transformée en centre commercial comprenant des boutiques d’épicerie fine. Un demi-siècle plus tard, en Europe, la Tate Modern, une ancienne centrale électrique située en plein cœur de Londres, avait échappé elle aussi à une destruction partielle, grâce à l’agence Herzog & de Meuron. L’entretien filmé avec Jacques Herzog, diffusé à côté de ceux de cinq autres architectes engagés dans la transformation d’édifices, permet une relecture de ce projet devenu tout aussi emblématique : « À la Tate, nous avons découvert le potentiel de certains éléments architecturaux existants, des choses que l’on n’aurait pas pu réaliser nous-mêmes. Par exemple le Turbine Hall, dont la dimension et la qualité d’espace auraient été hors de portée d’une architecture moderne […] et on a offert cet espace comme un espace public qui n’existait pas dans la ville de Londres. »
De cette analyse des projets exposés se dégage en filigrane l’importance d’un bon diagnostic du bâti ancien, tant du point de vue structurel que de celui des programmes fonctionnels qui pourront y être accueillis.
En outre, transformer le patrimoine construit est l’occasion de prolonger des formes qu’il ne serait plus possible de voir édifier aujourd’hui. L’incroyable opération de restructuration de la grappe de tours de bureaux située à la tête du pont de Sèvres à Boulogne-Billancourt menée actuellement par Dominique Perrault en est un exemple probant. La qualité de ces tours, c’est leur densité, explique l’architecte : « On a gardé ce que l’on ne pourrait pas faire aujourd’hui, parce que beaucoup s’opposeraient à cette forte présence architecturale […] alors qu’en fait c’est juste bien, par rapport au site, par rapport à la descente des collines de Meudon, à l’entrée sur Paris. Et ce positionnement, il faut non seulement l’assumer mais le revendiquer. »
Parmi les réalisations choisies, qui relèvent toutes d’un très grand intérêt, l’on pourrait citer le Mémorial de l’abolition de l’esclavage à Nantes (2012) conçu par Wodiczko Bonder et qui a été glissé sous les infrastructures du quai de la Fosse en bordure de Loire. Relevons aussi l’ensemble de bâtiments commerciaux installés sous les arches d’anciens viaducs à Zurich (Suisse) par EM2N en 2010.
Afin que le visiteur puisse s’orienter dans cet océan de projets, l’exposition est divisée en huit sections ; il fallait l’intelligence d’un Francis Rambert pour que l’événement se réinvente au cours du temps, dans le droit-fil de la pensée qu’elle développe : trois rotations permettront de découvrir l’ensemble des 72 bâtiments retenus, lesquels seront tous regroupés avec textes et images dans le catalogue accompagnant l’événement. La scénographie confiée à la jeune équipe de Raum est également susceptible de se transformer selon la configuration des éventuels futurs lieux d’exposition.
Commissaire : Francis Rambert, directeur du département de l’architecture à l’Institut français d’architecture, Cité de l’architecture et du patrimoine
Scénographes : Raum, architectes
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Palimpseste architectural
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Abonnez-vous dès 1 €« Un bâtiment, combien de vies ?, La transformation comme acte de création », jusqu’au 28 septembre (jusqu’au 2 mars, puis du 11 mars au 25 mai, puis du 3 juin au 28 septembre), Cité de l’architecture et du patrimoine, 1, place du Trocadéro, 75016 Paris, tél. 01 58 51 52 00, tlj sauf mardi 11h-19h, jeudi jusqu’à 21h, entrée 12 €, www.citechaillot.fr. Catalogue, coéd. Cité de l’architecture/Silvana Editorale, 336 p., 39 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°429 du 13 février 2015, avec le titre suivant : Palimpseste architectural