La Fondation d’entreprise Ricard présente la première grande exposition personnelle de celle qui pratique l’ironie comme un art.
Paris. Née en 1961 à Pasadena (Californie), Nina Childress a – déjà – sa légende. Égérie d’un groupe de punk alternatif à l’âge de 20 ans, elle a fait partie du collectif les Frères Ripoulin dans les années 1980, aux côtés de Pierre Huyghe et de Claude Closky. Puis c’est une traversée du désert, avant une reconnaissance institutionnelle tardive qui lui vaut d’enseigner depuis la rentrée dernière aux Beaux-Arts de Paris. Éric Troncy, codirecteur du Consortium Museum (Dijon), est le commissaire de cette exposition à la Fondation d’entreprise Ricard ; il souligne la constance de l’artiste pendant ces longues décennies. « Sur son site Internet, relève-t-il, on peut lire : “Nina Childress – artiste peintre” ». Raison sociale qui oscille entre le second degré grinçant et la facture artisanale, soit un assez bon résumé de son œuvre.
Bien que sa manière de peindre soit versatile, ses tableaux se reconnaissent à quelques caractéristiques : les références à la culture populaire (on y croise des actrices et vedettes coutumières des plateaux télévisés dans les années 1980) ; le jeu consistant à faire deux versions d’un même sujet, une « good » et une « bad » ; la récurrence des portraits, et des autoportraits déclinés avec un penchant pour la dérision (Autoportrait au slip, 2020).
Mais tout cela, le sujet au second plan, le goût pour la caricature, est semble-t-il anecdotique aux yeux de l’artiste elle-même. De quoi parle-t-on alors ? De peinture, selon Éric Troncy, qui « encourage une lecture classique » de celle de Childress. Et évoque des « stratégies picturales empruntées à Bernard Buffet », dont il fut lui-même l’un des ardents défenseurs posthumes. Nina Childress cite quant à elle Francis Picabia parmi ses références.
Placé au centre de l’exposition, le triptyque L’Enterrement (2011, [voir ill.]) se présente comme une réinterprétation de L’Enterrement à Ornans de Courbet. À la place des hauts-de-forme et des coiffes blanches, des sacs de plastique encapuchonnent plusieurs personnages (allusion au suicide de Buffet) et des cygnes y apparaissent en motifs intrusifs, clairement détournés de leur contexte d’origine (des photographies du lac de Genève). Cette très grande toile saturée de lumière verte, Childress l’a conçue comme une provocation pour son premier solo à la Galerie Bernard Jordan. Mais il y a aussi là un exercice d’admiration pour une peinture réaliste dont le charme original réside autant dans sa maîtrise que dans ses écarts.
Cette toile a attendu près de dix ans avant d’intégrer une grande collection privée, confirmant que l’artiste a le vent en poupe. Bernard Jordan, son galeriste, qui prépare une exposition monographique pour l’automne prochain, pendant la Fiac, confirme ce regain d’intérêt. On a vu cet hiver le travail de Nina Childress figurer dans l’exposition consacrée à la scène française (« Futur, ancien, fugitif ») au Palais de Tokyo, à Paris ; en avril, il fera partie de la sélection du fonds de dotation Emerige orchestrée par Jérôme Sans et intitulée « A World of Absolute Relativity ». Nina Childress, quant à elle, peint quotidiennement et, ces temps-ci, à l’aide de peinture phosphorescente – comme dans Genoux serrés, 2020. Appliquée à rendre « l’idée de la profondeur et de la lumière ».
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : Nina Childress, artiste peintre