ROUEN
Artiste d’après-guerre, Martin Barré s’est débarrassé des outils conventionnels du peintre pour réduire ses œuvres à l’abstraction minimale : des lignes de peinture.
Rouen. La présentation de Martin Barré (1924-1993) est de taille modeste. Pour la troisième fois, après Simon Hantaï et Judit Reigl, le Musée des beaux-arts de Rouen bénéficie d’un prêt en provenance de la Fondation Gandur pour l’art. On peut regretter la quantité limitée des travaux exposés ici. Mais, peut-être, que ce condensé de la production picturale de Martin Barré, en apparence toute simple, oblige le visiteur à en scruter lentement les quelques traits, d’une densité exceptionnelle, comme touchés par la grâce. Réunies dans une salle longue et étroite, les œuvres qui suivent un parcours chronologique donnent un aperçu clair de l’évolution de l’artiste. Ni abstraction lyrique – et ses jaillissements chromatiques –, ni abstraction géométrique – et son ascétisme sévère –, ces œuvres, selon Bertrand Dumas, commissaire de l’exposition et conservateur à la Fondation Gandur, « illustrent la décennie décisive au cours de laquelle Barré procède à une réduction-concentration des moyens picturaux ».
Les premiers travaux, qui datent du mitan des années 1950, font encore appel à quelques couleurs : noir, brun, orange, plus rarement le rouge. Ces empilements instables, échafaudés à partir de formes géométriques irrégulières – souvent des triangles incomplets, sources de lignes diagonales –, semblent être arrimés délicatement à la surface de la toile. Face à ces constructions de rêve, qui pourraient passer pour des plans improbables d’îlots urbains, on comprend mieux la raison pour laquelle Barré a interrompu ses études d’architecture. Aucune préférence pour le centre, aucune hiérarchie dans la disposition de ces configurations sur fond de blanc cassé. Parfois repoussées vers le bord de la toile, elles apparaissent alors comme le fragment d’une composition plus vaste, qu’on soupçonne volontairement inachevée (57-58-30-F4, 1957-1958). Comme chez Piet Mondrian, toute symétrie est exclue. Sans équivalent dans le paysage esthétique français, sans attache à aucun groupe, le travail de Barré, peut évoquer éventuellement les réalisations des Américains Clyfford Still ou Sam Francis.
Du trait au spray
À partir de 1960, l’artiste abandonne les outils traditionnels (brosse ou couteau) au profit d’une peinture tracée directement avec les tubes de couleur. À la forme se substitue la ligne qui s’affirme, se détache de son rôle de contour et parcourt la surface. Puis, ce sont des œuvres exécutées à la bombe aérosol, technique inspirée par les graffitis que Barré a découverte sur les murs du métro.
Le trait noir mat vaporisé, devenu plus velouteux, plus cotonneux, acquiert une légèreté qui contribue à son aspect aléatoire. Quelques bandes obliques ou perpendiculaires qui s’arrêtent à mi-parcours, quelques flèches noires (projet préparatoire pour le rideau d’avant-scène de la Maison de culture de Grenoble, en 1967), complètent cette présentation. Excentrées, pénétrant dans le cadre de la toile ou s’en échappant, ces bribes de peinture sont des signes muets, sans message aucun. Ces lignes et ces formes suspendues qui semblent palpiter, voire respirer, mènent aux frontières des possibilités de l’art. En les regardant attentivement, on comprend mieux le terme employé par Martin Barré pour sa peinture : « affleurement ». Le diptyque 61-T-16 (1961), un ensemble de deux panneaux, reliés par un minuscule trait qui flotte près du bord supérieur de la toile, est un exemple parfait du presque rien qui se transforme en un je-ne-sais-quoi poétique de l’œuvre.
jusqu’au 18 septembre, Musée des Beaux-Arts, esplanade Marcel-Duchamp, 76000 Rouen.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°606 du 3 mars 2023, avec le titre suivant : Martin Barré met la peinture à nu