Sur la terrasse de la Cité radieuse à Marseille, le designer Ora-ïto orchestre depuis 2012 un projet singulier, décliné en une série de cartes blanches à un artiste contemporain : le Mamo (comme Marseille Modulor).
En 2020, la Covid-19 et le confinement auraient pu avoir raison de ce rendez-vous annuel, auquel étaient notamment conviés Daniel Buren ou Xavier Veilhan. Qui inviter, qui est capable d’investir les lieux vite et bien ? Invader était tout désigné pour s’y coller : l’artiste urbain est un familier des opérations commandos, et partage avec Ora-ïto cette agilité propre aux enfants terribles de la culture numérique. Ce choix permet au Mamo de déborder hors des murs de béton du « Corbu » pour s’étendre à la ville entière. En quinze jours environ, Invader a disséminé dans Marseille 84 mosaïques, qui sont venues s’ajouter aux 13 pièces posées lors de précédents séjours. Elles se veulent autant d’échos à l’esprit des lieux : du choix des sites (le vallon des Auffes, le studio d’I Am…) et des couleurs – bleu et blanc dominent – aux motifs représentés (la Bonne Mère, le pastis, Zidane…), elles tendent même vers une image fétichisée de la cité phocéenne, alors que celle-ci est en plein chamboulement politique et urbain. Par son ampleur, « Invader Was Here » bouscule le format de l’exposition. C’est une œuvre globale qui mêle installation au Mamo, interventions in situ, travail de photographie et de cartographie et un même volet participatif via l’application FlashInvader. Seul son premier volet est borné dans le temps : jusqu’au 11 novembre, il mue le gymnase de la Cité radieuse en « base secrète » d’invasion, comme laissée en l’état après un départ subit. À l’image d’un artiste discret, les lieux ne se laissent saisir que par bribes. On n’y pénètre pas, et seules quelques ouvertures étroites ménagées dans les baies vitrées couvertes de papier kraft permettent d’en voir l’intérieur. On y découvre alors le mode opératoire d’Invader : un ordinateur couvert de stickers, des photos d’alias numérotées et punaisées au mur, des repérages sur Google Maps, mais aussi des carreaux et des pâtes de verre, des seaux remplis de ciment, quand des sacs à dos et des masques suggèrent un protocole méthodique à l’extrême – gage d’une efficacité maximale.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°737 du 1 octobre 2020, avec le titre suivant : Mars(eille) Attacks