Les images du Christ, faites par le Christ lui-même sur des linges devenus sacrés, sont l’une des sources qui ont façonné sa représentation. Le musée de Port-Royal des Champs est évidemment le lieu idéal pour cette exposition sur l’art du XVIIe en France.
Contrairement à une idée reçue, les Évangiles sont muets sur la description physique du Christ. Car si Dieu s’est incarné dans l’homme, les apparences comptent peu, sa parole est tout. La physionomie du Christ se forme après le IVe siècle. Auparavant les premiers chrétiens avaient recours aux images des dieux païens ou aux symboles animaux. Alors que dans l’Orient orthodoxe la représentation du Christ se fige rapidement, dans l’Occident catholique elle évolue au gré des courants, des artistes et des caractéristiques anthropomorphiques régionales. Le musée de Port-Royal consacre une exposition dossier à la représentation au cours du XVIIe siècle des images acheiropoïètes, c’est-à-dire « non faites de main d’homme ».
Suaires et linceuls
Démêler les suaires ou linceuls qui relèvent de la légende ou de l’interprétation s’avère tout aussi passionnant que délicat. Trois principaux linges sacrés, censés reproduire l’image divine se sont imposés au fil des siècles.
Le Mandylion aurait été donné à Abgar, roi d’Edesse en Syrie, par le Christ lui-même qui aurait apposé son visage sur cette étoffe pour y laisser son empreinte. Si la Bible ne mentionne pas ce linge, plusieurs témoignages attestent de son existence jusqu’en 1204, date du sac de Constantinople par les croisés, où la relique était conservée. On perd sa trace après. L’épisode du Mandylion précédant la Passion, le Christ présente un visage serein.
Le second suaire est assurément une légende remontant au IVe siècle. Selon celle-ci, Véronique aurait essuyé le visage du Christ lors de sa montée vers le Golgotha, avec un linge qui aurait conservé l’image du Christ supplicié. Le prénom de la « sainte » est ainsi une déformation de vera icona : véritable image.
Le Saint Suaire, quant à lui, relève d’une autre tradition, celle du linge funéraire ayant enveloppé le corps du Christ au Sépulcre. La Bible évoque ce linge sacré mais ne dit rien de sa postérité. Le Saint Suaire de Turin (ill. 1) est le plus connu de tous, même si l’exposition met en lumière le suaire de Besançon. Étymologiquement, on devrait parler de suaire pour les deux premiers linges et de linceul pour le troisième.
La « Sainte Face » dans l’art du XVIIe siècle
Ces étoffes sacrées ont donné naissance à des archétypes de la représentation du Christ et de son visage, variables selon les régions et les époques. Les artistes français du XVIIe semblent avoir privilégié le thème de la Véronique (ill. 2), plus riche symboliquement (illustration de la Passion) et plus « pictural » (l’association de la jeune femme et du visage du Christ).
Simon Vouet (1590-1649) et d’autres ont systématisé plusieurs traits caractéristiques : les yeux cernés, les sourcils asymétriques, la raie médiane, les mèches épaisses encadrant le visage, la barbe bifide, les pommettes accentuées, le pli au menton, une légère moustache et une zone imberbe entre la lèvre inférieure et la barbe (ill. 3). Le magnifique Christ aux outrages (ill. 4) de Philippe de Champaigne (1602-1674), qui ouvre l’exposition, n’est pas à proprement parler l’illustration du thème des « Saintes Faces », mais outre qu’il est le chef-d’œuvre des collections du musée, le tableau permet d’apprécier la force de l’archétype.
Les légendes, comme d’habitude, lorsqu’elles sont belles et utiles deviennent légitimes. La Véronique figure sur les objets liturgiques : chasuble, calice, voire même reliquaire de « sainte » Véronique.
L’iconographie du linceul, plus ingrate par nature, est le plus souvent prétexte à illustrer la Vierge, ou des gens d’église dans des scènes convenues d’ostentation.
Port-Royal et le jansénisme
Si intéressante soit-elle, cette exposition ne justifierait pas à elle seule un déplacement à une trentaine de kilomètres de Paris, dans la vallée de Chevreuse. Mais elle est l’opportunité de découvrir ou de redécouvrir un lieu envoûtant et chargé d’histoire. C’est ici que s’est déroulée l’histoire du jansénisme et les lieux sont véritablement imprégnés par la spiritualité de ce courant de l’église catholique qui entendait revenir à une église plus dépouillée et plus éclairée.
Il ne reste rien de l’abbaye, logée au fond d’un vallon, détruite en 1711 sur ordre de Louis XIV, irrité par ce foyer de contestation de son absolutisme. Seules subsistent sur le plateau en surplomb, les granges, des bâtiments de ferme qui accueillaient les solitaires, des laïcs en quête de calme et de méditation, dont Blaise Pascal, et les élèves des petites écoles, dont Jean Racine est le plus illustre représentant. L’étage supérieur du musée est consacré à l’histoire de Port-Royal. Philippe de Champaigne est étroitement associé à cette histoire. Il peint les solitaires et même la grande abbesse Angélique Arnault et donne de nombreux tableaux pour les deux monastères, à Paris et « aux champs ».
Les lieux, rieurs en été, envoûtants en hiver, sont déjà une mise en condition permettant de s’élever vers la Passion du Christ telle que l’ont dépeinte les artistes du xviie siècle. Ou vers toutes les autres formes de spiritualité.
« Face à faces, visages du Christ dans l’art français au XVIIe siècle » a lieu jusqu’au 30 octobre, tous les jours sauf le mardi de 10 h 30 à 12 h 30 et de 14 h à 18 h, les samedi et dimanche de 10 h 30 à 18 h 30. Tarifs : 2,3 et 3 euros. MAGNY-LES-HAMEAUX (78), Musée national de Port-Royal des Champs, tél. 01 39 30 72 72.
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Les « Saintes Faces » à Port-Royal
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°573 du 1 octobre 2005, avec le titre suivant : Les « Saintes Faces » à Port-Royal