Le Palais Lumière dresse un panorama de la peinture des derniers impressionnistes réunis au sein de la Société Nouvelle, qui défendaient une représentation sentimentale et réaliste de la nature.
Évian.« À la fin de leur carrière, on les regarda comme les derniers représentants de l’impressionnisme », écrit Yann Farinaux-Le Sidaner, commissaire scientifique, à propos du groupe de peintres que présente l’exposition d’Évian. La plupart de ces artistes sont morts entre les années 1920 et 1950 et on sait le peu de cas qui était fait, alors, de l’impressionnisme. Les ranger sous cette bannière était donc surtout une manière de les déconsidérer : « Seul le Salon des Tuileries en 1948 les célébra collectivement sous le nom de “Groupe d’amis”. Puis, en seulement quelques années, [ils] entrèrent dans l’oubli. » Au temps de leur célébrité, les critiques contemporains les décrivaient parfois comme intimistes, tant dans les scènes de genre que le paysage. Mais ils ne l’étaient pas tous. Le véritable lien entre ces peintres (et les sculpteurs qui les accompagnaient, absents de l’exposition), c’est la Société Nouvelle. Cette amicale réunissait des artistes « profondément indépendants », ainsi que les décrit Yann Farinaux-Le Sidaner, ayant su « faire la synthèse entre l’idéalisme de leur génération, celle du symbolisme et le réalisme de la génération précédente dominée par l’éclat de l’impressionnisme ». La Société Nouvelle fut le club artistique de la Belle Époque.
En janvier 1894, le critique d’art Charles Morice expliquait, dans le Mercure de France, que les Salons officiels (Salon des artistes français et Salon de la société nationale des beaux-arts) s’opposaient désormais à ce qu’il nommait des « salonnets », expositions restreintes d’œuvres d’un groupe : « Les grands parlent du passé, et les petits, de l’avenir. » C’est l’un de ces « salonnets » que créa en 1900 Gabriel Mourey, écrivain et directeur de l’édition française du magazine d’art The Studio. Il fonda la Société Nouvelle de peintres et de sculpteurs, dont faisaient partie, entre autres, Lucien Simon, Charles Cottet, André Dauchez, Henri Martin, Gaston La Touche, Henri Le Sidaner, Frits Thaulow, Eugène Vail, Albert Baertsoen, Émile Claus, Edmond Aman-Jean, Henri Duhem, René Ménard et René-Xavier Prinet. Ce groupe organisa sa première exposition annuelle à la galerie de Georges Petit en mars 1900. Ils avaient déjà du succès : ce fut une réussite.
Au fil des années, des artistes arrivèrent, d’autres partirent. Parmi ceux dont on peut voir des œuvres à Évian, Antonio de La Gandara et Jacques-Émile Blanche participèrent à la troisième exposition (1902) et aux suivantes, Georges Desvallières et Ernest Laurent, arrivèrent en 1903, Albert Besnard et Eugène Carrière en 1906, John Singer Sargent en 1907 et Jean-François Raffaëlli en 1911. Rodin, invité en 1905, adhéra dans la foulée à la Société Nouvelle, puis présida l’exposition en 1906 et plusieurs fois ensuite. Monet y exposa en 1907. Une seule fois, en 1903, la manifestation se déroula chez Durand-Ruel en raison d’une brouille avec Georges Petit. En 1911, la Société Nouvelle s’exporta : après l’exposition de Paris aux mois de mars et avril, il y eut une tournée aux États-Unis. Mais la Première Guerre mondiale dispersa le groupe. Après ce séisme, « nos peintres intimistes régnaient encore sans partage », écrit Yann Farinaux-Le Sidaner dans le catalogue.
Cependant, l’exposition annuelle de la Société Nouvelle ne survécut pas longtemps à la mort de Georges Petit, en 1920. La dernière, en 1922, ne réunissait que huit artistes. En 1923 fut créé le Salon des Tuileries présidé par Albert Besnard et accueillant la jeune peinture. Mais c’était déjà une autre histoire et les artistes de la Société Nouvelle passèrent de mode. La Belle Époque était terminée.
Le récit d’une confrérie à travers 22 peintres
visite guidée. Construire pour le grand public une exposition autour d’une association d’artistes est une gageure. Yann Farinaux-Le Sidaner, commissaire scientifique, et William Saadé, commissaire général, ont choisi d’évoquer la Société Nouvelle à différents points du parcours, mais une seule salle, la dernière, y fait un peu plus qu’allusion. Le reste de l’exposition est thématique, abordant le portrait, les peintres du Nord et le groupe d’Étaples, la Bande noire, le paysage. Enfin, une salle, où la cohérence entre les œuvres et le propos est un peu flottante, évoque le groupe des Parisiens et leurs rapports avec les peintres qui vivaient au plus près du paysage. Les œuvres sur papier, nombreuses et très belles, sont réunies dans un espace important. Ce choix thématique, qui mêle les artistes, accentue la singularité de chacun. C’est l’un des atouts de cette exposition que de présenter toute la palette de la Belle Époque. L’autre, essentiel, est que, pour la plupart, les 163 œuvres de 22 peintres proviennent de collections privées. L’occasion est donc unique de les admirer. Venant du Singer Museum de Laren, aux Pays-Bas, l’exposition partira ensuite à Quimper. Étant donné son thème, il aurait été intéressant qu’un espace soit consacré aux deux artisans principaux de la Société Nouvelle, Gabriel Mourey et Georges Petit. Mais le catalogue, très informatif et abondamment illustré, permet aux visiteurs curieux de se replonger dans la vie du groupe et cette Belle Époque que les historiens de l’art redécouvrent depuis les années 1980.
Elizabeth Santacreu
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°522 du 26 avril 2019, avec le titre suivant : Les peintres intimistes de la Belle époque