Du Chat noir au Lido, de Mistinguett à Michou, le Centre national du costume et de la scène retrace l’histoire de ces lieux de création et de fête.
Avec deux cents adresses dénombrées en 2023, on peut sacrer la France championne du genre. Mais en cela, rien d’étonnant ! C’est en effet en France que s’invente le cabaret, ce lieu hybride qui mêle spectacle et gastronomie. Le mot tire son origine du « cabret » néerlandais – une auberge bon marché – et de la « camberete » picarde – une petite chambre. Sa généalogie remonte jusqu’ au célèbre Chat noir, un repère d’artistes et de poètes que le peintre Rodolphe Salis ouvre en contrebas de la butte Montmartre, en 1881. Précédé de quelques années par des établissements de variétés, comme les Folies-Bergère, fondées en 1869 dans le quartier des Grands Boulevards, il supplante définitivement la guinguette du XIXe siècle. Nul doute, le quartier parisien de Montmartre est le cœur battant du cabaret, du Moulin-Rouge – qui ouvre ses portes en 1889, place Pigalle, avec son french cancan immortalisé par Toulouse-Lautrec – à Chez Michou, rue des Martyrs, où le transformisme permet aux couples gays de se divertir, dès 1956.Au cabaret français se mêle bientôt l’influence britannique du music-hall, qui se développe dans les capitales européennes de la fin du XIXe siècle à l’entre-deux-guerres, signant une recherche accrue de glamour et de faste. Paris voit alors fleurir de nombreuses salles qui s’emparent de cette forme de spectacle à l’esthétique plus américaine : le Casino de Paris, l’Olympia, l’Alhambra, Bobino. Après-guerre, les cabarets nouvelle mode migrent des quartiers populaires vers les arrondissements plus chics de Paris – ainsi le Lido, en 1946, sur les Champs-Élysées, ou le Crazy Horse inauguré en 1951 avenue Georges V.
Qui dit cabaret dit meneuses de revue – tour à tour muses d’artistes, égéries de marques ou icônes du show-biz, qui opèrent entre 1930 et 1990. Parmi elles, de grands noms continuent à hanter l’imaginaire collectif de la fête : Mistinguett, Joséphine Baker – première femme noire au music-hall et icône des Années folles – Zizi Jeanmaire, Line Renaud…L’importance du maquillage, des accessoires et du costume est primordiale dans le spectacle cabaret. Les modèles présentés au musée de Moulins subliment cette créativité, festive, débridée et colorée. Le monde des grands couturiers y a largement contribué, d’Yves Saint-Laurent à Jean-Paul Gautier. Le cabaret vivrait-il aujourd’hui un autre âge d’or ? Depuis les années 2000, de nouveau lieux se réclament de cet art total, qui mêle musique, danse, théâtre, mime et cirque dans des spectacles à l’inventivité souvent subversive. Signe de l’air du temps, « le cabaret est le dernier endroit de toutes les libertés », note le scénographe François Gauthier Lafaye, l’un des commissaires de l’exposition. « Il est le lieu de l’acceptation de tous les corps et de tous les genres, sans jugement. Les préjugés de notre société, encore marquée par l’intolérance et le patriarcat, restent aux portes des cabarets. » Longue vie !
À l’affiche du Moulin-Rouge depuis 1999, la revue Féérie fait se succéder quatre tableaux animés par les soixante danseurs et danseuses venus du monde entier. Créés par le costumier italien Corrado Colabucci, près de 1 000 costumes, soit 12 par artiste, apparaissent à chaque représentation.
L’hybridation et le fantastique font partie du vocabulaire du cabaret contemporain. En empruntant des références au monde du cirque, au monde animal, à la science-fiction, aux êtres célestes ou infernaux, des personnages et costumes, le cabaret ressemble parfois à un « freak show». Comme dans ce spectacle de la performeuse Anouck Hilbey, inspiré autant par les arts divinatoires que par les jeux vidéo ou la téléréalité.
Dans le cabaret transformiste Chez Michou, créé par Michel Caty en 1956, Michel Hennequin, dit Duduche, dessinateur de publicité le jour, travesti le soir, mène une carrière pendant 32 ans. Ses compétences artistiques le poussent à réaliser des maquillages très élaborés, comme pour La Folle de Chaillot, l’une de ses célèbres interprétations.
Depuis 1951, le Crazy Horse propose des spectacles interprétés par les « Crazy girls » et à partir de 2006, des collaborations avec des personnalités du monde de la mode, comme Christian Louboutin, Chantal Thomas, ou ici le styliste libanais Elie Saab. Pour l’occasion, des vedettes sont engagées comme invitées spéciales, telle l’actrice et danseuse érotique américaine Dita von Teese (au centre).
La chanteuse Barbara (1930-1997) est devenue, comme Juliette Gréco ou Dalida dans les années 1950, une égérie féminine qui inspira le monde du cabaret. Quelques éléments composent sa signature : une silhouette, un fourreau noir, un boa, une chevelure, un timbre de voix. Ces icônes féminines sont incarnées par des acteurs transformistes, notamment au cabaret Chez Michou.
La carrière de la célèbre meneuse de revue, chanteuse et actrice (née en 1928) durera près de 75 ans. Après un long séjour aux États-Unis, Line Renaud fait son retour en France en 1976 dans la revue Parisline, qui sera présentée durant quatre ans au Casino de Paris. Le couturier catalan José Viñas, auteur de cette robe à franges, est l’un des designers de music-hallles plus actifs de l’époque.
En référence aux fêtes foraines d’antan, les costumes du cabaret contemporain s’inspirent de l’organique, mélangent l’humain et l’animal, les âges et les cultures, le vivant et l’inerte. Personnage créé par Loïc Assemat, en 2002, la Big Bertha est une drag queen avec barbe, perruque et tenues fantaisistes qui opère dans le genre burlesque et se produit sur les scènes parisiennes et européennes.
Le french cancan a des origines qui remontent à la fin du XIXe siècle, quand il était interprété par les danseuses Jane Avril, La Goulue et Yvette Guibert, sur la musique d’Offenbach. Chaque revue du Moulin-Rouge intègre désormais un tableau de cancan, devenu sa marque de fabrique.
Muse du monde du cabaret, la danseuse classique Zizi Jeanmaire (1924-2020) a été l’étoile des Ballets de Paris, que son mari le chorégraphe Roland Petit crée en 1961, avant de mener carrière à l’Alhambra puis de l’autre côté de l’Atlantique, notamment à Broadway. Ses costumes portaient la griffe de grands couturiers – Yves Saint-Laurent et plus tard Gianni Versace pour ce récital de chant.
Le costume intitulé Homme-femme, porté par l’artiste transformiste Jean Biche au Manko cabaret à Paris, en 2015, a été conçu par le corsetier François Tamarin, Meilleur Ouvrier de France en 2004. « C’est un numéro d’illusion classique, réalisé d’une main de maître », selon l’artiste, qui dissimule habilement un laçage de corset dans le dos, et présente un original costume à la bi-identité de genre, sur le devant.
Repérée en 1959 par Henri Varna pour sa nouvelle revue Plaisirs, grâce à sa gouaille dans le style de Mistinguett (figure emblématique du cabaret de l’entre-deux-guerres), Line Renaud s’illustre sur la scène du Casino de Paris. Elle réussit magistralement le test du « final » de la revue, avec la descente vertigineuse des 44 marches de l’escalier central !
« Matière probablement la plus topique de l’imaginaire du music-hall », popularisée par Zizi Jeanmaire avec son fameux Truc en plumes, la plume est déclinée en maintes variations de matière, de couleur, de volume et de forme, de l’aigrette au boa, et s’impose dans l’après-guerre comme un motif permanent et indispensable à la revue.
Pour le spectacle Conchita Wurst au Crazy Horse, en 2014, le couturier Jean-Paul Gaultier crée ce costume destiné à habiller le drag queen autrichien, devenu célèbre lors du concours de l’Eurovision la même année. Sa tenue a fait l’objet d’une fabrication dans les propres ateliers de couture du cabaret, fondés il y a vingt ans.
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Les parures des cabarets
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°772 du 1 février 2024, avec le titre suivant : Les parures des cabarets