Jusqu’au 8 juin, au Musée de Tessé du Mans, l’exposition « Sages comme une image » sonde le regard qu’ont porté les artistes sur les enfants des années qui ont suivi la Révolution française, entre 1790 et 1848, alors qu’une nouvelle société se construit.
Ils ont vécu la Révolution, la chute de l’Ancien Régime, la République, l’Empire, le retour de la monarchie… Qui sont donc les enfants de ces décennies pleines de bruit et de fureur ? En partenariat avec le Musée du Louvre, l’exposition « Sage comme une image », actuellement au Musée de Tessé au Mans, puis cet été au Musée des beaux-arts de Bordeaux (MusBA), plonge le visiteur dans les représentations de l’enfance en France entre 1790 et 1850. L’idée d’une telle exposition est venue de deux tableaux du Musée de Tessé : un portrait anonyme d’un père entouré de ses enfants exécuté vers 1805, et le portrait d’un jeune garçon anonyme peint par Théodore Géricault vers 1820 [voir pages suivantes]. « Les années post-révolutionnaires sont une période où le regard porté sur l’enfant a été peu étudié », explique Stéphanie Deschamps-Tan, conservatrice en chef au département des Sculptures du Musée du Louvre et co-commissaire de cette exposition reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture. À travers la peinture, la sculpture et la photographie, elle interroge la place de l’enfant dans une société en pleine transformation, traversée par les bouleversements politiques et les mutations sociales de la Révolution et de la période post-révolutionnaire.Déjà, en 1762, Jean-Jacques Rousseau porte à travers son traité d’éducation Émile une attention nouvelle à l’enfant. Ceux qui l’ont précédé, écrit le philosophe des Lumières, « cherchent toujours l’homme dans l’enfant, sans penser à ce qu’il est avant que d’être homme ». Ils passent à côté des caractéristiques essentielles propres à l’enfant. Désormais, ce dernier est regardé comme un être pur, innocent et porteur d’espoir.
Après la Révolution, il devient citoyen. De nouvelles obligations lui incombent. « L’enfant devient très précieux dans une société qui a souffert. Il prend alors une place prépondérante au sein de la famille », relève Stéphanie Deschamps-Tan. Les artistes témoignent de la place nouvelle des enfants dans la société. Mais leurs œuvres ne sont pas toujours un miroir de la condition des enfants à cette époque. Ainsi, le travail des enfants, si présent dans la réalité des campagnes et des villes, n’apparaît que marginalement dans l’art. Si Victor Hugo s’inquiète dans son poème « Melancholia », écrit en 1838, du sort de ceux « dont pas un seul ne rit », « ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit » et qui « s’en vont travailler quinze heures sous des meules », dans l’art, le travail des enfants est évoqué presque exclusivement par la figure du « petit Savoyard », venu du Savoie, envoyé l’hiver en ville par ses parents pour gagner de l’argent… Tout au long du parcours, les œuvres des peintres, des sculpteurs, des photographes mettent en lumière non seulement la place centrale de l’enfant dans l’imaginaire du XIXe siècle, mais aussi les contradictions et omissions de l’art de l’époque. « Il ne s’agit pas pour nous d’une enquête sociale sur la condition des enfants », précise Côme Fabre, conservateur au département des Peintures du Musée du Louvre et co-commissaire de l’exposition. Et de nous interpeller, en filigrane, sur le regard que nous portons sur les enfants aujourd’hui, dans une époque qui connaît elle aussi bien des bouleversements.
Paris s’est enflammé. Eux arborent des équipements militaires trop grands pour eux, ramassés en marge des combats des émeutes de juillet 1830 qui contraindront le roi Charles X à abdiquer. Pourquoi ces quatre garçons ont-ils pris les armes ? Fatigués, désenchantés, ces enfants des classes populaires incarnent la misère et l’inquiétude plus que l’espoir révolutionnaire. Philippe-Auguste Jeanron (1808-1877), républicain désabusé, présente ici une vision mélancolique de ces petits héros dont l’innocence a été sacrifiée.
Où est la mère de famille ? Le couple a-t-il divorcé, puisque cela a été autorisé en 1792 ? Dans ce portrait reprenant les conventions de la famille dynastique, ce père de famille anonyme pose entouré de ses quatre enfants, désignant l’aîné comme son héritier. Il porte une tenue quelque peu négligée, qui contraste avec l’élégance de ses enfants, témoignant du soin qu’il accorde à leur éducation et leur réussite, dans une société post-révolutionnaire où l’ascension sociale peut être très rapide.
Lorsque les artistes représentent les enfants du peuple, c’est surtout aux pittoresques « petits Savoyards » qu’ils s’intéressent, ces petits garçons originaires de Savoie envoyés par leurs familles pour gagner de l’argent en ville l’hiver, après les travaux agricoles de l’été. À travers cette représentation d’un petit ramoneur au visage barbouillé de suie, Auguste de Châtillon (1808-1881) évoque les mendiants peints au XIXe siècle par Bartolomé Esteban Murillo, que le public redécouvre alors avec l’ouverture au Louvre de la Galerie espagnole, en 1838.
Ah, le génie, le grand homme ! Le XIXe siècle se passionne pour cette figure. Dans cette société positiviste, l’enfant est une promesse pour sa famille. Ainsi s’intéresse-t-on particulièrement à l’enfance des artistes, en particulier des maîtres de la Renaissance. Inspirée par une anecdote plaisante selon laquelle le génie du jeune Giotto aurait été remarqué par le peintre Cimabue alors que le petit garçon, alors berger, dessinait un mouton sur le sable « sans autre maître que la nature », cette sculpture de Jean François Legendre-Héral (1796-1851) en témoigne.
À partir de la fin du XVIIIe siècle, de jeunes princes, héritiers du trône, voient leurs vies brisées par des révolutions. Louis XVII, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, incarne ce destin tragique. Emprisonné au Temple, séparé de sa famille, il y meurt à dix ans en 1795. Longtemps, représenter son calvaire demeure tabou. Louis XVII enchaîné d’Achille Valois (1785-1862) est son seul portrait posthume commandé sous la Restauration. Si des chaînes enserrent le jeune martyr de chair et d’os, l’artiste évite cependant une représentation crue de sa souffrance.
Longtemps, le portrait fut réservé à une élite. Au XIXe siècle, il se répand dans les familles bourgeoises. Mais c’est surtout la belle apparence des enfants qui importe, plus que leur psychologie, qui est généralement représentée. Les portraits réalisés par les artistes pour leur entourage se démarquent par une plus grande liberté, avec un cadrage plus resserré sur le visage. Dans ce portrait d’une grande intensité peint par Théodore Géricault (1791-1824), le peintre a capté avec subtilité l’innocence et l’âpreté propres à l’enfance.
Au début du XIXe siècle, l’école primaire n’est pas obligatoire. Seules les familles des classes moyennes y envoient leurs enfants. Les plus pauvres exigent des leurs de contribuer à subvenir aux besoins de la famille, tandis que les classes aisées les éduquent elles-mêmes, parfois avec le concours de précepteurs, avant l’entrée au collège pour les garçons et le pensionnat pour les filles. Ce tableau d’Antoinette Asselineau (1811-1889), représentation assez rare, met en scène la violence qui peut régner dans les écoles primaires, à travers une petite fille humiliée devant ses camarades.
Un ventre gonflé par les raisins dont il se délecte, des jambes un peu courtes, des cheveux mal peignés… Le sculpteur David d’Angers (1788-1856) s’inspire du souvenir de son fils âgé de deux ans qui, attiré par des fruits, avait échappé de justesse à la morsure d’une vipère. En découvrant cette composition, les critiques du Salon de 1845 s’emportent. Le réalisme du corps enfantin brise les codes de représentation hérités de l’Antiquité romaine et de l’art baroque. Mais au XIXe siècle, l’enfant n’est plus un adulte miniature…
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Les enfants l’innocence après la Révolution
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°783 du 1 mars 2025, avec le titre suivant : Les enfants l’innocence après la Révolution