DUNKERQUE
Pour ses 30 ans, le Laac de Dunkerque a donné carte blanche au père fondateur du musée. Celui-ci a choisi de plonger les visiteurs dans l’univers généreux et utopiste de ce mouvement.
DUNKERQUE - Pour les 30 ans du Laac (Lieu d’art et action contemporaine) à Dunkerque, Aude Cordonnier, sa directrice, a donné carte blanche à Gilbert Delaine, le père fondateur du musée, qui y accueille les invités le jour de l’inauguration. La Ville de Dunkerque lui doit beaucoup. Gilbert Delaine lui a en effet légué plus de 600 œuvres, réunies par ses soins en l’espace de vingt ans, qui constituent la colonne vertébrale des collections du Laac. L’ancien cadre des Ponts et Chaussées, féru d’art contemporain, a jeté son dévolu sur le mouvement CoBrA. Le fonds CoBrA du Laac compte plus d’une centaine de peintures, sculptures et gravures. « Ces artistes étaient des fous, des révolutionnaires. Je me suis attaché à eux. Un beau jour, j’ai acquis une œuvre auprès de Karel Appel, à une époque où l’artiste était dans le besoin, explique-t-il. Des années plus tard, il m’a donné soixante-dix de ses créations. » Dont l’Appel Circus rassemblant dix-sept sculptures en bois polychrome qui perpétuent, dans l’une des salles de l’exposition, l’esprit ludique et ironique de CoBrA. « Depuis quarante ans que je navigue dans le milieu de l’art contemporain, j’ai réussi à être introduit dans de grandes collections belges et hollandaises. J’ai pu ainsi emprunter à l’un de ces collectionneurs soixante-quinze de ses plus belles pièces. Un collectionneur belge m’a, lui, prêté quinze de ses œuvres », confie ce Dunkerquois d’adoption qui a enfilé pour l’occasion l’habit de commissaire d’exposition.
Un esprit libre et spontané
Outre les collectionneurs privés, le Laac a bénéficié de la générosité d’institutions publiques parmi lesquelles le Musée CoBrA d’Amstelveen et le Bonnefantenmuseum de Maastricht aux Pays-Bas, le Smak de Gand, le Musée de l’art wallon de Liège et la Fondation du roi Baudoin en Belgique, et le Musée national d’art moderne àParis. L’exposition, qui rassemble plus de deux cents œuvres, est la première grande rétrospective CoBrA en France depuis trente ans, après celle que lui a consacrée le Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1982.
L’espace de circulation fluide et très ouvert du musée, sans cloisons ni séparations, épouse avec bonheur l’esprit libre, spontané et fantaisiste de ces artistes qui voulurent « extirper l’art du carcan dans lequel il se trouvait ».
Soixante-quatre ans après la création du mouvement, l’œuvre de ces créateurs apparaît étonnamment contemporaine. Est-ce dû à leur capacité à anticiper des combats et prises de conscience actuels comme ceux du nécessaire dialogue des cultures et de l’unité de toute la création ? « La plupart des mouvements qui se meuvent dans le monde misent sur les différences qui séparent les hommes, les nations, les artistes, les activités », peut-on lire dans le numéro 7 de la revue CoBrA exposé dans une vitrine de la salle consacrée à l’histoire du mouvement. « CoBrA, par contre, ne mise ni sur les oppositions, ni sur l’uniformité mais sur le plus grand commun dénominateur des hommes. […] CoBrA aime à embrasser, non à baiser la main ; à étreindre, non à étouffer. »
Les commissaires de l’exposition ont choisi, de façon un peu académique, de réunir les artistes par pays. La salle dédiée au mouvement danois met en avant, autour de l’étoile Asger Jorn qui puisa chez Klee et Munch, plusieurs membres du groupe dont Carl-Henning Pedersen, Henry Heerup et Egill Jacobsen. Suit un espace consacré aux membres hollandais autour des figures de Constant, Corneille et Appel. « Une peinture c’est un cri », clamait Constant, dont on peut admirer une poignante gouache sur papier de 1950 montrant une main dressée contre la guerre de Corée. Suit un bel ensemble consacré au « barbare civilisé » Karel Appel, l’artiste le mieux représenté dans l’exposition. Lune pâle de 1985 est une œuvre très forte issue d’une collection privée : un spectre blanc se tient debout sous un ciel bleu strié d’épais traits noirs où se blottit une lune vert pâle. Place ensuite aux Belges du groupe avec quelques fortes sculptures de Reinhoud et une saisissante ardoise de Raoul Ubac. Pierre Alechinsky se taille une place de choix : une salle lui est entièrement consacrée qui comprend une belle sélection d’œuvres s’échelonnant entre 1948 et les années 1970 avec de grandes encres sur papier marouflées sur toile comme De retour de 1978. Après une fenêtre ouverte sur les représentants allemands, anglais et français (Jean-Michel Atlan et Jacques Doucet) de l’Internationale des artistes expérimentaux (autre désignation du mouvement), suit une plongée dans la poésie CoBrA, dans les « peintures-mots » de Jorn, les logogrammes de Christian Dotremont et les œuvres à quatre mains réalisées par Dotremont avec Atlan, Jorn, Corneille ou Alechinsky. Puisant chacune abondamment dans l’inconscient, cette source mystérieuse d’où jaillissent leurs images.
Jusqu’au 3 mars 2013, Laac, Lieu d’art et action contemporaine, pont Lucien-Lefol, 59140 Dunkerque, tél. 03 28 29 56 00, tlj sauf lundi, 10h-12h15, 14h-18h.
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Les CoBrA de Gilbert Delaine
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : Les CoBrA de Gilbert Delaine