Découverte pour les uns, confirmation pour les autres, le bric-à-brac énigmatique de Joseph Cornell offre l’une des œuvres les plus attachantes de l’art de la seconde moitié du XXe siècle.
LYON - Verre à liqueur, coquillages, fioles, pipes cassées, photos d’actrices, reproductions de tableaux, mais aussi anneaux, balles, jeux de billes ou poupées ne sont que quelques-uns des éléments hétéroclites et humbles dont se sert Joseph Cornell (1903-1972), afin de bricoler ses « joujoux du pauvre » (Baudelaire). Un inventaire déroutant qui fait songer au catalogue d’une quincaillerie aussi universelle qu’absurde ou à la liste d’un commissaire-priseur touche-à-tout, ou plutôt au monde magique de l’enfance, aux visites interdites des chantiers en l’absence du gardien. Un univers qui ne connaît ni limite, ni hiérarchie ; le collage s’y fait bricolage, jeu d’enfant retrouvé et revu par l’imagination de l’artiste.
Pour autant, faut-il parler d’un inclassable ? Ce n’est pas le moindre intérêt de l’exposition de faire une démonstration rigoureuse qui permet, sans nier la spécificité de Cornell, de constater que l’image de l’artiste isolé, sans liens avec les avant-gardes, n’est qu’un mythe. Fruit d’une recherche méticuleuse menée de concert par des spécialistes français et américains, la manifestation l’inscrit dans le contexte de la modernité. Tâche d’autant plus difficile que Cornell, dont la notoriété n’est plus à faire aux États-Unis, reste relativement méconnu en France. Ainsi, dans une volonté de présenter l’homme au public, on trouve dans la première salle ses quelques portraits spectaculaires, réalisés par Lee Miller. Pas seuls toutefois, car sur les cimaises du musée lyonnais défile tout le gotha de la nébuleuse surréaliste, réfugié à partir des années 1930 à New York. Breton, Max Ernst, Tanguy, Dali, Duchamp, fixés par Man Ray, sont parmi les personnalités dont la pensée et la pratique artistiques ont marqué l’œuvre de Cornell. Plus loin, quelques œuvres dont un remarquable Magritte (Le Parc du vautour, 1926) et des compositions métaphysiques de Giorgio De Chirico illustrent les principes du surréalisme que Cornell a l’occasion de découvrir par l’intermédiaire de Julien Levy, dont il visite la galerie dès son ouverture à New York en 1931.
Explorations en trois dimensions
Les premiers travaux qu’il réalise sont des collages, inspirés par Max Ernst (La Femme 100 têtes), mais surtout des « aménagements », des objets trouvés, placés dans des cloches de verre (Nécessaire à bulles de savon, 1936). À partir de là, le collage devient assemblage universel, les « choses » se transforment en unités de sens détournées qui produisent des effets poétiques. Les boîtes fabriquées par Cornell se situent à mi-chemin entre le cabinet de curiosités et le musée portatif (ce n’est pas un hasard si l’artiste est engagé en 1942 par Duchamp, pour l’aider à fabriquer ses fameuses « Boîtes-en-valise »). Non pas qu’il soit le premier à se servir d’un objet pour le transformer en une œuvre artistique. L’art du XXe siècle a connu très tôt ces métamorphoses, au point que la transfiguration du banal est devenue une figure de banalité de la modernité.
La particularité de Cornell réside dans l’importance qu’il accorde au cadre dans lequel il loge ses « menus détails ». En effet, en plaçant ses objets dans des boîtes, l’artiste introduit systématiquement un écran réel ou symbolique, qui s’interpose entre l’œuvre et le spectateur. Écran, car chez lui tout prend les allures d’une représentation théâtrale dont le décor et les personnages sont inventés de toutes pièces : Crystal Cage (Portrait de Berenice), 1943-1960. Fasciné par la scène – le ballet, en particulier –, Cornell est attiré par le mouvement, par les divers dispositifs qui créent l’illusion cinétique. Logique ou paradoxe ultime, celui qui s’intéresse au passé romantique pratique aussi une forme de cinéma expérimental, des remontages à partir de films préexistants. Enfin, les œuvres tardives clôturent l’exposition : des boîtes plus dépouillées dont le fond est souvent décoré d’étoiles (Hôtel de l’étoile, 1950). Ces lieux aériens nous font pénétrer dans une sorte de galaxie cristalline, dédale poétique dont l’artiste offre une carte à petite échelle.
Commissaires : Sylvie Ramond, directrice du Musée des Beaux-Arts de Lyon, Matthew Affron, conservateur au Philadelphia Museum of Art
Artistes : 20
Œuvres : 269
Jusqu’au 10 février, Musée des Beaux-Arts de Lyon, 20 place des Terreaux, 69001 Lyon, tél 04 72 10 17 40, www.mba-lyon.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, vendredi 10h30 à 18h.
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Les boîtes à malice de Cornell
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Abonnez-vous dès 1 €Joseph Cornell, The Crystal Cage (Portrait of Berenice), 1943-1960, collage, Galerie Richard L. Feigen & Co. © The Joseph and Robert Cornell Memorial Foundation.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Les boîtes à malice de Cornell