PARIS
Le Quai Branly fait découvrir les arts de la Grande Île avec une exposition inédite depuis 1946, qui présente une culture et des objets méconnus. Les plus fascinants ont trait à l’art et aux rituels funéraires.
Paris. Dans l’exposition du Musée du quai Branly qui met à jour les arts rarement montrés de Madagascar, c’est la section sur l’au-delà, les arts et les rituels funéraires qui apparaît comme la plus spectaculaire et passionnante. Il y est question des liens que les vivants entretiennent avec leurs morts, immédiatement après leur décès et longtemps après leur disparition, sur cette île grande comme la France et le Benelux réunis, flottant aux portes de l’Afrique, au large du Mozambique.
Des défunts, enveloppés dans des linceuls et portés à bout de bras par une foule colorée zigzaguent sur le chemin de la nécropole dans un climat d’effervescence. Lors de la mise au tombeau, des hommes et des femmes entonnent des chants licencieux visant à exalter l’amour, mais aussi le sexe, indissociable de la mort contre laquelle il livre un interminable combat. Ces scènes de funérailles empreintes de gaieté sont diffusées en boucle sur un grand écran situé dans l’avant dernière salle du parcours. « Il n’y a pas chez les Malgaches de coupure entre le monde des vivants et celui des trépassés », souligne Malanjaona Rakotomalala, anthropologue et professeur à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales), dans un texte du catalogue. Le statut final auquel aspire tout individu est celui d’ancêtre pour qu’il n’y ait pas mort définitive. » À Madagascar, ceux qui acquièrent après leur trépas et moult rituels le statut d’ancêtres sont considérés comme des médiateurs entre les vivants et le Créateur, Zanahary, Dieu unique à l’origine de toute chose dans l’univers, mais jamais représenté.
Dans la salle suivante, immense et lumineuse, qui marque la dernière étape de la visite, le visiteur tombe nez à nez avec une forêt de totems, d’étonnants poteaux funéraires anthropomorphes. Les oloalos, qui évoquent la vie des défunts, jouent un rôle protecteur à l’égard des vivants. Sur l’un d’entre eux sont accrochés cinq crânes de bovidés, probablement sacrifiés pour honorer le mort, surmontés d’une figure féminine coiffée de deux oiseaux tenant contre elle un enfant. Au sommet d’un autre poteau funéraire trône un couple figuré côte-à-côte : la femme, au sexe et aux seins marqués, tient une cruche à eau sur sa tête. Sur le fût, on observe un crocodile, animal sacré, se hissant en direction d’un zébu, qui évoque la prospérité. Aujourd’hui, les caveaux funéraires sont fabriqués en parpaings, recouverts de ciment et décorés de peintures figuratives de couleurs vives. Quelques artistes, malgré tout, à l’image de Jean-Jacques Efiaimbelo perpétuent la tradition en exécutant des répliques contemporaines de ces oloalos. Certains sont surmontés de taxis, d’autres de bicyclettes ou d’avions, tous peints de couleurs vives.
Tout aussi singuliers, mais de dimensions plus petites, les amulettes (ody), charmes et talismans (sampy) sont utilisés par les Malgaches pour tenter de prévoir l’avenir ou d’échapper à des maux ou situations douloureuses. Formés d’assemblages complexes d’éléments végétaux (racines, écorces), minéraux (terre, quartz, pierres) et animaux (poils, griffes, coquillages), ils sont parfois assemblés en collier ou placés dans un réceptacle, le plus souvent une corne. « La divination est encore très actuelle. En général, chaque village, chaque quartier a son devin, même si dans la capitale leur présence reste discrète », poursuit Malanjaona Rakotomalala. Certains de ces devins sont à la fois astrologues, guérisseurs, géomanciens, ornithomanciens et oniromanciens.
« Leur attrait pour l’épure et le chatoyant fait des productions malgaches des œuvres singulières, émouvantes et intrigantes », souligne Aurélien Gaborit, le commissaire de l’exposition et responsable des collections Afrique au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, qui a réuni près de 360 objets prêtés par l’Institut des civilisations-Musée d’art et d’archéologie de l’Université d’Antananarivo, des musées publics et des collectionneurs privés européens et nord américains.
On regrette que le parcours de l’exposition, très didactique (section I : Madagascar dans l’espace et le temps ; section II : l’art du monde des vivants ; section III : les mondes invisibles et parallèles) soit un peu prévisible. Malgré la qualité des objets présentés, des photographies et supports multimédias qui les accompagnent, une impression de monotonie, un sentiment d’absence de vie gagne le visiteur tout au long des deux premières sections. Faut-il incriminer la scénographie, minimaliste et plutôt froide, réalisée par l’agence Nathalie Crinière ?
Il faut venir malgré tout admirer au Musée du quai Branly, outre l’art funéraire, l’étonnante sélection d’objets usuels (magnifiques luminaires en fer forgé, délicates vanneries, portes et volets sculptés, montants de lits gravés de motifs figuratifs), de bijoux, textiles et autres instruments de musiques qui font de leurs concepteurs des maîtres du design. Sont également admirables les gracieuses sculptures animalières figurant des oiseaux ou des canards à bosse, animaux très prolifiques, symboles d’ardeur génésique, souvent associés à l’au-delà.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°508 du 5 octobre 2018, avec le titre suivant : LES arts de Madagascar ressuscités